Tribunal de Bobigny : « Je reconnais tout, même si je ne me rappelle rien »

Publié le 07/06/2021

Jeudi 3 juin, les chambres correctionnelles de Bobigny, en Seine-Saint-Denis, affichaient complet. Dans la plus exiguë des sept, surchauffée et sans box pour accueillir les détenus, tous les mis en cause ont admis les faits. Une chance pour les magistrats débordés.

Tribunal de Bobigny : « Je reconnais tout, même si je ne me rappelle rien »
Tribunal judiciaire de Bobigny (Photo : ©I. Horlans)

 Le président Simon Rintaud ouvre le dossier N° 10. Il est 17 heures. Parmi le public, des femmes s’éventent avec une enveloppe opportune, quand la procureure et les avocates utilisent des procès-verbaux. Les hommes, eux, semblent singulièrement s’accommoder des quelque 30° qui alourdissent l’atmosphère déjà saturée par une petite foule. Faute de box, les personnes incarcérées côtoient celles qui comparaissent libres, les parties civiles et les interprètes. Les cinq policiers qui les escortent restent debout. Et, comme toujours, les défenseurs commis d’office courent d’une salle à l’autre.

Heureusement, les affaires sont vite examinées car, fait exceptionnel, tous les comparants reconnaissent leur culpabilité. Ainsi de Basile, citoyen à la double nationalité, moldave et roumaine, arrêté le 21 novembre 2020 à Montfermeil pour ivresse et consommation de cannabis dans la rue. Ce n’est pas tant l’usage de stupéfiants qui l’amène devant la chambre 12 bis du tribunal correctionnel mais plutôt la rébellion et les outrages contre les forces de l’ordre.

« Tu vas crever, fils de pute ! »

Queue de cheval sur un crâne partiellement rasé, chemise blanche à pois bleus et jean moulant, Basile, 20 ans, est ouvrier dans le bâtiment et avoue travailler « au noir, à cause de [sa] situation administrative ». S’il a agressé le brigadier-chef V., c’est parce qu’il avait consommé « trop de whisky et de bière ». L’alcool le rend « mauvais » quand le shit le « fait planer ».

« – Curieuse façon de planer, objecte le président qui juge seul ce jeudi 3 juin. A l’hôpital où l’on vous a conduit, vous avez semé la panique, vous avez agressé les policiers ! Reconnaissez-vous avoir craché sur le brigadier en lui disant : “J’ai la Covid, tu vas crever, fils de pute” ?

–  Oui, je reconnais tout, même si je ne me rappelle rien. J’ai besoin d’aide, pour la drogue. Vous pouvez m’aider, monsieur le président ?

– Ni moi ni madame le procureur ne le pouvons, sauf à vous envoyer en prison. Ce n’est pas ce que vous souhaitez, n’est-ce pas ?

– Ben non… »

Me Andréa Vo, collaboratrice de Frédéric Gabet à Saint-Ouen, représente la partie civile : « La situation fut compliquée, c’est un euphémisme. Mon client a dû assurer la sécurité du suspect qui se débattait, des patients dans la salle d’attente et du médecin, tout en gérant son stress. C’est dégradant de se faire cracher dessus et traiter de chien… »

« Vraiment, je regrette beaucoup, je m’excuse »

 La procureure Céline Gay révèle que Basile sera prochainement jugé pour vols en bande organisée et association de malfaiteurs. Les faits qui lui sont aujourd’hui reprochés ont été commis dès sa sortie de prison alors qu’il se trouvait sous contrôle judiciaire : « C’est un comportement inadmissible ! A fortiori à l’encontre de soignants et de policiers éprouvés par des mois de pandémie. » Elle requiert quatre mois de prison avec sursis probatoire de deux ans, une obligation de soins et 600 € pour le préjudice moral du fonctionnaire. Le président, qui rend chaque décision sur le siège, suit les recommandations du parquet, ajoutant que Basile doit trouver un emploi déclaré.

Bastien, lui, est un petit dealer poursuivi pour violence ayant entraîné une incapacité de travail de dix jours. Le 8 octobre dernier, il a fracturé le nez de Baptiste venu lui acheter du shit à Livry-Gargan. « Je lui ai donné 5 € pour qu’il me rapporte une canette mais il a tardé à revenir. J’ai cru qu’il m’avait volé et je l’ai frappé. Vraiment, je regrette beaucoup, je m’excuse », dit-il au jeune homme assis à un mètre. Tous deux sont âgés de 20 ans, l’un et l’autre vêtus de noir des pieds à la tête. La victime entend les regrets et ne sollicite que 1 000 euros.

« Comment je fais, pour dédommager la victime ? »

Me Wafa Bendjaballah, plusieurs fois commise d’office ce jour-là, défend Bastien, visiblement contrit. Il tremble, essuie des larmes, les quatre mois de sursis requis, associés aux 140 heures de travail d’intérêt général (TIG), l’ont mis KO. C’est la première fois qu’il a affaire à la justice. « Il a épongé le sang de Baptiste, c’est dire s’il avait déjà des remords. Il a cessé de boire, revit chez ses parents et s’est fiancé il y a deux jours. Il se démène pour se tirer d’un mauvais pas », plaide l’avocate de Bobigny.

« – La loi m’oblige à vous demander si vous êtes d’accord pour effectuer un TIG, précise le juge Rintaud.

– Oui, bien sûr, répond Bastien en opinant jusqu’à risquer un torticolis. Je regrette, je suis tellement désolé… »

Le tribunal le condamne à 105 heures de TIG et à une peine de quatre mois avec sursis. Bastien remercie, signe les papiers que lui tend le greffier Jean-Etienne Mille et se tourne une dernière fois vers le président : « Comment je fais, pour dédommager la victime ? »

En France depuis cinq ans, sans titre de séjour

 Me Wafa Bendjaballah, de retour en salle N°2 après une plaidoirie dans la voisine, est désormais au côté de Dalil, un Algérien de 22 ans en tenue de jogging noir à bandes rouges. Son crâne pelé par endroits révèle une santé précaire, et sa vie n’est qu’une succession d’échecs. L’arrivée en France il y a cinq ans, pas de titre de séjour, les petits boulots payés au black, juste une tante à Paris à la porte de laquelle il n’a jamais osé toquer, « tant j’avais honte de mon existence ». Depuis qu’il a volé un iPhone 11 dans le RER B, le 15 septembre 2020, avec l’objectif de le revendre 100 euros pour manger, il a renoué avec la sœur de sa mère et se tient à carreau. « Je regrette depuis ce jour, d’ailleurs j’ai aussitôt rendu le téléphone », explique-t-il, omettant d’ajouter que les cris de passagers et l’arrivée de la police l’y ont contraint.

Son avocate plaide avec énergie et compassion : « C’était un homme isolé et perdu. Ce n’est évidemment pas une excuse mais je crois que vous avez devant vous un prévenu qui ne récidivera pas. »

Le tribunal le condamne à 140 heures de TIG. S’il ne les effectue pas, il ira passer trois mois en prison. Dalil s’en retourne à la précarité des étrangers sans papiers.

Simon Rintaud s’empare d’une autre pile de dossiers. Une bonne dizaine. Il est 18h15. Ainsi va la vie, au tribunal de Bobigny qui enregistre quelque 200 000 procédures pénales chaque année…

Tribunal de Bobigny : « Je reconnais tout, même si je ne me rappelle rien »
Me Wafa Bendjaballah, au tribunal de Bobigny (Photo :©I.Horlans)