Essonne (91)

TJ d’Évry : « Il n’y a pas une personne angélique et une mauvaise personne, dans le box un monstre, et en face une Cosette. Ce n’est pas si simple que ça » !

Publié le 28/09/2023
TJ d’Évry : «  Il n’y a pas une personne angélique et une mauvaise personne, dans le box un monstre, et en face une Cosette. Ce n’est pas si simple que ça » !
Ольга Вдович/AdobeStock

Accusé de violences sur conjoint ou concubin en récidive et en présence d’un mineur, Antoine* est présenté en comparution immédiate au tribunal d’Évry-Courcouronnes (91). Madame L., la victime, qu’il avait déjà violentée par le passé, est présente dans la salle.

T-shirt blanc, le crâne rasé, le menton haut, Antoine* balaie la salle d’un regard de défi dès son entrée dans le box de la 10e chambre correctionnelle du tribunal judiciaire d’Évry. Déjà condamné pour violences contre sa conjointe, la situation a peut-être un air de déjà-vu pour lui. Des proches sont présents dans la salle d’audience, ainsi que Madame L., celle avec qui il a partagé 18 ans de vie commune et eu deux enfants. Il est jugé en comparution immédiate pour des violences sur conjoint ou concubin ayant entraîné une interruption temporaire de travail ne dépassant pas les huit jours.

Le 12 juillet, à Draveil, la police se déplace chez Madame L. C’est elle qui a appelé. Plus tôt dans la journée, Antoine est venu voir leurs enfants, des jumelles de 3 ans. Malgré l’interdiction judiciaire d’entrer en contact avec elle, tous deux ont repris une vie commune au domicile de Madame L. après la sortie de prison d’Antoine, qui a déjà été condamné pour des violences envers elle.

Sur place, la situation dégénère. La discussion porte sur la consommation d’alcool d’Antoine qui s’énerve, et se met à boire. C’est l’escalade : il jette des objets à Madame L., il la gifle. Elle se défend, il lui fait alors une balayette, et profite de ce qu’elle soit au sol pour lui asséner plusieurs coups de poing dans les côtes et la traîner par les cheveux. Leurs jumelles assistent à toute la scène, en pleurs. Madame L. tente à nouveau de le calmer, de discuter, mais lui, lui reproche de l’avoir envoyé en prison. De nouveaux coups pleuvent, au point de casser les implants dentaires de Madame L. Antoine est interpellé. L’expertise montre que Madame L. porte des blessures et des érosions sur plusieurs parties du corps. Elle reçoit cinq jours d’interruption temporaire de travail.

Antoine reconnaît les faits. À la barre, Mme L., grande femme brune aux fleurs tatouées dans le haut du dos, refuse de se porter partie civile. La juge ne cache pas son désarroi : « Ce qui me bouffe, c’est que ça devait s’arrêter et ça recommence ! » La victime ne cache pas ses difficultés de mère devant désormais élever seule deux enfants profondément marquées par les violences auxquelles elles ont assisté : « Avec les jumelles, c’est très difficile. Je dois tout gérer, tout recommencer avec elles. »

Sans chercher à l’accabler, l’avocat d’Antoine demande avec prudence et tact comment s’est déroulé le retour d’Antoine au foyer après sa première sortie de détention, alors même qu’il en avait l’interdiction, une mesure de protection pour elle. Un choix que certains pourraient juger irrationnel. « Moi, je sais à quoi m’attendre. J’ai essayé de m’en sortir en tant que femme, en tant que mère », explique-t-elle d’une voix émue mais où transparaît pourtant une claire détermination. « Et s’il ressort ? », s’enquit la juge.

– « Je ne resterai pas dans cet appartement maudit. Je déménage. »

– « Entre vous, c’est terminé ? », insiste l’avocat d’Antoine.

– « Là, c’était trop. C’est pas comme si c’était la première fois que je devais encaisser. »

Pour la procureure, si Antoine a effectivement aussi reçu des coups, l’argument de la légitime défense ne tient pas, dans le sens où il n’y a pas de proportion. Elle salue le courage de Madame L., et exprime une sincère compassion à son égard. Nul ne devrait émettre un jugement quant à son choix d’avoir laissé Antoine revenir dans sa vie. « Qui ne le ferait pas quand on a des enfants en commun ? Il n’a pas saisi l’opportunité du sursis probatoire. Je vais suivre l’avis du juge d’application des peines et demander sa révocation. »

Elle requiert six mois d’emprisonnement assorti d’un maintien en détention et une interdiction de contact pour trois ans, ainsi que le retrait de l’autorité parentale. Elle mentionne le sort des deux petites de 3 ans qui ont assisté à la scène terrible des violences. Quand la procureure évoque qu’Antoine se serait présenté comme un « bon père », un étrange rictus de colère et d’ironie traverse le visage du prévenu, comme si lui-même n’y croyait pas vraiment.

« On n’a pas toujours la densité nécessaire pour comprendre la vie de couple. C’est compliqué, c’est le combat de tous les jours. Aujourd’hui, on est pris au mot », analyse l’avocat d’Antoine qui insiste pour sortir de toute polarisation. « Il n’y a pas une personne angélique et une mauvaise personne, dans le box un monstre, et en face une Cosette. Ce n’est pas si simple que ça. » C’est sans pour autant blâmer et accabler Madame L. qu’il tranche : « Il n’y aurait pas dû y avoir de retour au domicile, même si ça s’est bien passé pendant quelque temps, avant une résurgence. » Doit-on prononcer un retrait de l’autorité parentale ou bien de l’exercice parental ? Pour l’avocat d’Antoine, il ne s’agit que de « nomenclature ». Il invite surtout la juge à prononcer un jugement nuancé : « Essayez de penser à la nature humaine », conclut-il en appelant à une peine ferme aménagée. Invité à prendre la parole avant la fin de l’audience, Antoine refuse de s’exprimer.

Au délibéré, la juge le déclare coupable et le condamne à une peine de huit mois, avec la révocation pour un an du sursis probatoire. Il est maintenu en détention. Il aura interdiction pour trois ans de contacter Madame L. et se voit retirer l’exercice de l’autorité parentale. Alors que sa peine vient d’être prononcée et qu’il n’avait pas décroché un seul mot durant l’audience, Antoine s’agite et se manifeste finalement pour parler. La juge semble circonspecte, hésite quelques secondes, avant de lui refuser la possibilité de s’exprimer, estimant qu’il a raté sa chance de prendre la parole au moment dédié. Comme faisant fi du refus de la juge, Antoine se penche malgré tout au micro en plantant son regard au fond de la salle d’audience, là où siègent sur le même banc ses proches et Madame L. « J’aurais dû vous écouter vous deux, là-bas », lance-t-il d’une voix acide aux membres de sa famille, toujours avec cette même expression indescriptible de colère froide et de dédain.

*Le prénom a été modifié.

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