Ouverture du parquet national antiterroriste : pour une force de frappe judiciaire renforcée
Mesure phare de la loi de programmation et de réforme de la justice, le parquet national antiterroriste (PNAT) a officiellement vu le jour le 1er juillet dernier. À sa tête, le redouté Jean-François Ricard, fort d’une longue expérience dans la lutte antiterroriste. Le 3 juillet, trois mois après promulgation de la loi du 23 mars 2019, portant réforme de la justice, le président du tribunal de grande instance de Paris, Jean-Michel Hayat, tenait l’audience solennelle pour installer le tout premier procureur de la République antiterroriste. Une nouveauté dans le monde judiciaire et des objectifs ambitieux pour améliorer la lutte contre la menace terroriste.
Le moins que l’on puisse dire c’est qu’il était attendu de pied ferme. Lors de son intronisation officielle le 3 juillet dernier au TGI de Paris, Jean-François Ricard, 62 ans, nouveau procureur de la République antiterroriste, a fait l’objet de toutes les attentions. Pour Jean-Michel Hayat, le président du TGI de Paris, il est assurément « un grand magistrat, expert incontesté de la lutte antiterroriste, qui a toujours brillé dans l’action, déterminé et résolu, talentueux et doté d’une puissance de travail phénoménale ».
Jean-François Ricard ancien avocat général, ancien juge d’instruction pendant douze ans, spécialisé dans les affaires antiterroristes, a brillé « au péril de [sa] vie, aux côtés de Jean-Louis Bruguière », notamment en travaillant sur les attaques du RER Saint-Michel, perpétrés en 1995 au nom du GIA algérien. Jusqu’à fin juin, il était encore un « conseiller hors pair de la Cour de cassation ». Ce sont maintenant de toutes nouvelles fonctions qu’il va prendre.
« À ceux qui étaient sceptiques sur la création du PNAT, il me suffisait de leur opposer l’éclatante réussite du parquet national financier (PNF) », a rappelé le président du TGI, Jean-Michel Hayat, « Un parquet dédié au traitement d’un contentieux prioritaire, délesté des tâches annexes pourra ainsi se concentrer sur les tâches essentielles, déployer les forces et multiplier les actions », a-t-il poursuivi.
En effet, c’est bien le but de ce nouveau parquet, le deuxième « national » après le parquet financier, et qui remplace la section antiterroriste du parquet de Paris, créée en 1986, après une vague d’attentats revendiqués par un groupe proche du Hezbollah. Le PNAT aura compétence pour toutes les infractions terroristes, mais aussi pour les crimes et délits relatifs à la prolifération d’armes de destruction massive, les crimes contre l’humanité, les crimes et délits de guerre, les actes de torture et de disparitions forcées commises par les autorités étatiques.
Avec ce bouleversement judiciaire, puisque le PNAT va intervenir à toutes les étapes de la chaîne pénale (de la direction des enquêtes, en passant par le suivi des informations judiciaires, la phase de jugement, mais aussi l’exécution et l’application des peines…), comme l’a souligné Rémy Heitz, « se réalise l’une des modification majeure de notre organisation judiciaire, prévue par la loi du 23 mars 2019, de programmation et de réforme de la justice ».
Une réorganisation interne
À ce moment charnière, synonyme de réorganisation des services du siège, le président du TGI de Parisa évoqué la création, dans la sphère correctionnelle, de la 16e chambre, à compter du 2 septembre prochain, exclusivement dédiée au contentieux antiterroriste, dispositif unanimement approuvé, ainsi qu’une 33e chambre correctionnelle, à moyens constants, entièrement dédiée aux dossiers traités par le parquet de Paris et alimenté par les dossiers de criminalité organisée. Il a souligné que le service de l’application des peines, spécialisé en terrorisme, s’étoffe, puisqu’il va passer de deux à quatre magistrats d’ici 2020, ce qui s’explique par « la très forte hausse des condamnés devant faire l’objet d’un suivi ». À l’automne, 2014, 160 dossiers étaient en cours, pour atteindre à l’été 2019, plus de 500 procédures, sans doute 600 début 2020, dénotant une « sensible augmentation de l’activité en correctionnelle ».
