Procès de Saint-Étienne-du-Rouvray : une cible hautement symbolique

Publié le 14/02/2022

Le procès de l’assassinat du père Jacques Hamel le 26 juillet 2016 à Saint-Étienne-du-Rouvray s’est ouvert ce lundi 14 février devant la cour d’assises de Paris spécialement composée. Beaucoup de témoins ont d’ores et déjà fait savoir qu’ils ne se présenteraient pas,  alléguant de leur situation médicale. Parmi eux, des membre des familles des accusés mais aussi les policiers des services de renseignements accusés par Mediapart d’avoir été au courant du projet d’attentat. 

Palais de justice de Paris
Photo : ©AdobeStock/ataly

Le moins que l’on puisse dire, c’est que le procès de l’attentat terroriste de Saint-Étienne-du-Rouvray n’attire pas les foules médiatiques. On ne comptait à l’ouverture des débats ce lundi matin devant la cour d’assises de Paris spécialement composée qu’une vingtaine de journalistes. L’affaire du moment,  celle qui attire chroniqueurs et projecteurs, c’est celle de Nordahl Lelandais en Isère. Quant au terrorisme, la capacité d’attention des médias semble saturée par l’énorme procès des attentats du 13 novembre qui se déroule de l’autre côté du palais de justice depuis le mois de septembre 2021.

Le père Hamel, 85 ans,  poignardé dans son église

En revanche, le public était présent  en nombre sur les bancs de la salle Voltaire pour tenter de comprendre ce qui a pu motiver l’assassinat du Père Hamel le 26 juillet 2016 dans l’église de Saint-Étienne-du-Rouvray, petite commune normande de 28 000 habitants située dans le département de la Seine-Maritime. Ce jour-là, le curé âgé de 85 ans,  vient juste d’achever la célébration de la messe du matin pour cinq paroissiens, un couple âgé et trois religieuses ; il est 9h30 lorsque Adel Kermiche et Abdel Malik Petitjean vêtus de noir et armés entrent dans l’église par la porte de la sacristie en criant Allahu Akbar. Ils poignardent le prêtre puis le paroissien à qui ils avaient demandé de filmer la scène. Une religieuse parvient à s’échapper et donne l’alerte. Les deux terroristes sont abattus à leur sortie par la BRI. L’attentat est immédiatement revendiqué par l’Etat islamique. 

Six ans plus tard, quatre accusés doivent répondre de l’attentat devant la justice. Rachid Kassim, originaire de Roanne, est accusé d’être l’instigateur. Sous le coup d’un mandat d’arrêt, il aurait été tué à Mossoul en Irak par une frappe de drone en février 2017. Jean-Philippe Steven Jean-Louis lui, est présent. Chemine grise et masque bleu, ce français d’origine haïtienne âgé de 26 ans est accusé d’avoir été en contact avec les auteurs de l’attentat, d’être un propagandiste, d’avoir voulu se rendre en Syrie, et d’avoir recruté des candidats au djihad, dont un mineur de 15 ans. Le deuxième accusé, Farid Khelil, polo blanc sous un pull bleu à col rond, cheveux attachés en une courte queue de cheval, est âgé de 37 ans. Lui aussi est accusé d’être acquis aux thèses du djihad armé et d’avoir fait de la propagande. Il aurait en outre tenté de se rendre en Syrie avec Abdel Malik Petitjean et Jean-Philippe Steven Jean-Louis. Il connaissait le projet d’attentat, estime l’accusation, et aurait même eu l’intention de commettre une action violente. 

Le troisième enfin est Yassine Sebaihia, 28 ans, pull rouille cheveux longs frisés couvrant en partie son visage et ses épaules. Lui suivait de nombreuses chaines djihadistes, il était en contact avec Kermiche et surtout, il est démontré qu’il s’est rendu à Saint-Étienne-du-Rouvray la veille de l’attentat où il a séjourné chez les deux auteurs de l’assassinat. Les trois accusés présents encourent 30 ans de réclusion pour association de malfaiteurs en lien avec une entreprise terroriste. Rachid Kassim est poursuivi pour la même infraction mais également pour complicité, il risque lui la perpétuité. 

