Tribunal de Bobigny : « Dans le 93, les cagoules et survêtements, ça court les rues ! »
Si Khalid et Houssaim n’avaient pas bénéficié d’une excellente défense qui a pulvérisé l’accusation, il est probable qu’ils auraient passé l’année 2021 en prison. Prévenus de tentative de vol aggravé, ils avaient contre eux un casier judiciaire aussi lourd qu’un Bottin.
L’huissière est si affairée qu’elle a les pommettes rose vif et les mèches en bataille. Elle court d’une salle à l’autre, accueille les personnes convoquées et canalise leur entrée dans les prétoires du tribunal de Bobigny, en Seine-Saint-Denis. « Toute la semaine, on a fini dans la nuit », témoigne le jeune policier en faction au seuil de la 17e chambre correctionnelle. Ce vendredi 30 avril « il y a du mieux », relève-t-il : seulement sept affaires, cependant complexes. Sans compter que six d’entre elles concernent des détenus qui, à cause du manque d’agents pour les escorter, peinent à arriver, retardant le déroulé de l’audience.
Ce n’est pas le cas de Khalid et Houssaim. Depuis deux heures, ils rongent leur frein dans la « souricière », anxieux à l’idée de rester en détention. Ils dorment en cellule depuis le 26 mars dernier, suspectés de tentative de vol aggravé. Quelques mois plus tôt, ils auraient essayé de dévaliser la gérante d’un bar-tabac d’Aulnay qui venait déposer sa recette de 17 000 € dans son agence de la BNP.
« Je touche le RSA depuis un an et je fais des économies »
Bien qu’aspergée de gaz lacrymogène, comme son accompagnateur qui l’a défendue, Claire n’a pas lâché sa précieuse sacoche. Alors les deux « Pieds nickelés » se sont enfuis bredouilles et ont disparu à bord du véhicule d’un troisième larron qui n’a pas été interpellé. La plaque d’immatriculation de la voiture a mené les enquêteurs jusqu’à sa propriétaire, laquelle a assuré la prêter à Houssaim. Blouson noir sur tee-shirt gris, grand et costaud, il jure ne « rien comprendre » à sa mise en cause et justifie avec aplomb les quelques centaines d’euros découverts lors de la perquisition chez lui : « Je touche le RSA depuis un an et je fais des économies. »
Khalid, plus petit, arbore le même blouson sur polo couleur coquille d’œuf et, comme son camarade, dit n’être jamais allé à la BNP d’Aulnay. « Ce jour-là, je travaillais », assure-t-il, oubliant avoir admis auparavant qu’il n’a plus d’emploi depuis un an.
« Vous êtes condamné tous les ans depuis 2009 ! »
Selon le ministère public, le dossier contre Houssaim, 25 ans, et Khalid 27 ans, s’appuie sur « plusieurs mois d’enquête ». Outre le prêt de la voiture utilisée pour commettre le délit, il y a la vidéosurveillance et la téléphonie. Les caméras de la banque ont filmé deux hommes encagoulés, portant un blouson de marque Ellesse, un pantalon de survêtement Nike arborant la célèbre mention « Just Do It. », un jean bleu délavé. Quant aux téléphones portables des prévenus, ils « bornaient » à Aulnay. Et puis, bien sûr, il y a les casiers judiciaires qui ne plaident pas en leur faveur.
La procureure Marie Delcourt fait remarquer à Houssaim que le sien porte « 37 mentions. Vous êtes condamnés tous les ans depuis 2009 ! Vous êtes sorti de prison le 13 novembre 2020, le sursis probatoire vous imposait de répondre à des convocations que vous avez ignorées. Vous êtes insensible aux nombreux avertissements. C’est affligeant ! » Elle requiert 18 mois de prison ferme et la révocation du sursis, soit un trimestre supplémentaire. A l’encontre de Khalid, déjà condamné 14 fois, elle sollicite l’incarcération durant un an.
« Les victimes, formelles, ne les ont pas reconnus »
Si le dossier était un arbre, ce n’est pas à la scie qu’il l’élaguerait mais à la tronçonneuse. Me Steeve Ruben a du coffre et une voix de stentor. Mieux, il a étudié les faits à la loupe, jusqu’à analyser les factures détaillées et se pencher sur le vestiaire de Khalid. Venu de Paris pour le défendre, l’avocat s’attaque à chaque incongruité : « Dans le 93, les cagoules et survêtements, ça court les rues ! Rien ne permet d’identifier mon client, sauf un jean bleu délavé qui, il est vrai, est très rare, en Seine-Saint-Denis », ironise-t-il. « Pas plus que ses trois paires de baskets saisies par la police qui, d’ailleurs, ne figurent pas sur les images de la vidéosurveillance. Ils n’ont jamais monté de coup ensemble, n’ont jamais été condamnés ensemble », plaide-t-il.
Ultimes arguments de Me Steeve Ruben, en guise d’abatage : « Lors du “tapissage”, les victimes, formelles, ne les ont pas reconnus. Ne reste que l’examen des fadettes, qui ne prouve rien. Parce que le téléphone de mon client “borne” largement à Aulnay et non précisément à la banque, on le dit coupable. Mais il s’est déplacé 18 fois en deux jours dans la zone des émetteurs et antennes d’Aulnay. Ce n’est pas sérieux ! Je vous demande la relaxe au bénéfice du doute. »
Confucius appelé en défense
Le président Corbu et ses assesseures ont pris beaucoup de notes. Les trois juges écoutent avec autant d’attention Me Marcel Baldo, intervenant pour Houssaim. L’avocat, venu de la proche ville de Sevran, déplore « un raisonnement par induction », qui tiendrait pour acquis des éléments au motif que les prémisses seraient vraies. Si la probabilité que son client puisse commettre un délit est élevée, son casier le démontre, est-il possible de conclure qu’il a perpétré celui-ci ? « Effectivement, il possède un blouson Ellesse et un survêtement Nike, ce qui est le cas de nombreux jeunes gens. Et son téléphone était avec lui, au centre commercial d’Aulnay », objecte-t-il.
Lui aussi évoque le fait que les victimes, certaines de pouvoir reconnaître leurs agresseurs, n’ont pas désigné Houssaim et Khalid quand on les leur a présentés. « Le faisceau d’indices est extrêmement fragile. Faites un sort à ce type de dossiers. “Ils pourraient” n’est pas une certitude », conclut Me Baldo, appelant le philosophe chinois Confucius à la rescousse : « L’expérience est une lanterne que l’on porte sur le dos et qui n’éclaire jamais que le chemin parcouru. »
A 18 heures, les magistrats se refusent à condamner au seul motif que le passé des jeunes gens est éminemment chaotique. « Les faits étant insuffisamment caractérisés », Houssaim et Khalid sont relaxés.
L’escorte les menotte une dernière fois, jusqu’au retour en maison d’arrêt pour la levée d’écrou.
Dans la salle, quatre personnes applaudissent sous l’œil réprobateur de l’huissière épuisée (1).
(1) NDLR : il n’est pas d’usage d’applaudir dans une salle d’audience ni, d’une manière générale, de manifester une quelconque opinion sur la conduite des débats.
Référence : AJU215211