Saint-Étienne-du-Rouvray : 7 à 14 ans de prison requis contre les trois accusés

Publié le 08/03/2022

L’un était sur place avec les tueurs la veille de l’attentat, l’autre était un cousin de l’un des assaillants, le troisième animait une chaine djihadiste, tous rêvaient d’aller en Syrie. Le parquet a requis lundi après-midi de 7 à 14 ans de prison contre les accusés.

Saint-Étienne-du-Rouvray : 7 à 14 ans de prison requis contre les trois accusés
Photo : ©AdobeStock/Pixarno

Les trois accusés sont assis dans le box à bonne distance les uns des autres. Depuis le début du procès on ne voit quasiment que leur tête, masquée pour cause de covid, dépasser de la cloison qui les sépare du reste de la salle. Trois hommes jeunes dont les profils se tendent en direction de la cour en ce lundi après-midi où ils vont découvrir les réquisitions du parquet à leur encontre. En face, les bancs des parties civiles sont pleins ; on reconnait Roseline Hamel, la sœur de Jacques Hamel au premier rang, fidèle au poste depuis le premier jour des débats.

« Vous n’allez pas tuer votre grand-père ! »

L’après-midi de ce lundi devait être consacrée uniquement aux réquisitions mais les plaidoiries des parties civiles le matin ont débordé. Résultat, avant d’entendre les deux avocates générales, le public est replongé par Me Méhana Mouhou, l’avocat du paroissien poignardé Guy Coponet, dans l’horreur des événements. Il décrit les 26 coups de couteau portés sur l’autel de l’église, « ce mémoriel de Jésus, cette table de convivialité » en ce sinistre matin du 26 juillet 2016. Puis il lit le témoignage de l’épouse de Guy Coponet. Elle aussi était présente dans l’église ce matin-là, elle est décédée en avril dernier. Elle raconte sa sidération quand elle a vu les deux hommes brutaliser le prêtre. « Vous n’allez pas tuer votre grand-père » supplie son mari. « J’ai fermé les yeux, je l’ai confié à Ste Thérèse, quand je les ai rouverts, j’ai vu mon mari qui saignait. Ils nous disaient « Jésus n’est pas le fils de Dieu, il n’y a qu’Allah qui est dieu » ». Elle raconte l’incroyable violence, le saccage de la statue de la vierge, la croix de procession jetée à terre, et puis le prêtre mort, son mari plein de sang à cinq mètres d’elle, l’une des religieuses présentes qui prie.

« On lave le sang par le droit »

« On lave le sang par le sang, quand on est abonné aux chaines djihadistes, ici, on lave le sang par le droit, explique calmement l’avocat qui poursuit,  Guy Coponet lui lave le sang par le pardon qui n’est ni l’excuse ni l’oubli, mais simplement la volonté d’être en paix ». Le procès des attentats du 13 novembre est qualifié d’historique, ce qui n’est pas le cas de celui de l’assassinat du père Hamel. « Ce n’est pas la procédure qui a rendez-vous avec l’histoire corrige Me Mouhou, mais les faits, c’est la première fois qu’une église est attaquée, un prêtre égorgé, des paroissiens terrorisés ». C’est donc aussi un procès historique, même si celui-là, contrairement aux autres, n’est pas enregistré. L’avocat dénonce cette violence aveugle qui se fait passer pour religieuse : « On juge ici trois accusés qui ont dévoyé l’islam, piétiné leur Dieu. Si Dieu voit ce qu’il voit, des enfants qui écoutent de la musique rock à Raqqa et que l’on exécute au nom de l’islam, des hommes coupés en deux, des femmes violées, je suis persuadé que leur Dieu est devenu athée. Si leur paradis est fait de meurtres, de crimes, de sang, d’exécutions sommaires, je préfère de loin notre enfer sur terre ».

