TJ de Créteil : « Chez vous, il n’y a pas l’ombre d’un début d’empathie et ça glace le sang ! »

Publié le 26/03/2024
TJ de Créteil : « Chez vous, il n’y a pas l’ombre d’un début d’empathie et ça glace le sang ! »
Jonathan Stutz/AdobeStock

Monsieur S. est jugé en comparution immédiate pour des violences ayant entraînées au moins 15 jours d’ITT. Les faits sont très graves et les réquisitions lourdes (4 ans de prison dont un avec sursis). Pourtant, le prévenu n’a pas d’avocat. Non pas qu’il n’en voulait pas, mais parce qu’il n’a pas fait les démarches nécessaires depuis sa cellule à Fresnes pour être assisté.

« Les faits sont à la limite de vous juger pour meurtre dans la salle d’en face, aux assises. C’est un miracle que la victime soit encore en vie », déclare d’entrer de jeu le président du tribunal pour faire comprendre à Monsieur S. la gravité de la situation. Sans grand succès, puisque le prévenu ne sort pas de sa posture nonchalante pendant toute l’heure et demie de cette comparution immédiate.

En plus d’avoir à juger des violences particulièrement graves, puisqu’elles ont entraîné au moins 15 jours d’incapacité totale de travail (ITT), la 12e chambre correctionnelle du tribunal judiciaire de Créteil a face à lui une salle quasi vide et surtout un banc de la défense inoccupé. « En prison, faire les démarches, c’est pas facile. Je n’ai pas pu avoir les fonds dans les temps pour l’avocat », répète le prévenu plusieurs fois. Sa demande de renvoyer une seconde fois l’audience est balayée par le président : « C’est vous qui aviez demandé le renvoi la dernière fois, c’était à vous de faire les démarches pour être assisté, on vous l’a expliqué. Le code a été respecté. Vu les circonstances, on va prendre le temps de vous écouter », assure le juge.

Monsieur S., 19 ans, va donc être jugé pour avoir donné des coups de poing, de pieds, écrasé la tête de Monsieur M., le tout en état d’ivresse et en récidive. L’homme de 55 ans a le nez cassé, de multiples plaies au visage mais aussi une fracture sous l’œil et risque de devenir borgne, de sorte que le nombre d’ITT n’a pas encore pu être posé avec certitude mais se situe entre 15 et 30 jours. « Vous avez mis un type en état de compote », résume le président du tribunal.

Le tabassage, Monsieur S. le reconnaît. « J’aurais pas dû frapper », dit-il dès les premiers échanges. Le prévenu raconte avoir passé un appel juste après les coups : « Je disais : « je suis plein de sang ». J’en avais sur les vêtements, sur les mains… ». Il mime la scène, montre la paume de ses mains, puis s’accoude à nouveau à la vitre du box comme au comptoir d’un café. Quand deux voisins arrivent pour séparer Monsieur S. de sa victime, il se met à diriger sa rage vers des voitures garées à proximité jusqu’à l’arrivée de la police. La cause d’un tel degré de violence ? « Je n’étais pas moi-même avec l’alcool », assure le prévenu. Les policiers confirment que l’état d’ébriété de Monsieur S. était si avancé que les clés de bras n’avaient aucun effet sur lui. « On a craint de le blesser », écrivent les agents dans le procès-verbal d’interpellation.

Sur les faits, il y a consensus. Il en est autrement des circonstances, qui vont occuper une bonne partie de l’audience. D’après les éléments du dossier, tout porte à croire que le prévenu et Monsieur M. ont fait connaissance sur une appli de rencontre et que le premier s’est rendu chez le second en vue d’avoir une relation sexuelle contre de l’argent. D’après la victime, les violences auraient soudainement commencé après des ébats.

« C’est faux », dément Monsieur S. en interrompant le juge dans sa lecture. Il assure avoir refusé de signer le procès-verbal de son audition en garde-à-vue, que le témoignage de Monsieur M. est mensonger, qu’on a usurpé son identité et utilisé des photos de lui à son insu pour échanger sur Snapchat avec la victime. À mi-audience, face à l’incompréhension du tribunal sur ce qu’il raconte, il propose une nouvelle version des faits :

« — Je vais être honnête, annonce-t-il en se frottant les mains. J’allais chez la personne pour la voler. Voilà pourquoi j’y suis allé. J’ai commencé à boire et c’est pour ça que je n’ai rien volé.

