TJ d’Évry : « En général, quand on voit un juge, c’est assez officiel… »

Publié le 23/01/2024
TJ d’Évry : «  En général, quand on voit un juge, c’est assez officiel…  »
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Un cinquantenaire est présenté devant le tribunal judiciaire d’Évry-Courcouronnes pour violences conjugales. Placé sous contrôle judiciaire après les faits, il est pourtant revenu à son domicile comme si de rien n’était.

Quatre personnes prennent place sur le banc des parties civiles. Dans le box de la 7e chambre correctionnelle du tribunal judiciaire d’Évry, la porte s’ouvre et apparaît Monsieur A. Face à lui, il y a son fils d’une vingtaine d’années, son épouse Madame D., ainsi que deux policiers.

Sous emprise de l’alcool, il est entré dans une colère noire, a cassé du mobilier et a giflé et tiré par les cheveux son épouse. C’est leur fils qui a appelé les gendarmes après avoir été lui aussi violenté. À leur arrivée au domicile, Monsieur A. leur a hurlé dessus qu’il était chez lui, tandis que Madame D. était prostrée au sol, en état de sidération. Il a fallu quatre fonctionnaires de police pour tenter de le maîtriser : « Même le taser ne fonctionnait pas », note la juge. C’est là que les deux agents présents ont été blessés.

« Madame, vous êtes victime ! »

Aux gendarmes, Madame D. a expliqué que la situation du couple s’est dégradée ces dernières années en raison de la consommation d’alcool de son mari, et a dénoncé des violences verbales devenues habituelles. « Madame, vous êtes victime, et votre fils a eu les bons réflexes en appelant les gendarmes », salue la juge. Monsieur A. a d’abord contesté les faits qui lui sont reprochés avant d’admettre qu’il n’avait aucun souvenir. « J’étais pas en train de m’attaquer à sa mère quand il a appelé les gendarmes », maintient-il à l’audience d’un ton calme et ajoute :

– « J’étais dans un état second.

–  Si vous ne vous rappelez pas, ne me dites pas que vous ne l’avez pas frappé !, s’énerve la juge qui énumère à nouveau les coups, les meubles fracassés, dont une table en verre.

– J’ai aucun souvenir, ça fait 27 ans qu’on est ensemble, j’ai jamais agressé ma femme.

–  La violence n’est pas que physique, vous rentrez tous les soirs alcoolisé, vous l’insultez…

–  Pas tous les soirs… »

La juge est désemparée et explique la raison de son étonnement : Monsieur A. lui a été présenté mi-septembre pour une demande de mise en liberté et elle a cru voir une progression chez lui. Elle tente alors de le mettre face à ses contradictions.

– « Et votre fils, qu’en dites-vous ?

–  Oui, je l’ai tenu par la tête.

–  Ou un peu plus que ça, rétorque la juge qui énumère les observations du médecin légiste sur les blessures du jeune homme.  Vous l’avez attrapé par les oreilles, comment ça s’appelle ?

–  Une agression.

–  On est d’accord. »

Monsieur A. finit par reconnaître que les gendarmes ont fait leur travail en intervenant à son domicile. « Le travail des gendarmes, ce n’est pas de maîtriser les gens en état de furie », rétorque la juge.

– « Je suis pas fier de ce qui s’est passé, je peux pas revenir en arrière. »

« J’ai compris que c’était officieux, pas officiel »

La juge fait part d’un manquement grave dans la procédure : les victimes n’ont pas été informées du contrôle judiciaire de Monsieur A. : alors qu’il avait interdiction de contact avec eux, il est aussitôt rentré chez lui après sa présentation au juge et a pu leur annoncer sans sourciller que tout était rentré dans l’ordre et qu’il ne se passerait rien. Lors du suivi du contrôle judiciaire, il a en outre fait savoir que toute la famille s’était réconciliée et était partie en vacances, ce qui s’est révélé faux. Monsieur A. n’a pas non plus respecté son obligation de soins.

À l’audience, il affirme toujours avec aplomb ne pas avoir compris les interdictions émises par le juge et continue de minimiser les faits. « Je suis pas quelqu’un comme ça, j’ai déjà demandé pardon ! » La juge est estomaquée par la légèreté du prévenu et son manque d’évolution depuis l’été. « C’est très grave, mais ce n’est pas moi », poursuit-il au point que la juge lui rappelle que sa femme et son fils sont « terrorisés » à l’idée de son retour.

