Création du parquet européen
Incarnation de la coopération pénale renforcée entre les États de l’Union, le Parquet européen cible les infractions pénales portant atteinte aux intérêts financiers de l’Union européenne.
Nouvel organisme européen chargé de lutter contre la grande criminalité transfrontière, le Parquet européen devrait être en activité dès novembre 2020. L’entrée en activité du Parquet européen constitue une évolution majeure dans la lutte contre ces infractions ainsi qu’une étape importante vers la création d’un espace commun de justice pénale dans l’ensemble de l’Union européenne. Chaque année, la fraude transnationale prive les États membres d’au moins 50 milliards de recettes de TVA d’après les estimations réalisées par les instances communautaires. Les États membres ont également signalé qu’environ 638 M€ provenant des fonds structurels de l’Union européenne avaient été détournés en 2015.
Un espace commun de justice pénale
La création du Parquet européen a été l’une des grandes priorités politiques de la Commission européenne. Premier parquet indépendant et décentralisé de l’Union européenne, il a vocation à poursuivre les auteurs d’infractions portant atteinte au budget de l’Union européenne, telles que la fraude, la corruption ou la fraude transfrontière grave à la TVA et plus particulièrement les escroqueries à la TVA, impliquant plusieurs États membres, la corruption ou le blanchiment de capitaux. « Le Parquet européen mènera des enquêtes transfrontières sur des fraudes concernant des fonds de l’UE d’un montant supérieur à 10 000 €, ou sur des cas de fraude transfrontière à la TVA entraînant un préjudice supérieur à 10 M€ », précise ainsi le Conseil européen. Pour les cas de fraudes les plus complexes ou les fraudes transfrontière de grande ampleur à la TVA, les enquêteurs et les procureurs nationaux en matière pénale ne disposent généralement pas des outils nécessaires pour agir rapidement et efficacement par-delà les frontières. Le Parquet européen permettra de remédier à ces lacunes et améliorer la lutte contre ces infractions, contribuant ainsi à un budget de l’Union européenne plus solide et mieux protégé. Le Parquet européen complétera l’action de l’Office de lutte antifraude de l’Union Européenne (OLAF) et d’Eurojust, qui ne sont pas équipés pour mener des enquêtes et des poursuites dans des affaires pénales spécifiques. Entre 2010 et 2017, l’Office européen de lutte contre la fraude (OLAF) a recommandé le recouvrement de plus de 6,6 Mds € pour le budget de l’UE, et a présenté plus de 2 300 recommandations de mesures judiciaires, financières, disciplinaires et administratives à prendre par les autorités compétentes des États membres et de l’Union européenne, l’office lui-même n’ayant pas de pouvoir de sanction. L’OLAF émet des recommandations que les États membres sont libres de suivre ou non. L’OLAF continuera de mener des enquêtes administratives sur les irrégularités et les fraudes portant préjudice aux intérêts financiers de l’Union européenne, dans tous les pays de l’Union. Dans ce contexte, il consultera le Parquet européen et travaillera en étroite coordination avec lui. Le Parquet européen sera compétent pour les enquêtes pénales. À la différence du Parquet européen, Eurojust n’a pas de pouvoir juridictionnel. Son rôle consiste à améliorer la coopération et la coordination entre les autorités judiciaires, il ne peut procéder lui-même aux enquêtes ou aux poursuites. Le Parquet européen collaborera également avec l’Office européen de police (Europol) qui a pour mission de coordonner et faire collaborer les forces de police des États membres. Europol n’a pas de compétences opérationnelles. Il ne peut pas mener lui-même enquêtes et poursuites. Cette répartition des compétences permettra d’assurer la protection la plus large possible du budget de l’Union européenne.
