Procès des attentats du 13 novembre : « On n’est pas dans un tribunal ecclésiastique »

Publié le 09/09/2021

Le procès des attentats du 13 novembre s’est ouvert mercredi 8 septembre à 13h20 pour une durée de huit mois. Le principal accusé, Salah Abdeslam, s’est d’entrée de jeu revendiqué comme un combattant de l’état islamique. 

Procès des attentats du 13 novembre : "On n'est pas dans un tribunal ecclésiastique"
Entrée du palais de justice de Paris rue de Harlay (Photo : ©O.Dufour)

A la sortie du métro Pont Neuf, ce mercredi 8 septembre en fin de matinée, la Seine déroule la splendeur de ses monuments sous un soleil déjà chaud. Un accordéoniste installé sur le pont ajoute une touche surannée à ce décor de carte postale. On dirait que la ville a décidé de déployer sa beauté et sa douceur de vivre pour rappeler au passant sa devise Fluctuat, nec mergitur, alors que s’ouvre le procès des attentats du 13 novembre. Au bout de quelques pas, changement de décor. Des gendarmes filtrent l’accès au quai de l’Horloge. Personne ne passe, ni voiture ni piéton, s’il n’est dûment muni d’un sésame. Même les bus ont été détournés. L’ile de la Cité est retranchée, sous tension. Tout est bouclé, sauf l’entrée du palais rue de Harlay, rouverte pour l’occasion.

Une file interminable d’avocats

En haut des marches, un lion de pierre veille sur une pancarte d’orientation. Dès l’entrée, on comprend que ce n’est pas seulement la salle des pas perdus qui est consacrée au procès, mais une grande partie du palais. La galerie de Harlay toute entière occupée par des portiques de sécurité ressemble à un hall d’aéroport. Une fois passés les contrôles, on est contraint d’emprunter la galerie marchande. Les parties civiles sont invitées à s’enregistrer et retirer leurs badges aux guichets installés tout du long.  La salle des pas perdus quant à elle est quasiment entièrement occupée par la salle d’audience construite pour accueillir le procès : 8 millions de travaux, 550 places, un box capable d’accueillir 12 accusés, des écrans de retransmission. Il est 11h30, en attendant l’autorisation d’entrer,  une foule dense circule entre les différents bureaux d’enregistrement et autre guichet d’accueil, dans une agitation de fourmilière. Avocats, victimes, gendarmes, médias, personnel d’assistance, pompiers, psychologues se croisent, s’évitent,  se saluent. Peu à peu, une file interminable presque exclusivement composée de robes noires s’allonge devant l’unique porte d’accès à la salle.  On reconnait le bâtonnier de Paris Olivier Cousi, la future bâtonnière Julie Couturier et le vice-bâtonnier Vincent Nioré, quelques figures aussi de ce procès, dont Jean Reinhart qui défend des victimes et a lui-même perdu son neveu avocat dans les attentats. Un homme chétif glisse discrètement dans la foule, capuche rabattue sur le visage et masque sur la bouche. Escorté par des gendarmes, il coupe la file et s’engouffre dans la salle. C’est l’un des accusés qui comparait libre. 

Procès des attentats du 13 novembre : "On n'est pas dans un tribunal ecclésiastique"
La salle des pas perdus du Palais de justice de Paris le 8 septembre 2021 (Photo : ©O. Dufour)

12h25 tout le monde est enfin entré, il aura fallu plus de 30 minutes pour que chacun passe les contrôles et trouve sa place. Les concepteurs de la salle d’audience ont eu la bonne idée de laisser apparaitre dans la cloison, à travers des vitres, deux des sculptures qui ornent la salle des pas perdus. Elles apportent un peu de solennité dans ce lieu neuf,  élégant mais sans âme. Sur le mur du fond, une balance stylisée rappelle qu’ici l’on va juger. A gauche, le box des accusés. La salle est occupée à 80% par des avocats. Et pour cause, tout à l’heure, à l’appel des 1755 parties civiles, ils viendront chacun à la barre dire qui ils représentent.  Ensuite, les avocats ont promis qu’ils s’organiseraient pour laisser le plus de place possible aux victimes dans la salle principale (les débats sont retransmis à différents endroits dans le palais). Le procès devait commencer à 12h30, mais la cour se fait attendre. Alors la vingtaine de journalistes tirés au sort pour accéder à la salle principale tente d’identifier de loin les accusés, à commencer pas Salah Abdeslam. On le reconnait, le voici presque au bout du box, première rangée, au plus près de ses juges, vêtements noirs, barbe noire, masque noir. Les avocats se congratulent, le personnel d’aide aux victimes s’assure que celles-ci ne manquent de rien. Un homme en fauteuil roulant surélevé domine la salle, comme un symbole des destins fracassés ce jour-là.

