TJ d’Évry : « Si porter des dreadlocks fait de lui un coupable, c’est un peu léger ! »

Publié le 08/02/2024
TJ d’Évry : « Si porter des dreadlocks fait de lui un coupable, c’est un peu léger ! »
La salle des pas perdus du tribunal judiciaire d’Évry, le 18 juillet 2022 © I. Horlans

Quelques centaines d’euros, une Playstation, deux portables, un ordinateur, tel était le butin de deux jeunes hommes, accusés de vol avec violences et menaces de mort, présentés dans le box des accusés du tribunal judiciaire d’Évry-Courcouronnes.

Ils sont deux, tout juste majeurs, à être introduits dans le box de la 10e chambre correctionnelle du tribunal judiciaire d’Évry-Courcouronnes ce jour-là. Dans la salle au premier rang, deux femmes, vraisemblablement leurs mères, se tiennent l’une contre l’autre et se soutiennent, le visage pétri d’angoisse. Un jeune homme en pull à capuche vert a pris place sur le banc des parties civiles.

Mathieu* et Dylan* sont accusés de vol avec violences et menaces de mort, des faits qui se sont déroulés à Limours. Le premier a reconnu une partie des faits, le second les conteste. Lucas*, la victime, a tenu à être présent et leur fait face. Le vol concerne la somme de 700 euros en liquide, ainsi que deux iPhones, un ordinateur portable, une console de jeux. Les faits se sont produits au domicile de Lucas. Le jeune homme a été abordé par deux individus devant son immeuble, qui l’ont forcé à rentrer, l’ont tabassé, notamment des coups sur le crâne avec une barre de fer, lui ont mis un couteau sous la gorge. Lucas a reçu trois jours d’ITT, réévalués à cinq jours. À la lecture des blessures infligées à la victime, les deux femmes au premier rang sont sous le choc.

Après son agression, Lucas a identifié Mathieu comme l’un des responsables. Il l’avait croisé chez un ami commun quelques heures plus tôt. Il ne connaît toutefois pas son deuxième agresseur, qu’il décrit comme un homme noir d’environ 1 mètre 80, portant des dreadlocks. Il pense d’abord à un dénommé A. et transmet aux enquêteurs une capture d’une photo de cet individu trouvée sur Instagram.

« Ce que dit Mathieu est faux ? Est-ce que vous êtes dans un trafic ? »

Le juge s’intéresse à la somme d’argent dérobée et sur les raisons qu’avait Lucas de conserver autant de liquide chez lui. La victime explique qu’elle provient de versements au black reçus par des clients, ainsi que de sa famille, et qu’il comptait déposer l’argent prochainement. Une question justifiée par la défense de Mathieu pour qui il ne s’agissait pas d’un vol, mais d’un remboursement d’une somme d’argent qu’il aurait prêté à Lucas. Le prévenu maintient que ce dernier trempe dans l’illégalité. « Ce que dit Mathieu est faux ? Est-ce que vous êtes dans un trafic ? », s’enquit le juge. « Pas du tout », nie la victime.

L’enquête a permis de remonter jusqu’à Dylan car au lendemain de l’agression, le téléphone dérobé à Lucas a été associé à une carte SIM appartenant au prévenu. Les deux jeunes hommes ont été interpellés, et leur domicile perquisitionné. Mathieu a d’abord contesté sa présence et son implication puis est revenu sur ses déclarations à la troisième audition. Pour lui, il ne s’agissait pas d’une agression, mais d’une bagarre afin de récupérer son argent. Dans le box, il confirme cette version et nie avoir touché à un ordinateur ou une console, ou proféré des menaces de mort, mais reconnaît des coups de poing. Il conteste aussi avoir utilisé une barre de fer pour frapper Lucas. Il garde enfin le silence sur la personne présente avec lui. « Dylan était là ? », tente malgré tout le juge. « Non » catégorique de Mathieu. Ces deux-là se connaissent depuis six ans et se retrouvent régulièrement pour fumer ensemble.

Lucas revient à la barre pour expliquer l’enchaînement de l’agression. Il assure que ce n’est pas Mathieu qui a asséné les coups de barre de fer et que l’autre agresseur a pris le couteau qui était dans l’évier pour le lui mettre sous la gorge. Lui et Mathieu s’étaient croisés une ou deux fois auparavant. Qu’en est-il de cette histoire de dette, questionne le juge. « Il cherche sûrement un argument pour se défendre », avance Lucas.

« Je ne dirai pas le nom de la personne, ça s’appelle dénoncer »

Dylan, lui, conteste avoir été présent et participé à l’agression. Lors de la perquisition, une manette de jeu a été trouvée, celle qui correspond à la Playstation volée chez Lucas. Comment explique-t-il que sa carte SIM se soit retrouvée dans un des téléphones volés ? Il raconte avoir reçu le téléphone par une autre personne, avoir voulu l’essayer, et l’a ensuite rendu. « Je ne dirai pas le nom de la personne, ça s’appelle dénoncer », balaie-t-il. Le juge tente de pointer certains aspects douteux de cette version.

– « C’est pas anodin, on retrouve la manette chez vous…

– C’est vrai, ça peut paraître bizarre.

– Comment vous expliquez ça ?

