Saint-Étienne-du-Rouvray : « Je n’arrive pas à réaliser que c’est mon fils qui a fait ça »
Lundi 28 février, la cour d’assises spécialement composée a entendu plusieurs témoins dont les parents d’Adel Kermiche, l’un des deux auteurs de l’attentat de Saint-Étienne-du-Rouvray, abattu à la sortie de l’église.
Il y a des moments de grâce dans un procès. A celui de l’attentat de Saint-Étienne-du-Rouvray, le public a déjà vécu le bouleversant témoignage du paroissien poignardé Guy Coponet puis l’après-midi, celui de la sœur du Père Jacques Hamel assassiné le 26 juillet 2016 à la fin de sa messe.
Le 28 février dernier, l’audience a de nouveau offert l’un de ces instants rares où victimes et familles d’accusés se tendent la main. La cour d’assises entendait ce jour-là Aldjia Kermiche, la mère de l’un des deux terroristes abattus à la sortie de l’église. Il est assez rare que les parents des auteurs d’attentats acceptent de venir témoigner. La plupart du temps ils écrivent aux juges qu’ils ne veulent plus jamais entendre parler de celui ou celle qui a détruit leur vie. Madame Kermiche, elle, est venue. Tailleur pantalon noir, cheveux bruns coupés courts, elle habite toujours Saint-Etienne-du-Rouvray. L’histoire de son fils est celle d’un gamin hyperactif, traité avec un médicament lourd, qui ne trouve pas sa place dans la société et se radicalise en un temps record. C’est aussi l’histoire tragique d’une famille démunie face à la radicalisation qui a eu le sentiment qu’on l’abandonnait avec un problème bien trop lourd à gérer.
« En France on ne peut pas pratiquer sa religion, on est toujours persécutés »
« Mon fils a commencé à parler de religion et à faire sa prière autour de mars 2015, pour nous qui sommes croyants, c’était normal, commence-t-elle. Mais il s’est mis à nous reprocher nos propres pratiques, à nous expliquer qu’on n’était pas dans le bon chemin. Cela nous a inquiétés ». Un jour, sa fille découvre dans le téléphone d’Adel Kermiche un plan pour se rendre en Syrie. « Nous avons pris peur et contacté le commissaire de St Etienne-du-Rouvray, pour obtenir une interdiction de sortie de territoire car il était mineur. « En France on ne peut pas pratiquer sa religion, on est toujours persécutés » nous expliquait-il pour justifier sa volonté de partir en Syrie. Nous l’avons sermonné ce jour-là une partie de la nuit, le lendemain matin il était parti ».
La police l’arrête en Allemagne, son père prend l’avion et va le chercher sur place. Adel est mineur, c’est sa première tentative, il est interrogé puis rapidement relâché. Mais un mois et demi plus tard il repart, et cette fois il parvient à atteindre la Turquie où il est arrêté, rapatrié en France et emprisonné à Fleury. « Il a été enfermé avec des personnes bien plus dangereuses que lui » déplore sa mère qui explique que durant sa détention de près d’un an il a appris à lire, écrire et parler l’arabe ainsi qu’à réciter ses prières par cœur. Elle alerte en vain, tente de préparer une sortie, obtient des promesses de prise en charge. Mais lorsqu’il est enfin dehors, sous bracelet électronique, rien ne se passe. Trouver un emploi ? Difficile quand on est radicalisé et sous bracelet. Un stage ? Ce n’est pas la bonne période. Il veut passer son permis de conduire mais un problème de carte d’identité l’en empêche. Sa bonne volonté s’érode, le voilà qui ne sort quasiment plus de sa chambre et passe des heures sur Internet. En prison, il avait dit à sa mère qu’il avait compris qu’il avait été victime d’une secte, mais ses co-détenus racontent une toute autre histoire, pour eux il est très radicalisé et n’est pas du tout décidé à renoncer. « Nous nous sommes retrouvés seuls pour faire face à la radicalisation de mon fils et il est arrivé ce qui est arrivé. Je suis très peinée pour les parties civiles, j’aurais tellement voulu avoir les moyens d’éviter cet attentat, d’éviter tout ça » se désole la mère à la barre.
Un enfant hyperactif placé sous Ritaline
Aldjia est professeur, son mari Rabah est routier. Ensemble ils ont élevé 5 enfants. Adel est le 5e. Sa grande sœur est chirurgien, un fils est ingénieur, un autre professeur, le quatrième a un BTS en systèmes électroniques. Est-ce pour cela, qu’il s’est senti pas à la hauteur et a dérapé ? Dès l’âge de six ans, il est diagnostiqué hyperactif, on lui administre de la Ritaline. Un médicament puissant, trop peut-être. « Mon fils se retrouvait complètement amorphe, c’est sans doute ça qui leur plaisait à l’école, il ne les dérangeait plus » explique avec amertume sa mère. A l’âge de 13 ans, il est interné 15 jours en hôpital psychiatrique, sa mère dit qu’elle n’a jamais su pourquoi.
Pour certains la radicalisation correspond à la recherche de Dieu, d’autres sont motivés par la situation qu’on leur décrit en Syrie, et puis il y a ceux qui ont un trop plein de violence à exprimer. Lui c’était la Syrie. Il disait qu’il voulait partir pour aider. « Souvent il nous reprochait notre indifférence à l’égard du sort des syriens » explique sa mère. Le danger c’est Internet, plus précisément l’ « Imam Google » pour reprendre le mot d’un responsable musulman qui a témoigné quelques jours plus tôt. « Quand je suis allée voir le maire c’était pour qu’il ait une occupation dans la journée afin de ne pas passer son temps sur Internet » explique Madame Kermiche. « J’aurais voulu aussi qu’il soit mis sur écoute, qu’il soit surveillé, j’ai entendu dire qu’il n’avait pas été suivi comme il l’aurait fallu ». Ses parents finissent par lui confisquer l’ordinateur mais pas le téléphone. Trop tard, visiblement.