Un double niveau d’organisation
Si l’initiative du Parquet européen a été portée par 16 États membres, ils sont désormais 22 membres à participer à ce projet : l’Allemagne, l’Autriche, la Belgique, la Bulgarie, Chypre, la Croatie, l’Espagne, l’Estonie, la Finlande, la France, la Grèce, l’Italie, la Lettonie, la Lituanie, le Luxembourg, Malte, les Pays-Bas, le Portugal, la République tchèque, la Roumanie, la Slovaquie et la Slovénie. Les autres États membres : la Suède, la Hongrie, la Pologne, l’Irlande et le Danemark peuvent l’intégrer dès qu’ils le souhaitent. Bien que sa compétence soit limitée aux États membres participants, le Parquet européen coopérera avec les autres États membres de l’Union européenne non participants. À cet égard, la Commission réfléchit à la présentation de propositions appropriées pour garantir une coopération judiciaire effective. Organe doté de la personnalité juridique, le Parquet européen est compétent pour rechercher, poursuivre et renvoyer en jugement les auteurs et complices des infractions pénales portant atteinte aux intérêts financiers de l’Union, telles que définies par la directive du 5 juillet 2017 relative à la lutte contre la fraude portant atteinte aux intérêts financiers de l’Union au moyen du droit pénal, dite « directive PIF ». En pratique, il peut notamment s’agir d’escroqueries à la TVA, de faits de corruption, de détournement de fonds publics, d’abus de confiance, de blanchiment d’argent et de certains délits douaniers. Installé au Luxembourg, le Parquet européen fonctionne comme une structure collégiale, composée de deux niveaux. Le niveau central est constitué par le chef du Parquet européen, qui assume la responsabilité générale du Parquet et des 22 procureurs européens, un par État membre participant. Le bureau central reposera sur deux organes distincts : le collège et les chambres permanentes. Le collège est chargé du suivi général des activités, de la définition de la politique pénale, ainsi que des questions générales soulevées par des dossiers particuliers, notamment en vue d’assurer la cohérence et l’efficacité, dans l’ensemble des États membres, de la politique pénale. Il ne prend en revanche pas de décisions opérationnelles dans des dossiers particuliers. Les chambres permanentes, quant à elles, supervisent et dirigent les enquêtes en décidant notamment des classements sans suite, des procédures de poursuites simplifiées ou des renvois des affaires devant les juridictions nationales. Elles sont également chargées de la coordination des enquêtes et des poursuites dans les dossiers transfrontaliers, ainsi que de la mise en œuvre des décisions adoptées par le collège. Investis, conformément à l’article 13 du règlement, des mêmes pouvoirs que les procureurs nationaux dans le domaine des enquêtes, des poursuites et de la mise en état des affaires, les procureurs européens délégués sont responsables des enquêtes et des poursuites qu’ils engagent, qui leur sont confiées ou dont ils se saisissent en exerçant leur droit d’évocation. Ils sont également responsables de la mise en état des affaires et soutiennent l’accusation aux audiences devant les juridictions nationales. Ils peuvent exercer les voies de recours existantes conformément au droit national. Le niveau décentralisé est constitué par les procureurs européens délégués affectés dans les États membres, qui sont chargés du suivi opérationnel au jour le jour des enquêtes et de la conduite des poursuites pénales conformément au règlement et à la législation de l’État membre concerné. Ils agissent au nom du Parquet européen dans leur État membre respectif à partir des orientations et des instructions de la chambre permanente chargée de l’affaire et du procureur européen chargé de la surveillance. Le niveau central assure, quant à lui, la supervision, la direction et la surveillance de toutes les enquêtes et poursuites menées par les procureurs européens délégués, garantissant ainsi une politique cohérente en matière d’enquêtes et de poursuite dans l’ensemble de l’Europe. Si le Parquet européen ouvre une enquête, les autorités nationales s’abstiennent de mener leur propre enquête concernant l’infraction en question. Elles doivent également informer le parquet européen de tout comportement délictueux pertinent. Le Parquet européen poursuit les criminels concernés devant les juridictions nationales compétentes. En janvier 2019, le comité a présenté au Parlement européen et au Conseil la liste des candidats présélectionnés pour le poste de chef du Parquet européen. La roumaine Laura Codruta Kövesi a été nommée premier chef de ce Parquet européen en septembre dernier, dans le cadre d’un mandat de sept ans non renouvelable. Cette nomination a été approuvée par le Conseil et le Parlement européen les 14 et 16 octobre derniers. Elle est chargée d’organiser les travaux du Parquet européen, de le représenter, de diriger ses activités et de veiller à son bon fonctionnement. Le collège des procureurs européens sera, quant à lui, désigné pour six ans, avec une rotation partielle tous les trois ans.