Concernant la juridiction civile chargée de l’indemnisation des victimes d’acte de terrorisme, « dispositif que le TGI de Paris appelait de ses vœux depuis 2016 », confie Jean-Michel Hayat, elle clarifie et simplifie grandement l’indemnisation des victimes, puisque depuis le 1er juin dernier, le juge pénal est incompétent pour connaître de l’action civile en matière de dommages causés par une infraction constituant un acte de terrorisme, mission qui reviendra « au seul juge civiliste du TGI de Paris. Avec cette réforme, la justice aura gagné en efficacité, lisibilité et rapidité », prédit-il.
Deux inquiétudes pour lui, cependant : l’augmentation des magistrats, sans que les effectifs des magistrats du siège et fonctionnaires qui les assistent aient été parallèlement augmenté, et la sécurité des magistrats, priorité absolue, évoquant l’agression de Magali Tabareau de juin dernier, présidente de la cour d’assises des Yvelines.
Renforcer la « force de frappe antiterroriste »
« Cette évolution de notre organisation répond à la volonté de renforcer la force de frappe antiterroriste, grâce à un parquet dédié », a rappelé Rémy Heitz, procureur de la République. Il a souhaité clarifié trois points. D’abord, « la création [du PNAT] n’est pas partie d’une quelconque insuffisance du parquet de Paris », qui selon lui, n’a jamais montré la « moindre faiblesse ». Assurément, le « PNAT saura relever les mêmes défis ». Il a souligné la qualité des relations nouées avec leurs partenaires (enquêteurs policiers et gendarmes), ainsi que le fructueux rapprochement opéré avec les services de renseignements, se félicitant de la qualité de mobilisation policière après l’attentat de Lyon, en mai dernier. Il n’oublie pas la coopération avec des procureurs d’autres États, notamment la Belgique et l’Allemagne. Enfin, il a mentionné la « création des magistrats délégués à la lutte antiterroriste, qui seront les relais et désignés dans des affaires exposés à la menace terroriste, au sein des parquets nationaux les plus exposés, aboutissant ainsi à un maillage territorial antiterroriste au niveau judiciaire ».
Côté chiffres, sont transférés au PNAT 230 dossiers d’enquête préliminaire et 420 informations judiciaires.
Jean-François Ricard, un procureur déterminé face à « l’immensité de la tâche »
Jean-François Ricard l’a bien rappelé, le « PNAT porte un double objectif : la lutte contre le terrorisme mais également la prise en charge d’un domaine d’intervention majeur, la lutte contre les crimes de guerre et contre l’humanité », grâce à l’implication de 27 magistrats (18 femmes, 9 hommes) : un procureur en titre, deux adjoints, un secrétaire général, quatre premiers vice-procureurs, douze vice-procureurs et sept substituts.
Avant de s’attacher à détailler les missions du tout jeune PNAT, il est revenu sur sa genèse. « Fallait-il refonder le dispositif, qui existe depuis 1986, dès lors que celui-ci est présenté comme un modèle pour nombre de démocraties pour son efficacité et son respect des principes généraux du droit des engagement internationaux ? », a-t-il interrogé. « Chacun sait que depuis 1993, et la montée de la menace djihadistes, la mise en œuvre de procédures judiciaires a permis, à de nombreuses reprises, de démanteler des réseaux terroristes et d’éviter la réalisation d’attentats ». Mais ce dispositif, dans la seconde moitié des années 2000, a fait face à de nouvelles formes de terrorisme islamiste.
« Face aux défis de l’émergence d’une nouvelle génération d’activistes, issus ou non des conflits irako-syriens, la menace a pris un double visage : d’une part, celle de filières structurées, rompues aux moyens armés, dotées de moyens logistiques consistants et d’autre part, des activistes plus imprévisibles qui agissent hors des réseaux classiques, qui ont recours aux réseaux sociaux et au principe de dissimulation », a-t-il rappelé.