« On a laissé faire, on a regardé ailleurs »

Dans cette affaire, comme dans les autres, la police et les renseignements ont été mis en cause. Eux sont les premiers d’ailleurs à considérer qu’un attentat, c’est un échec.  Me Mouhou entend pointer d’autres responsables. « On a laissé faire, on a regardé ailleurs, il n’est pas normal que l’islam politique soit entré dans la tête d’une génération dont les parents pratiquent un islam tranquille ». Le résultat, explique-t-il, ce sont ces hommes dans le box et beaucoup de victimes. Il cite le commandant Massoud : « rien ne justifie le terrorisme, ce sont des lâches et quand ils se disent musulmans, ils sont en plus des traitres ».  Si l’avocat se défend d’être un procureur privé et s’empêche donc de parler des accusés, il fait cependant remarquer que leur défense consistant à soutenir qu’ils ne prenaient pas cette violence au sérieux ne tient pas.  « On ne peut pas regarder des vidéos djihadistes « à l’insu de son plein gré », non, il y avait une proximité, une idéologie.  Ils ont pris la direction du souffre, de la poudre et de la mort ».

Les paroles des victimes « d’une humanité exceptionnelle, d’une justesse absolue »

Lorsque la première avocate générale Saliha Hand Ouali prend la parole, elle tient à rappeler les moments lumineux de ce procès : le témoignage de Roseline Hamel, celui de Guy Coponet, des membres de leur famille, et puis de Dominique Lebrun, archevêque de Rouen. Elle salue des paroles d’une « humanité exceptionnelle, d’une justesse absolue », « nous avons tous été bouleversés par leurs mots, la bienveillance, l’espoir, la fraternité, la paix, sont des valeurs universelles, nous tenions à rendre un hommage appuyé aux victimes ». Le problème de l’accusation dans cette affaire comme dans beaucoup d’autres, c’est qu’elle ne présente aux juges que des « seconds couteaux ». Généralement, les terroristes meurent en « martyr » (usage discutable du terme, a souligné Monseigneur Lebrun lors de son témoignage car un martyr meurt pour la vie, en refusant la violence), cherchant les tirs des policiers quand ils ne se font pas sauter avec des explosifs. Adel Kermiche et Abdel-Malik Petitjean ont été tués à la sortie de l’église de Saint-Étienne-du-Rouvray qu’ils venaient de profaner.

« boum crac badaboum »

Puisque les trois accusés ne sont pas les auteurs de ces assassinats, faut-il en déduire que la justice force les choses et tente de trouver des coupables ? Non, assure l’avocat générale. L’association de malfaiteurs en lien avec une entreprise terroriste vise précisément à réprimer les comportements illustrés par les accusés : projets de départ en Syrie, consultation de sites djihadistes, préparation d’actions terroristes. Durant les débats, ils ont tenté de minimiser leur rôle en expliquant qu’ils regardaient par curiosité.  « L’argument de la curiosité n’est pas recevable, tacle l’avocat générale. Lorsqu’on consulte quelques secondes cette documentation on est saisi d’effroi, et quand on prolonge, c’est nécessairement par adhésion ». Les accusés disent aussi qu’ils n’ont pas pris les propos qu’ils lisaient au sérieux. Yassine Sebaihia, le jeune un peu paumé qui cherchait des amis et qui est parti rejoindre les terroristes la veille de l’attaque soutient qu’il n’a pas compris ce qui se tramait. Et lorsque Abdel-Malik Petitjean envoie un message à son cousin Farid Khelil, pour lui dire qu’il va faire « boum crac badaboum », celui-ci répond qu’il ne l’a pas pris au sérieux, servi il est vrai par la terrifiante légèreté de l’expression utilisée. Le « boum crac badaboum » a consisté à attaquer une église et poignarder un prêtre ,et c’est Abdel-Malik Petitjean qui tenait le couteau.  « Ces propos tenus sur une messagerie cryptée sont nécessairement à prendre au sérieux » souligne l’avocate générale qui enfonce le clou « Ces interfaces sont neutres. J’ai téléchargé telegram, je n’ai reçu aucune suggestion de djihad, si vous avez ce type de contenu c’est toujours positif et volontaire, on recherche, on s’inscrit, on consulte ».