Un projet ancien
Dès 2001, un Livre vert sur la protection pénale des intérêts financiers et communautaires et la création d’un procureur européen est publié deux ans plus tard, affirmant la volonté de l’Union européenne de créer un Parquet européen. La création de cette instance est inscrite pour mémoire dans le Traité de Nice (2001), dans celui de Lisbonne (2007) avec l’article 86 TFUE. En 2011, la Commission fait valoir que compte tenu des différences entre les cadres juridiques des États membres et des entraves aux enquêtes transfrontalières d’ordre opérationnel et organisationnel qui en résulte, les intérêts financiers européens ne sont pas protégés de manière uniforme dans l’ensemble de l’Union européenne. La Commission rapporte que 60 % des procureurs nationaux interrogés dans le cadre d’une enquête menée en 2011 considèrent que la dimension européenne est un facteur handicapant et 54 % limitent donc leurs enquêtes aux éléments nationaux. Une première proposition de règlement portant création du Parquet européen a été présentée par la Commission européenne en 2013 afin d’améliorer, à l’échelle de l’Union européenne, les procédures permettant de poursuivre les auteurs de fraudes. La Commission proposait que ce tribunal européen ait pour mission exclusive d’instruire des affaires et d’engager des poursuites, et, le cas échéant, de déférer devant les juridictions des États membres les cas d’infractions portant atteinte au budget de l’Union européenne. Il s’agissait dans la logique de la Commission de créer des instruments fédéraux pour protéger le budget fédéral composé de fonds provenant de tous les États membres de manière efficace dans l’ensemble de l’Union européenne. Le règlement proposé devait en principe être adopté à l’unanimité par les États membres au sein du Conseil, après approbation du Parlement européen. Après l’échec des négociations à 28, il a été proposé en décembre 2016, à l’initiative de la France et de l’Allemagne d’utiliser le mécanisme de la coopération renforcée. Pour combattre les infractions portant atteinte aux intérêts financiers de l’Union, l’article 86 du traité sur le fonctionnement de l’Union européenne (TFUE) permettait en effet à un groupe composé d’au moins 9 États membres d’aller de l’avant en cas d’absence d’unanimité au Conseil concernant la création du Parquet européen. Le 3 avril 2017, la procédure de coopération renforcée a été lancée par 16 États membres à la suite de la constatation de l’absence d’accord unanime sur la proposition de la commission. Cette procédure a été initiée sur la base du dernier texte de compromis obtenu en janvier 2017. En juin 2017, ce sont finalement 20 États membres qui se sont accordés sur les modalités relatives à la création du Parquet européen, son fonctionnement et son rôle. En novembre 2017, l’Union européenne a adopté le règlement (UE) 2017/1939 visant à établir un Parquet européen. Malte et les Pays Bas y ont adhéré en 2018. En 2018, également, le comité de sélection du Parquet européen a été mis en place pour évaluer et présenter une liste de candidats qualifiés pour les postes de chef du Parquet européen et de procureurs européens.
Des adaptations nécessaires en droit interne
Le Code de procédure pénale doit être modifié afin notamment d’exclure la possibilité pour les parquets généraux d’adresser des instructions aux procureurs européens délégués, dans le but de permettre la mise en œuvre effective sur le territoire français du règlement (UE) 2017/1939 (Projet de loi relatif au Parquet européen et à la justice pénale spécialisée, n° 283 déposé au Sénat le 29 janvier 2020). En outre, des adaptations procédurales sont nécessaires pour encadrer la conduite des investigations par les procureurs européens délégués, devant les juridictions françaises. En effet, les procureurs européens doivent pouvoir mener leurs investigations jusqu’à leur terme, y compris pour des procédures dans lesquelles les investigations nécessaires impliquent actuellement l’ouverture d’une instruction, mais ils ne peuvent cependant pas ouvrir une information devant un juge d’instruction car, dans ce cas, ils perdent la maîtrise de la conduite de la procédure. Toutefois, dans la mesure où ils agissent sous la supervision et sous la direction des chambres permanentes et qu’ils exercent une fonction de poursuites, ils ne peuvent pas, à la différence du juge d’instruction, être pleinement autonomes dans la conduite de leurs investigations. Ils doivent ainsi, pour certaines mesures de sûreté ou mesures portant atteinte à la vie privée, solliciter l’autorisation du juge des libertés et de la détention. Compte tenu de son statut d’indépendance renforcé, le procureur européen délégué peut en revanche ordonner, maintenir ou modifier lui-même des placements sous contrôle judiciaire. Un recours est possible devant le juge des libertés et de la détention. Enfin, l’institution du Parquet européen nécessite une adaptation du Code de l’organisation judiciaire afin d’ancrer la spécialisation du tribunal judiciaire de Paris, désormais compétent sur l’ensemble du territoire national pour connaître des procédures suivies par les procureurs européens délégués. Des adaptations procédurales dans le Code des douanes sont enfin nécessaires pour encadrer la conduite des investigations par les procureurs européens délégués agissant au nom du Parquet européen lorsque ces investigations porteront sur des infractions prévues et réprimées par le Code des douanes.