Procès des attentats du 13 novembre : Journal d’une avocate (1)

Publié le 20/09/2021

Notre chroniqueuse, Me Julia Courvoisier, défend un jeune couple qui a survécu à la tuerie du Bataclan. Elle revient sur le premier jour  du procès des attentats du 13 novembre et nous confie son ressenti d’avocate. 

Procès des attentats du 13 novembre : Journal d’une avocate (1)
La salle des pas perdus du Palais de justice de Paris le 8 septembre 2021 (Photo : ©O. Dufour)

Mercredi 8 septembre

7 heures : Je n’ai évidemment pas dormi de la nuit. Mais je vais courir un peu avant de boire mon café. Il n’est pas question de regarder les infos ce matin, je préfère rester dans ma bulle.

Je respecte à la lettre mon rituel des assises : le premier matin, c’est footing et musique. Je reçois des messages de mes proches me souhaitant « bonne chance ».

Ma robe est accrochée dans l’entrée de mon appartement. Mon dossier est prêt. Ainsi que mon ordinateur portable contenant l’ensemble du dossier numérique de cette audience « V13 ».

Je n’aurai sur moi que mes fiches de personnalité pour chaque accusé, rangées dans ma pochette bleue : qui ils sont, ce qu’on leur reproche, les expertises ainsi que les déclarations de leurs proches. Et bien sûr, ce qu’ils ont fait durant leur détention provisoire.

J’y ai passé l’intégralité de mes weekends depuis le début du mois d’août.

J’ai noté qu’ils aimaient tous le football.

Je regarde ces photos. Ces visages vus de nombreuses fois à la télévision, mais aussi dans cette pieuvre judiciaire qu’est le dossier de l’instruction. J’ai l’impression de les connaitre en vrai.

Je tiens à garder mon mantra en tête : ce ne sont pas eux qui me feront face pendant 9 mois, mais moi qui serai face à eux. Pas Julia, pas moi, mais ceux pour qui j’ai l’honneur de parler. Je ne suis jamais que la parole de ceux que je représente.

C’est une belle journée parisienne : il y a du soleil, il fait doux. Ni trop chaud, ni trop froid. C’est agréable. Cela me rappelle évidemment ce matin du vendredi 13 novembre 2015 et sa météo exceptionnellement clémente. J’étais partie travailler à vélo ce jour-là. Je m’en souviens comme si c’était hier.

« Je n’avais jamais vu un corps démembré par une ceinture explosive »

Aux alentours de 10 heures, j’arrive dans le centre de Paris, à Saint Michel.

Il faut montrer patte blanche pour traverser la Seine, arriver sur l’ile de la Cité et passer devant la Cour d’appel. Nous sommes en milieu de matinée et il n’y a pas un bruit, pas un chat.

Ce silence de mort dans ce quartier d’habitude si vivant, si bruyant, si agité, me glace le sang. J’en ai bu des apéros à la brasserie des Deux Palais en face de la cour. J’en ai passé des après-midi à attendre de plaider dans les couloirs. J’aime cette cour d’appel, ses odeurs, son histoire, ses racines.

Je m’y suis toujours sentie bien, comme chez moi.

Mais ce matin, je suis presque seule, entourée de gendarmes scrutant les alentours. Ils sont adorables : on se dit bonjour, bonne journée et puis « bon courage ». Le courage fait entièrement partie du métier d’avocat. Mais lorsque des gendarmes vous souhaitent d’en avoir, c’est saisissant.

J’ai subitement les larmes aux yeux. Ce silence de mort me rappelle les photographies du dossier. Des photographies de l’horreur. Je dois vous le confesser, car c’est aussi l’objet de ces chroniques : je n’avais jamais vu un corps démembré par une ceinture explosive. Vous m’excuserez de n’avoir pas encore les mots…Je ne sais d’ailleurs pas si je vous le raconterai un jour. Je n’ose imaginer ce que c’est que d’avoir vu « cela » en vrai, ce soir du 13 novembre 2015. Et comment diable toutes ces victimes ont-elles fait pour avancer  ?

Il est déjà 11 heures 15 : badge, portique de sécurité, puis je découvre enfin la salle d’audience. Elle est belle, propre, grande mais si petite à la fois.

Il y fait froid.

J’ai froid.

Comme souvent en audience, les robes noires envahissent l’espace. Les confrères qui se connaissent se parlent, mais ceux qui ne se connaissent pas se parlent également. C’est aussi cela, le pénal.

Bien sûr, l’audience qui devait débuter à 12 heures 30 prend déjà du retard. On parle entre nous de la façon dont on va gérer ce long procès, de nos vies à côté que l’on risque de délaisser. De nos proches qui, pour certains, se font déjà du souci.

« Une maman…j’imagine sa souffrance, je la vois dans ses yeux »

13 heures  : petit à petit, les accusés entrent dans le box, entourés de plusieurs gendarmes. Leur air est grave, le silence s’installe.

Des parties civiles, installées au fond de la salle, s’avancent pour les voir. Une maman notamment, qui s’approche entre les avocats et me brise le coeur. Elle essaie d’apercevoir, parmi cette foule d’avocats, les accusés. J’imagine sa souffrance, je la vois dans ses yeux. Elle doit avoir l’espoir de quelque chose, mais je ne sais pas de quoi. Elle se penche à droite, puis à gauche. Ils entrent. Elle se fige et fait demi-tour.

Cette femme a perdu un enfant au Bataclan. J’ai songé « et si c’était ma mère ? » et j’ai eu envie de la prendre dans mes bras.

13 heures 30 : il arrive en dernier dans le box. LUI, celui qui a organisé et déposé des terroristes au Stade de France le 13 novembre 2015. Celui que l’on présente comme « le seul survivant des commandos ».

L’espace d’un infime instant, j’ai l’impression que nos regards se croisent.

Colère, haine, angoisse, dégoût : en quelques secondes, une foule de sentiments m’envahit. En 12 ans, je n’ai jamais ressenti la moindre haine envers mes adversaires. Quels qu’ils soient. Et quoi qu’ils aient fait. Je n’ai d’ailleurs, d’une manière générale, aucune haine.

Mais à ce moment-là, je crois que la femme, la française, la rigolote, la joyeuse, celle qui aime les soirées parisiennes et le bon vin, a pris le dessus sur l’avocate. Un quart de seconde.

Puis l’audience a commencé. J’ai repris mon rôle d’avocate. Et il est redevenu l’accusé responsable de la mort de 130 victimes innocentes face auquel je serai pendant les prochains mois. Peu importe ce qu’il dira, c’est moi qui lui ferai face, et pas le contraire.

Fort heureusement, nous sommes nombreux à être face à lui. Face aux 14. Il y a de grands avocats sur le banc des parties civiles. Et nous ferons bloc, j’en suis persuadée.

13h50 : Dans la poche de ma robe d’avocat, mon téléphone vibre. Sans cesse.

Je me doute de ce dont il s’agit, mais je ne sais pas quoi dire à tous ceux qui veulent savoir.

« A quoi ressemble-t-il ? ».

« A ton avis, va-t-il parler ? ».

« Crache-lui à la gueule de ma part ! ».

Non, je n’ai pas envie de lire ces messages, ni d’y répondre.

Pas maintenant.

 

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Pour retrouver l’intégralité des chroniques de Me Julia Courvoisier, c’est par ici.

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