Quand la violence s’exerce sur les hommes : « Oui, j’ai piqué mon mari, j’en avais marre ! »

Publié le 02/02/2021

Lundi 25 janvier, le tribunal correctionnel de Bobigny a condamné deux femmes. L’une pour avoir poignardé son mari, l’autre pour l’agression de son beau-père avec un couteau et un fer à repasser. Des hommes qui sont apparus comme de réelles victimes.

Ombre d'une main devant un couteau
Photo : ©AdobeStock/Rootstocks

 A la 12e chambre correctionnelle du tribunal judiciaire de Bobigny (Seine-Saint-Denis), ce jour-là, la pile de dossiers à examiner atteint une trentaine de centimètres, si bien que l’on voit seulement les épaules de la présidente Sophie Quaile, statuant à juge unique. Appelé en renfort dans une autre salle d’audience, l’huissier les a déposés devant elle puis s’en est allé d’un pas pressé. L’affluence est telle que, pour respecter les distances de sécurité sanitaire, plusieurs prévenus patientent dans le corridor en attendant d’être appelés.

Parmi eux, une majorité d’hommes poursuivis pour violences envers une épouse, une compagne, des délits auxquels les magistrats sont chaque jour confrontés, particulièrement depuis le premier confinement, en mars 2020. Plus rares sont les femmes soupçonnées de ces mêmes infractions.

« Enfant, j’ai été violée. Donc, je me défends »

Mariam* T. comparaît pour avoir battu son mari, avant de le poignarder dans le creux de l’épaule. La blessure a privé de travail Moussa, livreur, durant deux semaines. Il l’accompagne à l’audience, mais pas en qualité de partie civile : il n’a pas porté plainte, ne souhaite pas qu’elle soit punie. A la barre, Mariam, 26 ans et visiblement enceinte, resserre les pans de son manteau gris pour dissimuler son ventre, à l’étroit dans une robe bleu ciel aux motifs ouvragés. Un bonnet vissé sur ses cheveux noirs, elle écoute la présidente résumer le contexte de « la bagarre », survenue à l’hiver 2018.

A l’époque, leurs jumelles sont encore nourries au biberon. La dispute ne porte sur rien d’essentiel, le couple est simplement à cran. Depuis qu’ils se sont rencontrés à l’issue d’une traversée difficile de la Méditerranée, ces réfugiés vivotent dans un hôtel miteux avec leurs filles. Un mot, puis un autre, le ton monte : Mariam pose le bébé qui boit son lait et attrape un couteau ; pour le lui faire lâcher, Moussa mord sa main. Elle le poignarde : « Enfant, j’ai été violée plusieurs fois. Je suis traumatisée, explique-t-elle. Donc, oui, je me défends ! »

« Elle le tape souvent »

 Les séquelles de Mariam sont avérées. A son arrivée en Seine-Saint-Denis, elle a séjourné un mois en hôpital psychiatrique. Mais des témoins disent qu’elle « crie et le tape souvent ». « On a peur d’elle », résume une voisine. Les policiers qui sont intervenus ont d’ailleurs reçu une volée de coups.

La prévenue s’emporte : « Oui, j’ai piqué mon mari, j’en avais marre ! Je le reconnais, ce n’est pas bien, je ne le referai plus. Mais qui sont ces voisins qui parlent ? Je ne les connais pas ! » Coupe rasta, petit, vêtu d’un ample sweat dans lequel disparaît sa silhouette frêle, Moussa lui pardonne « ses fragilités ». Il dit que « ça va mieux », assure être content de devenir père pour la troisième fois dans un pays qui vient de leur accorder l’asile.

Une présidente pédagogue

 Le substitut du procureur, Aurélien Brouillet, entend le mari. Mais il lui rappelle « qu’elle aurait pu [le] tuer ! ». Il requiert un an de prison assorti du sursis et des soins pendant deux ans. Mariam T., qui n’a pas d’avocat, implore le tribunal, en larmes : « Je vous demande des excuses. Moi et mon conjoint avons déjà beaucoup souffert… » Sous-entendu, c’est assez.

Ce dont convient la présidente qui, faute de temps au regard de sa charge, rend sa décision en une minute. Il en sera de même au cours des cinq prochaines heures. Elle prend toutefois le temps d’expliquer : « Vous êtes condamnée à 10 mois de prison avec sursis mais, votre traitement semblant avoir fonctionné, je ne vous oblige pas à revoir un psychiatre. Je considère que c’est une erreur de parcours et vous redonne une chance. D’accord ? »

Mariam opine, remercie le tribunal et quitte la salle au bras de son mari.

« Venez vite, je ne sais pas ce que je vais faire ! »

 L’affaire suivante est plus déconcertante. A l’audience, ils auraient dû être deux mais la jeune fille prévenue de violences ayant entraîné une ITT de 30 jours est absente. Son beau-père, à la taille et l’allure d’un basketteur, comparaît donc seul. S’il est aussi poursuivi, c’est parce qu’il a esquivé des coups en saisissant par les poignets la fille de sa compagne. L’incapacité de travail qui en est résultée pour elle étant inférieure à huit jours, il encourt une amende. Seulement, il y a la teneur de son appel téléphonique à la police, qui s’apparente à des menaces de mort : « Venez vite, je ne sais pas ce que je vais faire ! »

Du haut de ses deux mètres, Adrien*, commis de cuisine, convient que sa profonde blessure à la tête aurait pu l’inciter à frapper, cependant il s’est retenu : « Je ne comprends pas pourquoi je suis là. C’est moi la victime ! » L’exposé des faits par la juge Quaile ne laisse aucun doute : « Votre belle-fille entre dans votre chambre en pleine nuit, elle verse un seau d’eau sur vous et votre conjointe, vous frappe avec un fer à repasser et un couteau. »

On apprend aussi que, dans la bagarre, la prévenue absente, qui supporte difficilement le couple, a entaillé le pied de sa mère.

Le procureur admet des circonstances exceptionnelles mais la menace de mort est réelle. « Je voulais juste la contenir et faire comprendre à la police que ça pouvait dégénérer », se défend Adrien, sans avocat. La présidente l’admet dans sa constitution de partie civile et suit les réquisitions : 350 euros d’amende, deux mois de prison avec sursis. A nouveau, elle se veut pédagogue envers celui qui comprend mal la sanction.

«— La fille de votre ex-amie est condamnée à dix mois avec sursis. Le tribunal reconnaît la gravité des violences à votre encontre, et vous serez indemnisé.

— Mais je ne veux pas d’argent ! Je veux être reconnu comme victime.

— C’est le cas, monsieur. »

En quittant la salle, il échange un regard avec le public aussi médusé que lui. La cicatrice sur son front atteste de la violence subie il y a un an.

 

*Les prénoms ont été modifiés

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