Le 23 juillet au soir, il amène Abdel-Malik Petijean chez lui. Ils viennent de se rencontrer sur les réseaux sociaux dans la nuit du 21 au 22 juillet. Quelques jours auparavant, Adel Kermiche a commencé à prôner l’action violente sur Telegram. Abdel-Malik Petitjean était au même moment dans un état d’esprit similaire. Mais il explique à son nouveau camarade qu’il du mal à « passer à l’action » seul avec une arme blanche, regrettant sa « faiblesse d’âme ». Adel Kermiche lui explique qu’il connait quelqu’un qui peut agir. Et voici que les deux hommes qui se connaissent à peine décident de se rencontrer et de frapper ensemble. Quand Rabah Kermiche le découvre le 23 juillet à minuit chez lui, Adel lui explique que c’est un ami qui cherche un logement. Impossible de le mettre dehors au beau milieu de la nuit, mais le père le somme d’être parti au petit matin. « J’étais inquiète et puis je me suis dit c’est peut-être vraiment un copain, ils discutaient, on est parti dormir » raconte la mère. Durant la nuit, ils préparent l’attaque et enregistrent la vidéo d’allégeance. Au matin Abdel-Malik Petitjean a quitté la maison des Kermiche mais pas Saint-Étienne-du-Rouvray . Le 24 dans la nuit, il revient sur place avec l’un des accusés, Yassine Sebaihia, fraichement arrivé de Toulouse. Le 25 juillet, a lieu une première tentative d’attentat avortée. Ils frappent le 26 juillet à 9h30 du matin. « Je m’en suis vraiment voulu de n’avoir rien entendu ce soir-là, j’ai vu cette vidéo et je me suis demandé comment il avaient pu tourner sans que je m’en rende compte. On était là mais on dormait » confie Madame Kermiche.
« Au moins je ne me suis pas trompée, il n’était pas capable de porter des coups mortels »
Le jour de l’attentat, la commissaire téléphone à Madame Kermiche pour savoir si son fils est à la maison. Elle répond oui, la policière lui enjoint de vérifier. En fait, Adel n’est pas là. Vers 12 h, un journaliste a tapé à la porte, « on vient pour l’attentat car le nom de Kermiche est sorti ». C’était donc son fils. L’attentat a été commis avec les couteaux de cuisine de la famille.
« — J’aurais bien aimé avoir des réponses des services de renseignement, ce qu’ils avaient comme infos et pourquoi elles n’ont pas été transmises, l’attentat aurait pu être évité, mon fils serait peut-être dans le box mais l’attentat aurait pu être évité.
— Comment vous comprenez le geste de votre fils ? interroge le président.
— Je ne le comprends pas, je n’arrive pas à réaliser que c’est mon fils qui a fait ça, c’est incompréhensible ».
Plus tard un avocat des parties civiles : « Ce qui était important pour vous était de savoir si votre fils avait porté des coups de couteau ?
— J’ai eu la réponse dans la presse je me dis qu’au moins je ne me suis pas trompée, il n’était pas capable de porter les coups mortels ».
C’est en effet Abdel-Malik Petitjean qui a poignardé le prêtre et le paroissien.
La mère, éprouvée mais digne, s’apprête à quitter la barre. C’est alors que la soeur du Père Hamel, Roseline 82 ans, quitte le banc des parties civiles pour la soutenir et s’asseoir à ses côtés dans le public comme le ferait une mère ou une soeur. Ce qui frappe le plus c’est le naturel avec lequel la très vieille dame dont le frère a été assassiné accompagne la mère de l’un des deux hommes responsables de sa mort.
« Je peux plus parler, je peux plus rester debout »
Voici venu le tour du père. Il voulait seulement accompagner sa femme, mais il figurait sur la liste des témoins, alors la justice l’a retenu.
Fatigué, cet homme qui travaille de nuit, s’exprime péniblement, ne comprend pas ce qu’on lui veut, n’a aucune déclaration à faire. Au bout de quelques minutes, sa voix s’enraye, le souffle lui manque, il s’effondre en pleurs. « Je peux plus parler, je peux plus rester debout ». Il se retourne et quitte la barre. Le président le rappelle, il n’est pas d’usage qu’un témoin s’en aille avant d’avoir obtenu l’autorisation de la cour. Mais l’homme en perdition n’entend plus rien, il chavire en direction de la porte par laquelle il est arrivé. Face au chaos qui s’est soudain invité dans l’audience, le président décide une suspension. L’huissier emmène l’homme perdu, en larmes, dans la salle des témoins.
Dix minutes plus tard, M. Kermiche revient, apaisé, s’excuse et se prête de nouveau aux questions. « Ils vont lui faire avoir une crise cardiaque » murmure sa femme. Mais cette fois l’homme tient bon. Le président revient sur la visite d’Abdel-Malik Petitjean « Je l’ai trouvé pas net dans sa façon de parler »commente le père. Le 26 juillet, il a appris l’attentat dans son camion à la radio, « J’ai compris vite fait » commente-t-il sobrement. Comprend-il comment son fils a pu ainsi se radicaliser ? « Il n’a pas trouvé sa place dans la société » répond Monsieur Kermiche. Le président a terminé de poser des questions, il se tourne vers ses assesseurs, les parties civiles, le parquet, la défense, personne n’ose prolonger le supplice de cet homme. Roseline Hamel et Aldjia Kermiche quittent la salle d’audience ensemble, unies dans l’épreuve par quelque chose d’étrange que la soeur du père Hamel appelle la grâce divine.
Référence : AJU277799