— Donc vous êtes nul comme voleur ?, ironise le juge.

— Très marrant ça. Lol ».

Cette version ne tient pas plus debout mais le prévenu y tient dur comme fer. D’après lui, c’est précisément quand Monsieur M. a commencé à le « toucher » qu’il est sorti de ses gonds et a commencé à frapper.

« — Il était sous emprise de cocaïne et d’alcool, moi seulement d’alcool. Si la personne n’avait pas dérapé, s’il n’avait pas fait des choses sans mon consentement, je n’aurais jamais fait une violence.

— Dans votre passé, est-il déjà arrivé qu’on fasse des choses à votre corps sans votre consentement ?

— Non jamais ».

Le prévenu continue à parler de Monsieur M. comme de « la personne » et ne démord pas de sa version à laquelle personne d’autre que lui ne croit. De temps à autre, son regard se dirige vers les deux femmes assises au premier rang du public.

Le président du tribunal continue ses tentatives pour saisir la vérité : « Permettez-moi d’émettre une hypothèse et ne m’interrompez pas s’il vous plaît : vous êtes allé voir Monsieur M. pour avoir une relation sexuelle tarifée qui a eu lieu et la rage, elle vient de là.

— Je peux répondre ?

— Prenez trois secondes pour y réfléchir.

— Pas besoin. Les réponses les plus sincères, c’est le tac-au-tac. C’est faux. Quand la personne a essayé de me toucher, ça m’a dégoûté ».

Après ses tentatives pour comprendre les circonstances du tabassage, le juge attire l’attention du prévenu sur l’indifférence dont il fait preuve tout au long de l’audience par rapport à l’état dans lequel il a mis la victime.

« — Vous savez ce que ça veut dire l’empathie ?

— Non.

— Qu’on se soucie de manière authentique des autres et chez vous… il n’y a pas l’ombre d’un début d’empathie et ça glace le sang ! ».

Au bout d’une bonne heure d’échanges, l’avocat de permanence qui représente Monsieur M. entame sa plaidoirie en rappelant la violence des faits. Il cite son client qui a eu le sentiment « d’être passé tout près de la mort ». Comme le nombre de jours d’ITT n’a pas encore pu être fixé avec certitude, il demande une provision de 4 000 euros.

Place ensuite aux réquisitions de la procureure, qui renchérit sur la gravité des violences : « Sans l’intervention des témoins, cette affaire aurait été jugée devant la cour d’assises. Ça s’est joué à peu de chose. J’étais de permanence ce soir-là et on m’a dit : « On n’avait jamais vu ça ». Monsieur M. va peut-être perdre son œil et surtout ne va peut-être plus jamais ouvrir sa porte à quelqu’un. » Selon elle, le prévenu s’est façonné une version des faits lors de sa détention à laquelle il croit sincèrement. De quoi expliquer son attitude si défensive lors de l’audience, surtout devant un public de proches. La magistrate demande une peine « sévère et importante » de quatre ans de prison dont un an avec sursis renforcé pour assurer l’indemnisation de la victime, ainsi qu’une obligation de soins et de travail.

« Vous avez la parole en dernier pour assurer votre défense », indique le président à Monsieur S. En l’absence de conseil, le prévenu ne sait pas comment s’y prendre et se contente de quelques mots et d’une question prématurée : « Je souhaite m’excuser auprès de la victime, sincèrement, que vous vous rendiez compte que j’ai de l’empathie. Je voudrais aussi savoir comment ça se passe pour demander un aménagement de peine ? ».

Le tribunal déclare Monsieur S. coupable et le condamne au-delà des réquisitions, à cinq ans de prison dont deux avec sursis renforcé pendant trois ans, assorti des obligations habituelles (soins, travail et indemnisation de la victime) et l’interdiction d’entrer en contact avec la victime. La provision de 4 000 euros est accordée et une nouvelle audience fixée dans six mois pour statuer sur les intérêts civils. Une fois le délibéré annoncé, le président explique les démarches pour l’aménagement de peine et lui souhaite bon courage.

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