Concernant le retour à la clandestinité, Jean-François Ricard a précisé que 700 Français étaient encore susceptibles de se trouver dans la zone irako-syrienne. Parmi eux, combien sont ou seront en capacité de rejoindre le pays ?
En présence de ces mutations constantes, les transformations ont été autant structurelles (loi du 24 juillet 2015 sur le renseignement ou protocole 2017, mesures administratives…) qu’institutionnelles (création du service central du renseignement territorial en 2014 ou commission nationale de contrôle des techniques de renseignement, coordinateur du renseignement et de la lutte contre le terrorisme…).
Côté chiffres, la section C1 (antiterroriste) suit 264 enquêtes préliminaires. Le procureur de la République antiterroriste souligne « l’augmentation exponentielle du nombre d’enquêtes préliminaires, passant de 10 dossiers ouverts en 2012 contre 240 en 2017 ». La section AC5 (pôle crimes contre l’humanité) gère 44 enquêtes criminelles.
Jean-François Ricard a exposé les avantages de la mise en place d’un travail intégré, avec des « magistrats qui connaissent les procédures de terrorisme, savent que chaque dossier est évolutif. Toute discontinuité dans la chaîne pénale ne peut que gravement nuire à l’efficacité de la réponse judiciaire ». Autre innovation : les magistrats vont désormais représenter le ministère public en première instance devant la cour d’assises, grâce à « des magistrats spécialisés [qui] ont une connaissance fine du contexte, géopolitique, une culture d’ensemble ».
Il a affirmé que le PNAT s’engageait à poursuivre le dialogue avec le parquet général, mais aussi avec ses collègues du siège et avec le barreau.
Des dossiers emblématiques
À partir de septembre, huit affaires criminelles terroristes sont déjà programmées. La première sera celle des trois femmes qui avaient tenté de commettre un attentat à Notre-Dame en 2016. Puis au 1er semestre 2020, ce sera le tour de l’attentat de Charlie Hebdo. D’autres dossiers emblématiques suivront : attentat de Nice, du Thalys, de Magnanville, de Saint-Étienne-du-Rouvray. C’est en 2021 que sera jugée l’affaire des attentats du 13 novembre. Ce dossier, énorme, comportera 1 700 parties civiles, 350 avocats et 3 magistrats du PNAT. « L’immensité de la tâche ne doit pas faire oublier la souffrance des victimes », a-t-il déclaré. Aux « victimes éternelles », « rien ne saura atténuer leur douleur et leur besoin de comprendre. La police judiciaire, la justice, auront permis de traduire devant la cour d’assises les principaux acteurs. Chaque procès sera une épreuve mais ils se tiendront, dans la plus grande transparence ». Et les magistrats auront pour mission d’apporter des réponses à ces victimes.
Sur l’exécution des peines : sur les 500 à 1 000 personnes détenues pour faits terroristes, 105 libérées d’ici 2021, 147 un an plus tard. 259 sont suivis en milieu ouvert. Leur suivi doit être une priorité du parquet national, a précisé Jean-François Ricard.
Afin de gagner en efficacité, une réserve opérationnelle de magistrats au sein du parquet de Paris a été créée, auquel le PNAT peut recourir en vue d’un renforcement temporaire immédiat indispensable, en cas de crime terroriste majeur. Le PNAT pourra effectuer une délégation judiciaire vers un autre parquet, et enfin, la fonction de procureurs délégués, dans les 13 juridictions les plus exposées, a été créée.
Jean-François Ricard a terminé son discours d’installation en décrivant les priorités de son parquet : la poursuite de la collaboration avec police et le renseignement, la liaison avec les magistrats étrangers (Europe et au-delà), dans le cadre des crimes de guerre et contre l’humanité, l’accélération de l’implantation de réseaux spécialisés, enfin un partenariat encore plus efficace avec l’administratif et le pénitentiaire. Des objectifs à la hauteur des moyens, ambitieux.