« Il n’y a pas de divinité à part Allah »

13h20 : L’audience criminelle est ouverte, déclare le président Jean-Louis Périès. Qualifié d’historique – d’ailleurs il est filmé – le procès n’en débute pas moins de façon très ordinaire par la prestation de serment des interprètes dédiés aux accusés qui ne parlent pas français. La justice commence toujours par s’échauffer sur des questions de procédure. A la barre,  la première interprète  s’étrangle, recommence,  ce n ‘est pas facile de s’exprimer devant 500 personnes et des caméras.  On passe à la vérification d’identité des accusés. L’ordre alphabétique désigne Salah Abdeslam pour prendre la parole en premier. Alors que le président lui demande de décliner ses nom, date et lieu de naissance, il brise d’entrée de jeu le rituel judiciaire : «  Tout d’abord, je tiens à témoigner qu’il n’y a pas de divinité à part Allah et que Mohamed est son messager .» Il consent néanmoins à donner ses dates et lieu de naissance. Mais l’air est soudainement devenu glacial. Judiciairement, Abdeslam en une phrase vient d’inscrire sa défense de rupture. Sans doute profite-t-il aussi de la présence des 180 médias accrédités qui lui offrent, à leurs corps défendant, une exceptionnelle tribune. Il n’ignore certainement pas l’attention que les journalistes lui portent et le parti qu’il peut en tirer. Surtout, cette déclaration résonne comme une réplique du fracas des armes ce jour-là.

Imperturbable, le président Jean-Louis Périès rétorque : « On verra ça plus tard », puis  lui demande le nom de ses père et mère. Abdeslam s’empare de cette nouvelle occasion d’attraire symboliquement les débats sur son territoire.  « Le nom de mon père et de ma mère n’ont rien à faire ici ». Toujours aussi imperturbable, le président lit les informations du dossier et demande à l’accusé s’il confirme. Silence. Interrogé enfin sur sa profession, Abdeslam rétorque « J’ai délaissé toute profession pour devenir un combattant de l’état islamique ». Jean-Louis Périès replonge dans son dossier « j’avais intérimaire », la salle rit. Ce n’est pas drôle,  mais on conjure le mal comme on peut. Et quand on l’interroge sur son domicile avant son incarcération, il rétorque «  je n’ai plus d’adresse » . On se demande si certains accusés vont imiter son exemple, mais non. Les 14 autres (11 dans le box, 3 comparaissant libres) se comportent en accusés ordinaires soucieux de sauver leur peau et répondent sagement, y compris ceux qui ont demandé un interprète et font néanmoins l’effort de répondre eux-mêmes. 

« Maintenir la justice dans sa dignité »

Le président a décidé de prononcer un propos introductif. En quelques mots sobres, il rappelle la fonction de la justice dans un procès historique, distincte précisément des travaux des historiens ou des sociologues. « Ce qui importe, c’est le respect de la norme, avec le respect de chacun, à commencer par le respect des droits de la défense. (…) Notre cour d’assises a pour fonction d’examiner les charges retenues à l’encontre de chacun des accusés et d’en tirer les conséquences après avoir entendu la parole de chacun d’eux. Nous devons tous garder à l’esprit cette finalité noble et conserver ce cap pour maintenir la justice dans sa dignité. Je sais pouvoir avoir confiance en chacun d’entre vous pour se faire. » Une première escarmouche procédurale surgit à l’initiative du parquet. Celui-ci n’a pas de difficultés avec la recevabilité des 1755 parties civiles personnes physiques déjà constituées, mais conteste celle des 10 personnes morales dont le Bataclan. L’avocate de la salle de spectacle monte au créneau ; elle regrette le caractère tardif de cette contestation et réclame  à la Cour  un délai raisonnable pour y répondre. 

Voici que l’on passe à l’appel des parties civiles. C’est le début d’un marathon qui va durer deux longues journées. Chaque avocat se rend à la barre pour décliner l’identité des personnes qu’il représente. Bientôt viendra le moment que chacun redoute où s’ouvriront les vannes d’une souffrance indicible, mais pour l’instant c’est encore le temps des hommes de loi tenant le registre méticuleux du malheur. Ainsi va la justice dans un état de droit, aux méthodes expéditives du terrorisme, elle oppose la procédure qui encadre, retient, oriente, préserve et tient ainsi soigneusement à distance toutes les formes de débordement. A 17 heures l’accusé Farid Kharkhach est pris d’un malaise et évacué du box. Ce n’est pas la chaleur, la salle est climatisée.  A la reprise, Abdeslam saisit cette nouvelle occasion d’offrir une tribune médiatique à sa cause « On est traité comme des chiens. Ça fait plus de 6 heures que je suis traité comme un chien. Ici, c’est beau, y’a des caméras, y’a la clim, mais derrière, on est traité comme des chiens ». Alors que l’accusé enjoint au président de le respecter, ce-dernier réplique  «On n’est pas dans un tribunal ecclésiastique mais dans un tribunal démocratique. Asseyez-vous s’il vous plaît.» Abdeslam obtempère. En ce premier jour, la dignité s’est imposée. 

 

A lire aussi, le journal de notre chroniqueuse Julia Courvoisier,  qui a décidé de raconter le procès de l’intérieur, vu par une avocate. Ses deux premiers récits sont consultables ici et .

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