– « Comment vous avez pu sortir de chez le juge sans comprendre ?

– J’ai compris que c’était officieux, pas officiel. J’avais personne d’autre à appeler, que le numéro de ma femme. J’ai 55 ans, j’ai plus 20 ans.

–  En général, quand on voit un juge, c’est assez officiel…

–  J’ai jamais eu affaire à la justice. J’ai pas compris, maintenant j’ai compris. »

La juge s’intéresse à ce qu’il va faire après sa détention. Monsieur A. a eu de grosses difficultés professionnelles qui l’ont beaucoup fragilisé. Il compte vendre son entreprise dans le bâtiment, récupérer quelques économies et ses affaires. « Et vous soigner », ajoute-t-elle. « Je vais le faire en parallèle », confirme-t-il, toujours sûr de lui. « Je me sens déjà un peu sevré. » La juge se permet de lui rappeler que soigner l’alcoolisme est long : « On ne guérit jamais complètement ! » Pas suffisant pour effrayer le prévenu qui ajoute, bravache : « Je boirais comme tout le monde. » Assis devant le box, son propre avocat se retourne brusquement, ne pouvant laisser passer une telle énormité : « C’est pas possible, ça ! Si vous arrêtez de consommer de l’alcool, vous arrêtez complètement et pour toute la vie. » Réponse de Monsieur A. : « À mon âge, une tisane, ça passe bien aussi. »

« Est-ce que la détention va changer quelque chose ? »

La partie civile a une question à lui poser : « Est-il vrai que vous avez dit à votre femme qu’elle a menti pour la claque ? » Monsieur A. concède avoir dit cela plusieurs mois après les faits. « Et si vous sortez, vous allez où ? » Il compte se « débrouiller » pour se faire héberger. Il accepte de partir si son épouse ne veut plus de lui au domicile mais reste déterminé : « J’aurais pas mérité de vivre comme un SDF, j’ai retapé deux maisons », assène-t-il, lui qui tire une grande fierté d’avoir travaillé toute sa vie, sans jamais compter sur quelqu’un d’autre que lui-même : « Je ne sais même pas comment demander une aide de l’État. Je profite pas du système ! »

« Une phrase m’a interpellée », reprend la partie civile, « c’est ce que dit votre fils en audition « Je pense qu’il a beaucoup montré à ma mère que je ne pouvais rien faire pour l’aider ». Cela montre les conséquences psychologiques, que ce sont des victimes extrêmement choquées, elles ont peur de vous, Monsieur A. » L’avocate décrit son épouse comme une femme qui minimise les faits, « qui n’en rajoute pas » : « Il dit que c’est une demi-heure de sa vie, mais il faut qu’il comprenne que le ressenti des victimes n’est pas le même. » Elle signale enfin que Madame D. est venue avec des vêtements et quelques affaires pour lui. « Ils n’ont aucune demande financière, il n’a rien, ils veulent juste être protégés. »

Pour le procureur, il y a trois sujets d’inquiétude : les faits de violences, la façon dont Monsieur A. a appréhendé son contrôle judiciaire, et « la fragilité des leviers à mettre en place pour freiner cette course à la violence ». Il demande une peine mixte d’un an, avec six mois ferme et six mois en sursis probatoire pour deux ans, et interdiction de contact avec les victimes et de paraître au domicile.

« Il est parfois avantageux de connaître de façon rapprochée un dossier, on va à l’essentiel », estime l’avocat de la défense. Il analyse le comportement détaché du prévenu et ce qui a amené à la révocation de son contrôle judiciaire. « Quelqu’un qui sort de garde-à-vue va parfois, sans mauvaise foi, entendre ce qu’il veut entendre. » Il pointe aussi ce qui fait selon lui la spécificité de ce dossier : la dépression, l’alcoolisme, le sentiment d’abandon. « Est-ce que la détention va changer quelque chose ? La détention provisoire l’a marqué, c’est assez, vous devez retenir l’âge, l’absence de casier, l’absence de travail. » Avant d’être extrait du box, Monsieur A. présente ses excuses à Madame D. et à son fils, ainsi qu’aux deux gendarmes.

Il est finalement reconnu coupable et condamné à un an d’emprisonnement dont six mois assortis du sursis probatoire avec interdiction de contact avec les victimes et de paraître au domicile. Les six mois pourront être aménagés en semi-liberté. Madame D. demande à ce que lui soit transmis son sac d’affaires, qui lui sera remis au parloir.

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