– On m’a passé le téléphone et une manette avec.

– C’est un bon ami alors ?

– C’est un bon collègue. J’ai confiance en lui. Je demande pas d’où ça vient. »

Continuant de nier tout participation, Dylan en profite aussi pour s’étonner que Lucas ait nettoyé le couteau avec lequel il l’aurait menacé : « Comme par hasard, le couteau, il le lave après. Qui ferait ça ? ». Une des juges assesseures s’étonne que le prévenu refuse toujours de dire qui lui a remis le téléphone. « Aucun de vous deux ne veut dire qui c’est, alors que ça vous disculperait ! »

Alors que Lucas n’a pas reconnu avec certitude Dylan lors de l’identification sur planche photographique, c’est lors de la confrontation qu’il a reconnu formellement sa voix. Au tour de la procureure de s’étonner des réponses de Mathieu et de son refus de dire qui était la personne avec lui dans l’appartement de Lucas. « En audition, vous avez dit « je préfère garder le silence » plutôt que de dire que ce n’était pas Dylan. »

Mathieu a déjà une mention à son casier judiciaire pour un vol aggravé et des faits de filouterie. Il est en formation pour devenir scaphandrier. Aucun casier du côté de Dylan, qui a arrêté son BTS, faute d’avoir trouvé une alternance à temps et qui depuis fait des stages.

Lucas souhaite se porter partie civile, et demande 3 285 euros au titre de dommages matériels et 1 000 euros pour les souffrances endurées. Il tient à souligner devant le juge le stress généré par cette audience et présente une photo de ses pneus crevés découverts ce matin.

« La vérité, c’est que c’est un dealer et tout le monde le sait !  »

La procureure salue la constance et la précision de la description de Lucas. Elle pointe la fragilité de la thèse du receleur avancée par Dylan et appelle à ne pas la retenir. « Les violences sont particulièrement graves en plus des vols, ainsi que le choix d’agresser une personne à son domicile, de la ramener chez elle et de la menacer, de la rouer de coups. Ce sont des faits qui nécessitent une réponse ferme. » Elle réclame une peine de douze mois dont six assortis du sursis probatoire pour Mathieu et douze mois dont douze assortis du sursis probatoire pour Dylan, en prenant en compte leurs antécédents et leur casier judiciaire.

Dans sa plaidoirie, l’avocate de la défense commence par montrer que Lucas n’est pas « une pauvre victime ». Il consomme des stupéfiants, il n’a pas été choisi « au hasard », insiste-t-elle. Elle réclame la relaxe pour Dylan, rappelant que Lucas a d’abord pointé une autre personne avant de le reconnaître sans certitude. « Si porter des dreadlocks fait de lui un coupable, c’est un peu léger ! » Quant à Mathieu, elle affirme qu’il reconnaît « une bagarre avec l’un plus amoché que l’autre » et pointe là encore le comportement suspect de Lucas qui a préféré appeler des amis et non la police ou les pompiers juste après les faits. « Mathieu reconnaît les coups de poing, il s’est remboursé ce qu’on lui devait. On se pose aussi des questions sur l’origine de tout ce liquide. » Elle veut enfin attirer l’attention sur le parcours difficile de son client, à plusieurs reprises marqué par la mort de proches, son père en 2016, sa petite amie en 2021, et sur son rêve de devenir scaphandrier. Elle appelle à une peine de travaux d’intérêt général pour ce dernier avec la possibilité de l’éloigner chez son grand-père dans le Sud de la France.

La parole est aux deux prévenus qui ne se démontent pas face à Lucas : « La vérité, c’est que c’est un dealer et tout le monde le sait ! », clame Mathieu, qui dit accepter de quitter sa ville. Dylan en profite lui pour pointer la faiblesse de la reconnaissance de la victime : « Si A. avait été en garde-à-vue, il aurait dit que c’était lui en confrontation. »

Au délibéré, tous les deux sont condamnés à une peine de 24 mois assortis d’un sursis probatoire de douze mois. Ils auront interdiction de contact avec la victime, ainsi qu’entre eux. Dylan aura obligation de domiciliation dans une autre ville de l’Essonne, tandis que Mathieu devra vivre dans le Sud. Ils ont tous les deux une obligation de travail et interdiction de détenir une arme. Le juge ajoute que les peines d’emprisonnement ferme seront aménagées sous surveillance électronique. À l’énoncé des peines, les deux mères des prévenus poussent un soupir de soulagement. La constitution de partie civile est recevable et Lucas devra être indemnisé.

À l’annonce du verdict, Lucas fait savoir que la ville où doit désormais vivre Dylan est aussi celle dans laquelle il devra se rendre pour ses études prochainement. Moment de flottement dans la salle. « On ne peut pas revenir sur le délibéré », s’agace le juge qui aurait aimé en être averti plus tôt. Pendant ce temps dans le box, les deux prévenus tentent de reprendre la parole, ils aimeraient récupérer leur téléphone. Le juge sort de ses gonds : « Y’a pas de débats de marchands de tapis ! Vous avez échappé à la détention, alors vous sortez ! » Une des mères intime aux deux jeunes hommes de faire profil bas : « Dylan, c’est pas grave ! »

*Les prénoms ont été changés.

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