Procès des attentats de Trèbes et Carcassonne : les raisons d’un verdict jugé clément
Le parquet avait requis respectivement dix et onze ans contre les deux principaux accusés dans le procès des attentats de Trèbes et Carcassonne. La cour a prononcé des peines de trois et cinq ans. La lecture de la feuille de motivation éclaire le sens du verdict.
La feuille de motivation du verdict dans l’affaire des attentats de Trèbes et Carcassonne s’est fait attendre ! Lors de l’audience civile du 28 février, les avocats se sont plaints en effet de ne pas en avoir eu communication (notre article ici). Enfin, disponible, sa lecture s’avère très éclairante sur un point de droit intéressant relatif à la possible requalification d’une infraction terroriste en infraction de droit commun en cours de procès. Elle permet aussi de comprendre ce qui a motivé les peines assez faibles prononcées contre les deux principaux accusés, l’ami du terroriste, Samir Manaa et sa petite amie, Marine Pequignot.
Peut-on, au stade des réquisitions, requalifier une infraction terroriste en droit commun ?
Lors de leur réquisitoire, les deux magistrates du parquet ont demandé la requalification de l’accusation d’association de malfaiteurs terroriste en association de malfaiteurs de droit commun contre trois des sept accusés (lire notre compte rendu ici). Motif ? Le parquet a estimé à l’issue des débats que les faits retenus à leur encontre ne relevaient pas du terrorisme. Deux d’entre eux sont des trafiquants de stupéfiants. Ils l’ont avoué. Mais la seule présence d’un terroriste dans leur activité illégale ne saurait transformer celle-ci en association de malfaiteurs terroriste. Par ailleurs, rien ne démontre que ce groupe délictueux ait fourni les moyens matériels de commettre l’attentat, ce d’autant plus que celui-ci a nécessité très peu d’investissement (un couteau, une arme de poing, quelques bombes artisanales et une voiture, volée à une de ses victimes). Le troisième homme est le frère du meilleur ami du tueur chez qui on a retrouvé une arme et un bonnet avec l’ADN de Radouane Lakdim. Là encore, le lien est trop ténu pour qualifier l’infraction terroriste. Pour autant, ces hommes ont bien commis des infractions aux yeux du parquet, d’où la proposition de requalification.
La Cour n’a pas suivi le parquet (lire notre article sur l’annonce du verdict ici). Pour trois raisons. D’abord la demande est intervenue lors des réquisitions, empêchant donc tout débat contradictoire sur le sujet. Ensuite parce que les faits, « bien que reconnus dans leur principe (tout du moins s’agissant du trafic de stupéfiants) n’ont donné lieu à aucune investigation spécifique, à aucun questionnement approprié et à aucune extension de saisine ». Enfin, parce que les faits connexes de trafic de stupéfiants ont été expressément exclus par les juges d’instruction et le parquet, rappelle la cour qui souligne qu’ils ont donné lieu à deux autres informations judiciaires. Elle en déduit qu’elle n’est pas saisie de ces faits, autrement que dans un cadre terroriste.
Un doute sérieux
Autre point qui a surpris, l’acquittement au titre de l’association de malfaiteurs terroriste de Samir Manaa, l’homme qui a emmené Radouane Lakdim acheter le couteau avec lequel Arnaud Beltrame a été tué. La cour estime que contrairement à ses allégations, il était parfaitement conscient de la radicalisation de Radouane Lakdim, comme tous ceux qui le fréquentaient. Pour autant, l’existence d’un groupe criminel n’est pas démontrée. Par ailleurs, « un doute sérieux subsiste » sur le point de savoir s’il avait conscience en allant dans ce magasin de participer à la préparation d’un acte terroriste. Le parquet réclamait dix ans, il est condamné à 3 ans pour transport et détention d’armes s’agissant des armes retrouvées cachées chez son frère.
Cinq ans pour un projet de départ en Syrie
Troisième et dernier point, le sort de la petite amie, Marine Pequignot. Le parquet estimait qu’elle formait avec Radouane Lakdim un couple de terroristes et avait requis onze ans de réclusion, ce qui aurait conduit à sa réincarcération. La cour a relevé pour sa part que le jour de l’attentat, elle avait mené des activités normales et que sa surprise était « non feinte » quand elle avait appris en fin de journée l’identité de l’auteur des faits. Par ailleurs, la cour note que la prise de distance du terroriste avec la jeune femme, amorcée en 2016, était devenue « très significative à partir du mois de janvier 2018 ». C’est à cette période qu’elle avait d’ailleurs commencé à développer son propre projet de partir en Syrie. C’est ce projet qui lui vaut une condamnation à cinq ans pour association de malfaiteurs terroriste et non sa participation non démontrée aux attentats. Ce qui explique le caractère modeste de la peine.
Le parquet a fait appel.
Référence : AJU427352