Procès des attentats du 13 novembre : Journal d’une avocate (J – 8)

Publié le 01/09/2021

Le 8 septembre prochain s’ouvrira le procès des attentats du 13 novembre 2015. Il durera huit mois. Notre chroniqueuse, Me Julia Courvoisier, défend un jeune couple qui a survécu à la tuerie du Bataclan. Elle a décidé de raconter comment on vit un procès aussi hors normes quand on est avocat. Voici  sa première chronique. 

Procès des attentats du 13 novembre : Journal d'une avocate (J - 8)
La salle des pas perdus du Palais de justice de Paris dans laquelle a été construite une salle d’audience géante pour accueillir le procès. (Photo : ©beatrix kido/AdobeStock)

8 août 2021, 11 heures 49.

J – 30.

A des milliers de kilomètres de chez moi, je pense à eux.

A ces femmes, ces hommes, qui sont tombés sous les balles de ces hideux terroristes en ce triste soir du 13 novembre 2015.

Au stade de France, au Bataclan, sur les terrasses.

13 Novembre 2015.

Cette date me glace le sang dès que je la lis, que je l’entends, que je la prononce.

Je pense à ces familles endeuillées.

A ces survivants qui forcent mon respect en continuant leur route. Malgré les épreuves, les souvenirs, les insomnies, les bruits, les traumatismes.

Nous n’avions, en France, jamais vécu d’attentat de cette ampleur.

Ce jour-là, la France a été mise à genoux.

13 novembre 2015

Je viens de passer une excellente soirée avec ma bande de copine.

J’ai installé mes bureaux rue Saint Honoré depuis un peu plus d’un an. J’y suis bien, entourée de mes amies, dans un quartier qui bouge. La petite brasserie en bas est ouverte jusqu’à 2 heures du matin. Le rosé est bon, la charcuterie aussi.

Le vendredi soir est une institution : on se retrouve, on boit un coup, on rigole !

Mes copines et moi refaisons le monde, débattons de nos clients, des audiences à rallonge. De nos vies privées trop souvent malmenées par ce métier de dingue consacré aux autres.

21 heures 15 : je décide de rentrer. J’ai encore du boulot demain, il faudra que je vienne au bureau pas trop tard. Et en plus, je suis à vélo.

Alors que je passe devant la Tour Eiffel, cette beauté parisienne dont je ne me lasse jamais, je vois que ma mère ne cesse d’essayer de me joindre.

Au bout de la 5ème tentative de sa part, j’arrête mon vélo et je décroche :

« Julia, où es-tu ? Il y a des attentats dans Paris, ils tirent sur les terrasses des restaurants, rentre chez toi ! Mets-toi à l’abris, je t’aime ».

Puis les notifications des réseaux sociaux me disant lesquels de mes amis étaient « en sécurité ».

Je me souviens précisément de la solidarité qui s’est immédiatement nouée entre les parisiens pour proposer leurs appartements en guise de « cachette ».

Je suis restée pendue aux chaines d’information pendant près de 40 heures. Je ne pouvais pas dormir. Je n’arrivais plus à respirer. S’assurer que mes proches étaient en vie. Des dizaines de sms, des appels, des messages laissés sur des répondeurs.

L’angoisse.

Il y avait eu Charlie quelques mois avant.

Il y avait maintenant des inconnus venus faire la fête un vendredi soir, décédés en buvant une pinte de bière ou en dansant à un concert.

Le dimanche 15 novembre au matin, je suis allée Place de la République à vélo. Comme d’autres..

Nous nous regardions, dans le silence, assommés par ce qu’il venait de se produire en France.

La France, le pays de la liberté, des mini jupes, du vin, des soirées endiablées, des restaurants ouverts jusqu’au petit matin.

La France, le pays des droits de l’homme, des Lumières.

Ce pays que finalement, nous aimons tous.

Sauf eux.

Ces terroristes qui, ce soir-là, ont tiré dans une foule d’inconnus. Une foule d’innocents.

Ces terroristes qui ont tenté d’abattre un jeune couple plein d’avenir.

Un jeune couple venu fêter la fin de la semaine au Bataclan, cette mythique salle parisienne.

Au nom de quoi ? D’une haine animale de la France.

D’une haine viscérale de notre mode de vie, de notre liberté. De nos valeurs.

1er septembre 2021 – J-8

Dans une semaine, je devrai porter la voix de ces deux jeunes survivants qui forcent mon respect.

C’est une immense responsabilité.

Et je dois l’avouer : j’ai peur, bien sûr. Comme beaucoup d’entre nous.

Huit mois de procès.

Et l’horreur humaine sous nos yeux. L’abjection.

Dans une semaine, jour pour jour, il faudra que la Justice française juge ces terroristes.

Des terroristes qui ont réussi à changer notre France.

Des terroristes qui ont réussi à nous faire peur.

Et elle le fera.

Mes clients ont survécu à la fosse du Bataclan.

Un miracle ? Le destin ? Dieu ? Je ne sais pas.

Leur vie s’accroche à la mienne.

Ou est-ce ma vie d’avocate qui va s’accrocher à la leur ?

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