Quand les témoins se défilent…

Les accusés sont invités à décliner leur identité, puis le président Franck Zientara procède à l’appel des témoins, ainsi qu’il est d’usage. Nombreux sont ceux qui ont décidé de déclarer forfait. On ne peut s’empêcher de songer que l’audience, même criminelle, tend à être désertée. La visioconférence lui a déjà porté un coup mortel en rendant possible le témoignage à distance par écran interposé. Les experts en ont profité pour s’éviter des frais de déplacement, ce qui se comprend tant ils sont  mal rémunérés, les policiers y ont vu l’opportunité dans les affaires terroristes de ménager leur sécurité, les familles quant à elles y ont trouvé la possibilité de déférer à une convocation à distance quand elles ne peuvent se déplacer. Mais ce matin, même la visioconférence semblait pour beaucoup être un effort trop pesant. La mère de Rachid Kassim a écrit une longue lettre au président dans laquelle elle n’en finit plus d’étaler les souffrances que lui a causé un fils qu’elle renie. Elle ne viendra pas. Elle n’est pas la seule. Dans les procès de terrorisme, il est assez courant que les familles refusent de se déplacer. Souvent elles expliquent qu’elles ne veulent plus entendre parler du frère, du mari, du fiancé qui a transformé leur vie en enfer. Le père de Rachid Kassim, qui vit en Ephad, ne viendra pas non plus, sa santé ne le lui permet pas. On n’entendra pas davantage la mère de Farid Khelil, pour raison de santé. Ni celle Jean-Philippe Steven Jean-Louis. Elle est retournée en Haïti, pour soigner son cancer, précise l’une de ses filles qui, elle, s’est présentée à l’appel des témoins. « Elle est partie en novembre sachant que le procès allait se tenir maintenant », s’agace le président. « Elle pense qu’elle sera mieux soignée là-bas », poursuit-il. « Quand vous allez mourir vous avez envie de rejoindre votre famille, et puis vous savez, en Haïti on se soigne avec des plantes », explique la soeur de Jean-Philippe Jean-Louis. 

« Dans la République c’est la justice qui a le dernier mot, pas la police »

Plusieurs autres témoins produisent des certificats médicaux pour expliquer que tout déplacement leur est décommandé. Le président consent à de nombreux « passé outre », autrement dit il entérine ces refus, sachant qu’il aurait le pouvoir de contraindre les témoins à se présenter. Jusqu’à ce qu’on arrive au cas des policiers mis en cause par Mediapart. Selon le site en effet, les services de renseignements aurait été informés du projet d’attentat dans cette église mais la note blanche serait demeurée dans les limbes en raison de l’absence d’une hiérarchie pour la valider. Quatre policiers produisent des certificats médicaux pour justifier de leur refus de témoigner.  Ils ont deux raisons : « la mise en cause de leur probité » par Mediapart et l’attaque au couteau qui les a eux-mêmes frappés à la Préfecture de police le 3 octobre 2019, quatre de leurs collègues ont été assassinés. La directrice du renseignement propose de témoigner à la place de ses hommes.  Me Christian Saint-Palais,  qui défend la famille Hamel, souligne que personne sur le banc des victimes ne peut mieux comprendre leur douleur mais qu’il est important qu’ils soient là.  Francis Szpiner, l’un des avocats de l’AFVT et de plusieurs personnes physiques parties civiles, dit les choses avec moins de précautions que son confère. Usant de toute l’autorité de son timbre grave, il assène : « Je trouve hallucinante cette épidémie et cette dérobade chez les forces de l’ordre. Quant aux certificats médicaux, j’y accorderais crédit s’ils étaient en arrêt de travail depuis longtemps, mais une simple convocation pour témoigner !  Si la directrice veut venir en plus,  tant mieux,  mais pas à la place, on ne témoigne pas par procuration. Dans la République c’est la justice qui a le dernier mot, pas la police » tonne l’avocat avant de se rasseoir. 

Ce n’est pas l’avis de l’avocate générale. Après avoir rappelé que l’enquête avait été classée sans suite, elle s’étonne qu’on renonce à entendre les témoins qui produisent un certificat et même ceux qui n’en ont pas comme la mère de l’accusé Jean-Philippe Jean-Louis, mais que soudain on hésite  quand il s’agit des policiers comme si eux étaient « quasi inhumains ».   « Quel intérêt d’avoir des personnes brisées psychologiquement, à cause de Saint-Étienne-du-Rouvray, mais aussi de l’attentat au sein même de leurs locaux, ce n’est pas opportun de les forcer à comparaitre » estime l’avocate générale qui en revanche ne voit pas d’obstacle à ce que leur chef vienne à la barre.  La défense de son côté rejoint les parties civiles, dénonçant ces « soudaines défaillances de santé » alors que les policiers ne sont convoqués qu’à titre de témoins.  Le Président décide de surseoir à statuer et débute son rapport sur les faits de ce dossier dont le caractère terroriste est lié notamment au choix de la cible  si « hautement symbolique ». 

Dans leur box, les accusés espacés de plusieurs mètres se taisent et écoutent l’aride introduction procédurale qui marque l’ouverture des débats. Un autre dialogue plus humain se noue en silence. En effet, en face d’eux sont assises les parties civiles, dont  notamment la soeur du Père Hamel et Monseigneur Dominique Lebrun, archevêque de Rouen. Ce-dernier considérait la victime comme « un frère aîné ». Tous deux témoigneront jeudi. Accusés et parties civiles vont ainsi poursuivre leur face à face, avec tout ce qu’il comporte d’échanges muets,  jusqu’au 11 mars, date du verdict. 

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