TJ d’Évry : « Ces gens-là ne sont pas maltraitants par nature, ils sont fragiles » !

Publié le 29/12/2023

Un couple est présenté devant le tribunal judiciaire d’Évry-Courcouronnes pour des faits de violences sur deux de leurs enfants. Un dossier complexe révélateur du caractère encore très ordinaire des « violences éducatives » malgré leur interdiction.

oleksandr.info

Clément* et Marie* s’avancent tous les deux à la barre, peu à l’aise. Ils sont convoqués devant la 7e chambre correctionnelle du tribunal judiciaire d’Évry pour des violences sur mineurs entre 2021 et 2022, auxquelles s’ajoute pour Marie la soustraction à ses obligations légales de parent, compromettant la santé, la sécurité, la moralité ou l’éducation de son enfant.

La juge veut d’abord comprendre la chronologie complexe des faits, puisque plusieurs éléments se superposent. Elle s’intéresse d’abord aux deux prévenus et à leur histoire de famille. Clément n’est pas le père des deux premiers enfants de Marie : Élodie* et Thomas*, issus de deux unions précédentes et qui sont les deux victimes de ce dossier. Clément et Marie se connaissent depuis l’enfance, mais se sont rapprochés en 2019 et se sont mis en couple. Un troisième enfant est né de leur union en avril 2022.

Marie est atteinte d’une agénésie du corps calleux, elle a des difficultés cognitives et est sourde. Elle bénéficie d’une mesure de curatelle et touche l’allocation aux adultes handicapés (AAH). Elle a un déficit intellectuel léger selon l’expert psychiatre, qui a également noté à quel point l’éloignement avec Thomas, placé entre février 2022 à juillet 2023, a été éprouvant pour elle.

« C’est le placement qui l’a traumatisé, selon vous ? »

Élodie est l’aînée, née d’une première relation. Elle vit désormais chez son père, présent à l’audience. C’est elle qui a dénoncé des faits de violence en 2021, alors qu’elle est âgée de 7 ans. Auprès de son père et de sa belle-mère, elle a fait part de coups sur les mains et de fessées. Les policiers se sont présentés au domicile de Marie et Clément le 1er février 2022, alors que Marie était hospitalisée en raison de sa grossesse. Sur place, Clément était présent, en compagnie d’un autre homme, Monsieur C., un ami de la famille. Ce dernier a aussitôt demandé aux policiers s’ils étaient de la brigade des mineurs et pour cause : il est inscrit au Fichier judiciaire automatisé des auteurs d’infractions sexuelles (Fijais). La juge s’interrompt pour demander à Marie, qui vacille sous la pression et le stress, de se détendre : « Arrêtez de vous ronger les ongles ! »

Il est d’abord reproché à Clément d’avoir laissé seuls les enfants avec un homme mis en cause pour une infraction sexuelle. Entendu par la police, il a expliqué qu’il élève Thomas depuis qu’il est né, et ne comprend pas pourquoi l’enfant a été placé. Aux policiers, il a évoqué un conflit parental entre Marie et le père d’Élodie, et que l’enfant était manipulée dans le but de récupérer la garde.

Auprès des policiers, Élodie a parlé d’un coup de couteau. Une cicatrice a bien été observée au niveau du tronc, ainsi que d’autres cicatrices sans rapport avec les déclarations de la fillette, mais de petites lésions sont aussi relevées. Le dossier indique qu’Élodie n’est pas capable de donner beaucoup d’éléments précis sur les coups. Sur le petit Thomas, sont relevées des lésions et des ecchymoses plus objectivables. Aux policiers, Clément a raconté que le petit garçon s’est fait mal avec les barreaux de son lit.

La juge revient sur l’inquiétante présence de Monsieur C., ce qui pourrait être considéré comme une grave négligence. Ce dernier a déclaré aux policiers vivre quasiment au domicile du couple. Marie l’assure, elle n’a jamais confié ses enfants à Monsieur C. « Oui, mais il dormait régulièrement chez vous », constate la juge.

Clément et Marie ont d’abord contesté les violences, puis ont concédé être face à des « enfants difficiles » et ont reconnu des fessées, des tapes sur les doigts. La juge souligne leurs carences éducatives et leur non-conscience de l’impact de ces gestes. « La mesure éducative nous a beaucoup aidés », explique Clément à la juge. Désormais, la gestion d’une crise de Thomas est plus adaptée et plus facile. Reste que le petit garçon est « traumatisé » par son placement. « Il hurle quand il voit la police », décrit Marie, « il a peur qu’on l’emmène, qu’on l’abandonne encore. »

« C’est le placement qui l’a traumatisé, selon vous ? », demande la juge avant de demander aux deux prévenus de s’approcher. Elle montre une photo du dossier sur laquelle apparaissent le visage et le cou du petit garçon, avec un hématome et une griffure bien visibles. « Vous comprenez que les policiers emmènent ce petit garçon quand ils voient ces blessures ? » Marie hoche la tête. Clément maintient que ces blessures résultent du fait que Thomas se retournait dans son lit à barreaux. La juge reste sceptique.

