Saint-Étienne-du-Rouvray : La sale nuit de Yassine Sebaihia
Au procès de l’assassinat du Père Jacques Hamel, on entre dans la phase d’examen de l’enquête. Mardi, la cour a entendu l’un des policiers sur les faits imputés aux trois accusés. Yassine Sebaihia a fait un bien étrange aller-retour Toulouse Saint-Étienne-du-Rouvray les 24 et 25 juillet 2016, soit la veille de l’attentat. Pour quoi faire ? Il assure qu’il pensait se rendre dans une sorte de « colonie de vacances ». Les terroristes, eux, avaient tout préparé et se tenaient prêts à frapper.
Le policier dont on ne doit pas dire le nom pour sa sécurité a eu le courage de venir à la barre. C’est doublement méritant. D’abord parce que la plupart de ses collègues préfèrent désormais témoigner en visioconférence, le visage flouté et la voix modifiée. Voire ne pas venir du tout, comme c’est le cas des agents du renseignement qui au premier jour du procès se sont fait porter pâle. Ensuite, parce qu’il doit parler de l’enquête concernant les trois accusés, puis se prêter aux questions de la cour, du parquet des parties civiles et de la défense sur des faits qui remontent à 2016. Cela représente des heures d’audition. Mardi en milieu d’après-midi, le temps est venu d’évoquer le rôle de Yassine Sebaihia.
Un si long voyage…
Pull bleu canard, ses longs cheveux bouclés attachés en catogan, le jeune toulousain écoute attentivement le policier raconter pourquoi il est dans le box des accusés. `
Le 20 juillet 2016, soit six jours avant l’attaque, il lit un message d’Adel Kermiche sur la messagerie sécurisée Telegram appelant les « frères sur Rouen » à se réunir. Cela aurait été le déclic. Le premier échange que l’on trouve entre les deux hommes remonte au 23 juillet, même si le ton « je t’aime en allah » donne à penser qu’il y en a eu avant, estime le policier. Et voici que soudain Yassine, l’adolescent un peu attardé qui passe des heures à faire on ne sait trop quoi dans sa chambre, si peu de choses que sa petite amie vient de le quitter au bout de 5 ans de liaison, décide soudain de traverser toute la France pour rencontrer Adel Kermiche en Normandie.
Il a en tout et pour tout 4 euros en poche. Qu’à cela ne tienne, sa mère finance le trajet en covoiturage pour 46 euros. Une somme importante pour cette femme aux revenus modestes qui doit nourrir de trois enfants, souligne le policier. Qu’a-t-il bien pu lui raconter sur sa destination ? Arrivé à Paris, Yassine prend ensuite un train en fraude jusqu’à Rouen. Il arrive à 19h22 le 24 juillet. Personne n’est là pour l’accueillir mais Adel Kermiche lui dit de contacter Abdel-Malik Petitjean qu’il ne connait pas encore. Les deux hommes se retrouvent et passent une partie de la soirée dans un parc en attendant que les parents d’Adel Kermiche soient couchés et qu’ils puissent le rejoindre chez lui.
« Une colonie de vacances pour apprendre la religion »
C’est là que les choses commencent doucement à tourner au vinaigre. Yassine a raconté aux policiers lors de son arrestation qu’il ignorait tout de l’attentat et pensait rejoindre un groupe de jeunes musulmans pour recevoir un enseignement. Adel Kermiche prétendait en effet délivrer des cours à la Mosquée, ce que les autorités musulmanes de St-Étienne-du-Rouvray démentent formellement. Mais surtout il avait posté un message le 19 juillet appelant notamment à « faire un carnage » « se rendre dans une église et couper deux ou trois têtes ». Yassine, lui, n’a vu dans la proposition de Katiba (camp de combattant) qu’une « colonie de vacances pour apprendre la religion ». Les deux hommes font leur prière dans le parc, Abdel-Malik Petitjean le reprend sur sa pratique. Il lui reproche aussi d’écouter de la musique et de regarder les filles passer, soulignant que ce sont des mécréantes. En bref, Yassine se fait traiter de mauvais musulman.
Il trouve Adel Kermiche et Abdel-Malik Petitjean « chelous »
Ils vont ensuite manger un kebab puis reviennent au parc ; les deux hommes s’y endorment jusqu’à 2h du matin. C’est alors seulement qu’ils se rendent chez Adel Kermiche. Là, Yassine se sent rejeté, il finit par s’endormir sur le canapé du salon tandis que les deux hommes échangent à voix basse. Le policier à la barre insiste sur le fait qu’à ce moment-là, le plan de l’attaque est prêt, la reconnaissance faite et la vidéo de revendication enregistrée. A l’aube, réveillé pour faire la prière il commet une nouvelle erreur, en oubliant de faire ses ablutions avant, ce qui lui vaut de nouveaux reproches. Yassine croyait trouver une bande de potes et aller suivre des cours dans une mosquée, il passe « une nuit de merde » avec deux hommes qui à la fin ne lui parlent plus : « j’étais mal à l’aise et déçu » confiera-t-il aux enquêteurs. Il décrit les deux hommes comme « chelous ».
