Saint-Étienne-du-Rouvray : « La défense s’incline devant la mémoire du Père Hamel »

Publié le 08/03/2022

Ce mardi, la cour a entendu les plaidoiries de la défense. Dans ce procès empreint d’un humanisme singulier, les mots des avocats ont pris une résonance particulière. Là plus qu’ailleurs, il a été possible de se pencher sur ces destins fracassés sans que cela passe pour un artifice rhétorique.  

Saint-Étienne-du-Rouvray : "La défense s'incline devant la mémoire du Père Hamel"
Photo : ©Florence Piot/AdobeStock

Me Bérenger Tourné est un avocat électrique. Durant les trois  semaines qu’a duré le procès de l’attentat de Saint-Etienne-du-Rouvray, l’avocat de Jean-Philippe Steven Jean-Louis a plusieurs fois laissé transparaitre une tension signalant une rage silencieuse. Ainsi va l’exercice judiciaire, il impose à chacun d’écouter les autres, jusqu’à parfois l’insupportable. Certains s’en accommodent mieux que d’autres. On brulait donc de connaître les raisons de ce courroux certes maitrisé, mais pas au point d’en être invisible.  Il a fallu attendre ce mardi après-midi, pour que, à l’occasion de sa plaidoirie pour Jean-Philippe Jean-Louis, l’avocat libère enfin toute cette fureur. Et cette fureur était belle. Jean-Philippe Steven Jean-Louis c’est le jeune homme d’origine haïtienne accusé d’avoir animé une chaine djihadiste, encouragé Petitjean dans son projet, monté une cagnotte pour le soutenir, et incité ensuite Farid Khelil a venger la mort de son cousin Petitjean. Des trois accusés, il est celui contre lequel les avocates générales ont requis la peine la plus lourde lundi.

La chance de la défense dans ce procès, ce sont les victimes

Le problème de la défense dans ce procès est triple. D’abord il y a l’horreur des faits et la lourde charge symbolique que représente l’assassinat en France dans une église normande d’un prêtre âgé en pleine messe. Ensuite, la défense doit composer avec le fait que les auteurs sont morts et qu’il ne reste donc à la justice que les « seconds couteaux ». Enfin, plane sur cette affaire la décision prise par une juge d’instruction de remettre en liberté Adel Kermiche dont tout le monde savait qu’il était radicalisé. A cela s’ajoute le fait que les accusés se sont indéniablement radicalisés et ont côtoyé chacun à sa manière les auteurs de l’attentat en partageant la même idéologie qu’eux. Le tableau n’est pas complètement sombre toutefois. La  chance de la défense, propre à ce dossier très particulier, c’est la hauteur spirituelle des victimes qui n’ont cessé de tenir un langage d’humanité, de paix et de pardon.

La leçon de dignité, d’humanité et de compassion de Madame Hamel

Me Tourné le sait et c’est très intelligemment qu’il débute sa plaidoirie par un hommage « la défense s’incline devant la mémoire de Jacques Hamel, elle s’incline devant la peine endurée par toutes et tous et peut-être davantage devant la violence atroce subie par M. Coponet, devant la souffrance infinie endurée par Madame Hamel ». De Guy Coponet racontant avec diginité son supplice à l’audience – il a été poignardé et laissé pour mort – l’avocat confie  « Il me semble que la vie coulait d’entre ses lèvres ». Puis se tournant vers Roseline Hamel, assise au premier rang face à lui :  «  Madame, vous êtes un tel concentré de miséricorde qu’il faudrait enseigner votre témoignage au catéchisme comme leçon de dignité, d’humanité et de compassion ».  Si les religieuses qui ne sont pas venues témoigner ont néanmoins fait parvenir des lettres, l’avocat résume leur contenu en citant le Christ « Pardonnez-leur, ils ne savent pas ce qu’ils font ». Lui ne demande pas le pardon pour les accusés, cela relève du ciel, sur terre c’est plus compliqué. « Comment peut-il se faire que des enfants de la République française nés l’un à Saint-Aignan l’autre à Saint-Dié, aient pu poignarder deux hommes dont ils ne savaient rien, qui ne leur avaient rien fait ? Comment ces deux-là, à l’âge ou la vie doit être prometteuse et légère, ont pu commettre semblable barbarie, avant de s’offrir eux-mêmes en holocauste ? ». La réponse est à rechercher dans l’ignorance, l’inculture, l’illettrisme, voilà le terreau fertile, estime l’avocat. « Chaque enfant qu’on enseigne est un homme qu’on gagne » écrivait Hugo dans un poème écrit au retour de la visite d’un bagne. L’avocat en lit quelques lignes, bouleversantes.