« Une pensée totalitaire reposant sur des certitudes »

 Le parquet national anti-terroriste connait bien ces profils et propose d’éclairer la cour à ce sujet. « Leur pensée est binaire, il y a d’un côté eux, les musulmans, de l’autre les mécréants.  Là où notre pensée issue des Lumières a pour soubassement le doute, ils opposent une pensée totalitaire reposant sur des certitudes ». Elle dénonce également le renversement total des valeurs et cite Monseigneur Lebrun : un martyr se sacrifie pour la vie. « Or, la phrase la plus récurrente dans tous les dossiers est celle-ci : « Nous aimons la mort comme vous aimez la vie ».

S’il n’existe pas de profil type de djihadistes, certains sont musulmans, d’autres convertis, il y a des gens inconnus de la justice, et des personnalités ancrées dans la délinquance, des manipulateurs et des personnes atteintes de troubles mentaux, en revanche on observe des récurrences. Dans tous les profils de radicalisés ou presque il existe un questionnement existentiel auquel le prêt-à-penser djihadiste apporte des réponses, une volonté d’appartenir à une communauté, un sentiment d’exclusion lié à un contexte d’échec personnel total (l’engagement emporte revalorisation de l’ego), une victimisation en tant que musulman, et la recherche d’un cadre. Elle souligne la volatilité des projets de djihad low cost (commis sans moyens, n’importe quoi devenant une arme), deux jours avant, ils hésitaient encore entre partir en Syrie, frapper à l’église ou attendre un mystérieux afghan et sa kalachnikov. « C’est cette volatilité qui justifie la jurisprudence de la chambre criminelle n’exigeant pas la connaissance d’un projet précis pour condamner ». Comprendre que même si les accusés prétendent avoir ignoré le projet exact, ils étaient quand même suffisamment impliqués pour être considérés comme coupables des faits reprochés.

« Le pacifiste, le dissimulateur et l’apprenti »

Avec sa collègue Marine valentin, les deux avocates générales structurent à tour de rôle l’accusation en réponse au discours des accusés ayant consisté pour l’un à dénoncer un costume trop grand pour lui, pour l’autre à se présenter comme un pacifiste infiltré chez les djihadistes pour les convertir à un islam de paix, pour le troisième enfin à donner l’image d’un solitaire un peu lunaire simplement en quête d’amitié.

Contre Jean-Philippe Steven Jean-Louis, le « pacifiste » qui a créé sa chaine djihadiste et multiplié les cagnottes pour financer divers projets tombe la réquisition la plus lourde : 14 ans de réclusion criminelle assortie d’une période de sûreté des deux-tiers. Pour n’avoir pas empêché le « boum crac badaboum » mais au contraire l’avoir encouragé, la peine de neuf ans d’emprisonnement assortis d’une période de sûreté des deux-tiers (donc 6 ans) est requise contre Farid Kehlil. « Sa dangerosité résulte de sa fascination pour les armes, la violence inquiétante dont il a été capable de faire preuve et ses pratiques de dissimulation » souligne Marine Valentin.  Arrêté et placé en détention provisoire en 2016, Il sera en bout de peine en juillet prochain. Enfin, contre « l’apprenti djihadiste » Yassine Sebaihia au processus de radicalisation « foudroyant » le parquet réclame 7 ans. Lui aussi pourra donc sortir très vite.

Reste le grand absent, Rachid Kassim. Né en 1987 à Roanne, ce rappeur raté a rejoint l’état islamique en 2015 d’où il a monté à distance des commandos terroristes destinés à frapper sur le sol français. Il est accusé d’avoir téléguidé l’attentat de Magnanville, celui de Saint-Étienne-du-Rouvray, la tentative d’attentat à la voiture piégée près de Notre-Dame en septembre 2016 ainsi que de nombreuses autres opérations, heureusement déjouées par les services d’enquête.  L’homme serait mort en Irak en 2017.  Contre « l’ombre noire » des dossiers terroristes, elles requièrent la réclusion criminelle à perpétuité assortie d’une peine de sûreté de 22 ans.

La journée de mardi est consacrée aux plaidoiries de la défense. Le verdict sera rendu mercredi.