« Ce ne sont pas des sévices graves mais on est dans un registre pénal »

Lors de leur intervention, les policiers ont constaté une forte odeur de cannabis à l’intérieur de l’appartement, un logement « à la propreté douteuse ». Marie est formelle, l’appartement était rangé quand elle est partie à l’hôpital. La juge reprend la défense de Clément qui a affirmé en audition ne fumer qu’un joint le soir sur le balcon. Or c’est à midi que se sont présentés les policiers. Clément insiste, il a bien fumé sur le balcon et l’odeur a dû rentrer. « Donc vous fumez un joint alors que vous êtes en présence d’enfants en bas âge ? », insiste la juge.

Concernant le coup de couteau rapporté par Élodie, Marie tient à rapporter qu’il y a eu d’autres versions pour expliquer la cicatrice de son aînée, notamment une chute au parc, que l’enfant elle-même a décrit lorsqu’elle a été entendue. Sur le banc des parties civiles, le père affirme que sa fille est encore fragile et stressée. Elle refuse encore de voir sa mère. Pour son avocate, les choses s’apaisent doucement. « Il remercie Madame, qui respecte le positionnement d’Élodie, et il espère que le lien va se reconstruire avec elle. Il sollicite un euro à l’endroit de Madame et un euro à l’endroit de Monsieur. »

L’administratrice ad hoc du conseil départemental, chargée de veiller aux intérêts des deux enfants, souligne que les prévenus, bien qu’assez immatures, sont en voie d’évolution. « Mais on revient de très loin. » La mesure d’action éducative en milieu ouvert (AEMO) pour travailler sur les relations intrafamiliales porte ses fruits, reste qu’il est encore trop tôt pour qu’Élodie soit en contact avec sa mère, selon l’avocate. Elle demande 2 000 euros pour chacun des deux enfants pour Marie, et 2 000 euros pour chacun des deux enfants pour Clément.

Le procureur fait état d’un « contexte éducatif défaillant et maltraitant », avec des enfants livrés à eux-mêmes et des violences que les deux prévenus ont reconnus. Il maintient que leurs explications ne sont pas compatibles avec les photos des blessures de Thomas. Des explications qui ont « évolué » : « Des contestations d’abord, et aujourd’hui une reconnaissance des claques et des fessées, des gestes inadaptés constitutifs de faits de violences. Ce ne sont pas des sévices graves mais on est dans un registre pénal. » Il requiert dix à douze mois d’emprisonnement avec un sursis simple.

« Tous les adultes de cette salle ont déjà pris une fessée »

L’avocate de Clément rappelle que son client a reconnu les faits en garde-à-vue et en audience, qu’il a donné des fessées parce que l’enfant n’obéissait pas, mais qu’il a évolué. Elle souligne le recul de son client : « C’est quelqu’un qui a pris des fessées, qui a reproduit une éducation qu’il a reçue, et qui a compris qu’il y a d’autres moyens de se faire obéir. L’accompagnement et l’encadrement lui ont donné des clés pour éduquer sa fille et ses beaux-enfants. » L’avocate s’agace néanmoins de la peine demandée par le ministère public « Même du sursis simple, c’est ça la réponse ? ». Elle requiert au contraire davantage d’outils et de pistes, « plutôt que de dire « Vous avez une peine au-dessus de la tête »».

L’avocat de Marie est lui « stupéfait » par les réquisitions du parquet. « La vie de cette famille a été bouleversée sur une base légitime, avec un millefeuille d’éléments qui alertent. » Il relève que les déclarations de l’aînée n’ont pas été corroborées par le médecin légiste, que les traces au cou de Thomas visibles en photo ne sont pas le résultat de claques et de fessées. « Je suis à peu près convaincu que tous les adultes de cette salle ont déjà pris une fessée. La société évolue et c’est tant mieux. » Il regrette la charge morale qui pèse sur ces parents « Cela me dérange et je constate un malaise partagé par la juge et par le ministère public. Les prévenus n’ont pas potassé des manuels sur l’éducation, ni visité Légifrance pour voir ce que l’on dit dans la loi sur la fessée », la fessée qui, il le rappelle, est interdite depuis seulement fin 2016. « Ils sont maladroits, mais sans mauvaises pensées. Ces gens-là ne sont pas maltraitants par nature, ils sont fragiles. » Il démonte les infractions reprochées à Marie point par point sur ces manquements à ses obligations : « Un appartement pas très feng shui, mais c’est pas non plus un Diogène ! », note-t-il face à l’accusation d’insalubrité. Concernant l’odeur de cannabis, il rappelle qu’elle n’est même pas à l’appartement donc pas responsable d’avoir laissé Clément fumer. Enfin, il est indiqué dans l’enquête que les enfants portent des vêtements inadaptés à leur âge, sans plus de précision, de même que le manque de respect de l’assiduité scolaire. « Pas besoin d’une peine de sursis pour confirmer leur culpabilité, la peine, ils l’ont déjà subie », estime-t-il en référence au traumatisme d’avoir été séparé de Thomas.

Au délibéré, Marie est relaxée des faits de soustraction à ses obligations de parent. Elle et Clément sont reconnus coupables de violences sur mineurs et condamnés à quatre mois avec sursis. Ils devront s’acquitter d’un euro symbolique pour le père d’Élodie au titre du préjudice moral, ainsi que de dommages et intérêts à l’égard des deux enfants.

* Tous les prénoms ont été changés.

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