« Aveugles effrayants, au regard sépulcral »

« Celui qui n’a pas les mots n’est pas capable de pensée critique, c’est avec des mots qu’on passe des idées au jugement de valeur, plus on sait de mots plus la nuance est accessible. Kermiche, Petitjean, des mots, ils n’en avaient pas dans leur tête, alors ils se sont remplis de maux, misère sociale, pauvreté intellectuelle ». Et voici que les vers d’Hugo prennent une force singulière lus dans ce prétoire par l’avocat d’un homme accusés d’avoir participé à la préparation d’un acte terroriste.

« Faute d’enseignement, on jette dans l’état,

Des hommes animaux, têtes inachevées, 

Tristes instincts qui vont les prunelles crevées, 

Aveugles effrayants, au regard sépulcral, 

Qui marchent à tâtons dans le monde moral ». 

Après un bref couplet politique qui ne s’imposait pas sur le djihadisme produit de l’impérialisme et de notre néocolonialisme, « on en achète des kalachnikovs avec 13 millions d’euros » fulmine l’avocat, faisant allusion aux accusations à l’encontre de Lafarge d’avoir versé cette somme à Daech pour poursuivre ses activités, Me Tourné s’attaque au dossier.

Kassim, « Ce croque-mitaine ressuscité pour les besoins de l’instance »

Il commence par en dénoncer les failles. En particulier, l’absence des auteurs, morts sous les balles des policiers mais aussi de Rachid Kassim. Accusé d’avoir téléguidé cet attentat (et d’autres : Magnanville, la tentative avortée de voiture piégée près de Notre-Dame), il serait mort en Irak en 2017.  « Depuis 5 ans, plus de son plus d’image, et on continue néanmoins de lui faire des procès, ce doit être le sixième !  L’action publique devrait être éteinte. Pourquoi faire le procès en cour d’assises de ce croquemitaine ressuscité pour les besoins de l’instance alors que les faits imputés n’ont pas été évoqués un seul instant ? Vous-même, Monsieur le président, n’avez pas fait l’instruction à l’audience des faits qui lui sont reprochés ». Pour l’avocat, « le jugement par contumace de Kassim, permet de couvrir le camouflet de la non prise en compte des notes de la police de juillet ». Le voici qui s’attaque à la police, affirmant que « toute la fine fleur de l’antiterrorisme était au courant le 21 d’un projet d’attentat imminent ».

« On convoque des chimères pour servir de victimes expiatoires »

« Comme il faut bien remplir le box, on convoque des chimères pour servir de victimes expiatoires » tempête l’avocat qui alterne avec talent différents registres depuis le ton de la confidence, jusqu’à l’indignation tonitruante en passant par la lenteur solennelle. Décidé à pulvériser l’accusation, il multiplie les formules percutantes. « D’un côté la chair à canon, Kassim, Kermiche, Petitjean, de l’autre la chair à procès, ceux-là » et ils montre les accusés dans le box. Au parquet qui soutient qu’il n’est pas nécessaire de connaitre un projet terroriste dans le détail pour être reconnu coupable d’association de malfaiteurs en lien avec une entreprise terroriste, l’avocat rétorque que « participer, c’est prendre part » et que connaitre un projet suppose d’en savoir la nature et la teneur. « Il faut passer du stade purement intellectuel aux actes préparatoires, les juges doivent donc apprécier ce qui est arrêté et ce qui est matériellement entrepris pour y parvenir ». Le voici qui entre au cœur de son système de défense.

Oui, son client a participé à une association de malfaiteurs, mais c’était pour partir en Syrie, et celle-là ne relève pas des assises mais de la correctionnelle (10 ans encourus). Pour l’autre association de malfaiteurs qui a uni Kermiche et Petijean dans le projet d’attaquer une église et d’égorger un prêtre, aucun élément ne permet de dire que Jean-Philippe Jean-Louis savait ni qu’il a participé. Mieux, Petitjean avec qui Jean-Philippe Jean-Louis a tenté de rejoindre la Syrie non seulement n’a pas fait appel à lui pour commettre l’attentat mais en plus il n’a cessé de lui mentir. Reprenant le mot du célèbre Moro-Giafferi, il lance à la Cour « Suivez-moi jusque-là, et je vous le livre ». « Nul n’est responsable que de son propre fait pas de ce qu’il aurait pu faire ou de ce qu’il pourra faire demain, la peine n’a pas de rôle de prévention, ça c’est le rôle de la détention provisoire et il y est depuis 6 ans ».  Et pour continuer de déplacer le centre de gravité du débat judiciaire sur un terrain plus favorable, il appuie sur le point faible de la plupart des procès de terrorisme, l’absence des auteurs :  « Si Kermiche et Petitjean avaient survécu aurait-on fait de la place pour faire entrer ces trois-là ?  Je sais la réponse ». On la devine aussi.