« Faire de la charcuterie de porc »
Le bornage de son téléphone atteste qu’il repart le 25, soit la veille de l’attentat à 8h41. Il arrive à 11h53 à Paris, puis à 18h08 à Montauban avant de regagner Toulouse à 18h30. Durant son escale à Paris, il tente de joindre un certain Abou Abdallah, un mystérieux contact d’Adel Kermiche dont le compte Telegram a été désactivé après l’attentat. Pour quoi faire ? Avait-il une mission ? Voulait-il séjourner chez lui parce qu’il pensait que sa mère ne voulait plus de lui ? Toujours est-il que ses horaires de train ne sont pas compatibles avec les disponibilités de son mystérieux contact. Il rentre piteusement à Toulouse. Juste après la commission de l’attentat, Yassine Sebaihia consulte les chaines djihadistes, puis suit leurs recommandations : il efface tous ses échanges sur Telegram et désinstalle les chaines appelant au djihad.
Tout le problème consiste à savoir ce qu’il est réellement allé faire là-bas. L’enquêteur souligne à la barre que les chaines Telegram qu’il suit, dont celle de Kermiche, sont sans ambiguités, elles appellent au djihad. On peut y lire par exemple de la part du supposé commanditaire de l’attentat, Rachid Kassim, qu’avec un simple couteau il est possible de « faire de la charcuterie de porc », comprendre de tuer des mécréants.
« Avez-vous déjà vu des gens qui préparent un attentat faire venir des tiers quelques heures avant ? »
« — Existe -t-il une relation maitre/élève entre Adel Kermiche et Yassine Sebaihia ? interroge le président.
— Non, c’est opérationnel, répond le policier.
— Adel Kermiche explique à Yassine qu’il peut frauder, c’est autorisé par la religion ?
— Je ne pense pas…
— On voit que le vol est autorisé en tant que ça participe au projet ?
— C’est le type de propos que l’on retrouve sur le site pour justifier de la Hijra (NDLR : se rendre en terre musulmane notamment pour combattre).
— Adel Kermiche parle d’un « gros plan », c’est une soirée comme prétend l’avoir compris Yassine ?
— Ce n’est pas la thématique des échanges puisque le déplacement se fonde sur des convictions religieuses.
— Dans votre expérience de policier, avez-vous déjà vu des gens qui préparent un attentat faire venir des tiers quelques heures avant ?
— Non ».
Mais l’enquêteur précise aussi à plusieurs reprises à la barre qu’il n’a aucune preuve que Yassine Sebaihia a bien été informé, avant de partir ou une fois sur place, de ce qui se tramait. Tout dans cette histoire vaseuse se prête à interprétation. Il s’endort sur le canapé, ce n’est pas crédible juge le policier, on ne traverse pas la France pour rencontrer quelqu’un et s’endormir une fois qu’on est en face de lui. C’est au contraire logique, rétorque la défense, il a fait 10 heures de route et de train, il est deux heures du matin, il est fatigué. Yassine assure qu’il venait rencontrer des amis, qu’Adel Kermiche n’appelait qu’à un banal rassemblement de jeunes musulmans pour bavarder, prier, manger ensemble, et assister aux cours qu’il prétendait donner à la mosquée. Seulement voilà, le 19 juillet Adel Kermiche appelait sur sa chaine Télégram, que suivait Yassine Sebaihia, a commettre des attentats en France. Arrêté le 8 aout 2016, il est en détention provisoire depuis cette date. Il avouera à ce moment-là s’être peut-être radicalisé sans s’en rendre compte et avoir eu le projet de se rendre en Syrie.
Qui est Yassine Sebaihia ? Un garçon un peu lunaire qui a vraiment cru à une réunion entre potes ? Mais pourquoi ce toulousain a-t-il ressenti la nécessité de traverser la France du jour au lendemain, si c’était juste pour trouver des compagnons et aller à la mosquée ? Un candidat à l’attentat jugé peu fiable quand il est arrivé sur place et finalement renvoyé chez lui ? Ou un dissimulateur qui n’a pas participé à l’assassinat mais avait une autre mission ?
Les deux hommes qui connaissaient la réponse sont morts le 26 juillet 2016.
Référence : AJU276295