« Il est seul dans sa couveuse, seul à l’hôpital, seul dans son foyer »

Les questions juridiques étant réglées, il reste l’humain. L’exercice est difficile car mal réalisé il peut susciter le désagréable sentiment que l’avocat de l’accusé tente de voler leur rôle aux victimes. Mais il est vrai que Jean-Louis a le profil idéal pour susciter, à juste titre, la pitié. C’est un misérable, plaide son avocat renouant avec le Hugo du début de sa plaidoirie «  fils d’une Fantine amourachée d’un riche ingénieur qui va les abandonner l’une et l’autre, mais il n’y a pas eu de Valjean ». Puis il ose, dans cette salle où l’on juge l’assassinat d’un prêtre catholique, parler du chemin de croix de l’accusé. Et ça passe. « La première station est sa naissance, 5 mois, il est expulsé, c’est l’âge des premières échographies, il est mort-né à 5 mois. Le taux de survie est de 1%. S’ensuivent plusieurs mois de soins intensifs ». L’avocat s’indigne, s’emporte et met la justice en accusation :  « ça coutait quoi de faire une expertise neuropsychique quand on voit le temps qu’accordent les experts aux entretiens avec les accusés, une demi-heure en maison d’arrêt, ils passent plus de temps à rédiger leur rapport ». Puis il reprend sa métaphore christique. « Deuxième station son enfance. De jeunesse , Jean-Philippe Jean-Louis n’en a pas eu, abandonné à son sort médical par son père, par sa mère. La pauvre femme avait-elle les moyens physiques avec sa tumeur au cerveau de faire mieux ? Il est seul dans sa couveuse, seul à l’hôpital, seul au foyer. Troisième station le foyer, l’adolescence rime avec violence, il s’enferme dans sa chambre pour échapper aux grands ». Là, il a développé non pas de la colère mais « la fureur de vivre une autre vie ». Alors  il ouvre la seule fenêtre possible sur le monde, celle d’internet où il est l’avatar de lui-même évoluant au milieu d’autres avatars, où personne ne connait sa frêle stature et sa « patte folle » (il a un problème à une jambe). « Il pensait en deux dimensions, sans relief, sans nuances. Sa vie c’est la caverne de Platon, il n’y a que des ombres, pour compagnons que des avatars, pour conversation des sms ». Le virtuel devient son univers, sa vraie famille tandis qu’il se sent étranger auprès de ses sœurs et de sa mère qui ont vécu sans lui et où il est le seul homme.

« C’est entre quatre murs qu’il a déjà raté toute sa vie »

Vient le moment de conclure. L’avocat cite les très nombreux clients qu’il a défendus dans des procès terroristes. « Le seul point commun, qu’il a avec tous ceux-là, c’est son avocat, il aurait peut-être mieux fait d’en prendre un autre. Ils étaient à la mesure, Jean-Louis lui il est vaincu par les circonstances d’être né trop tôt, d’avoir vécu trop peu, de n’avoir profité jamais. Jugez-le pour ce qu’il a fait, à la mesure de ce qu’il a vécu. Rendez un verdict de compassion, lumineux à l’image des parties civiles. Mais ne le condamnez pas à l’enfermement car c’est entre 4 murs qu’il a déjà raté toute sa vie ». Toute la fureur est sortie. L’avocat se tait. Il a offert l’ultime moment de grâce de ce procès. Les débats n’ont pas été enregistrés, contrairement à ceux du procès des attentats du 13 novembre et c’est regrettable. Ils resteront dans la mémoire de ceux qui y ont assisté comme un moment judiciaire empreint d’une humanité exceptionnelle.

Demain mercredi, la cour entendra le dernier mot des accusés puis se retirera pour délibérer. Le verdict, comme il est d’usage aux assises, sera rendu dans le prolongement des débats.