Tribunal d’Évry : « Si je me suis masturbé, je vous demande pardon »
Le 16 juillet, Léa*partait travailler en RER B lorsqu’elle a entendu « des gémissements ». Elle a pensé que son voisin était blessé. En fait, David, 46 ans, braguette ouverte, avait la main dans son pantalon. L’exhibition lui vaut d’être inscrit au fichier des délinquants sexuels.
Ce lundi 18 juillet 2022, la 10e chambre correctionnelle du tribunal d’Évry-Courcouronnes (Essonne) affiche complet. Les comparutions immédiates s’enchaînent à un rythme soutenu sous la présidence de Laurence Contios, juge d’une extrême prévenance qui supporte jusqu’au vacarme de la salle. Les familles de trois suspects de trafic de cocaïne voisinent coude-à-coude sur cinq bancs ; quelque trente personnes accompagnées de tout-petits qui s’égayent dans la travée. Madame Contios ordonne leur évacuation : « Ce n’est pas une bonne idée d’amener de jeunes mineurs ici. »
A fortiori pour entendre la mésaventure traumatisante de Léa. La conduite des débats est confiée à une auditrice de justice qui effectue un stage là où elle sera bientôt affectée. David, Congolais en situation irrégulière depuis 2012, fait son entrée dans le box ; il est agité, anxieux. En juin, sa femme a abandonné leurs quatre enfants en RDC pour le rejoindre en Île-de-France. Elle est à l’abri dans une église en Seine-Saint-Denis. David vit dans la rue. Pour manger, il exécute des boulots non déclarés : la nuit dans un parking, le jour sur des échafaudages.
« En dormant, on peut faire n’importe quoi, non ? »
Cet emploi du temps « au black », doublé de la précarité de son existence, expliquent selon lui les événements qu’il qualifie de « malheureux ». Place au rapport des faits, d’abord. Samedi 16 juillet, donc, Léa monte à bord du RER B en direction Goussainville (Val-d’Oise), s’assoit sur un siège isolé à courte distance de la banquette où David est installé. La jeune fille raconte la suite à la barre : « Il est précisément 11 h 53, j’entends des bruits bizarres, des gémissements. Je me tourne vers le monsieur, nos regards se croisent, il a les yeux rouges. Je crois qu’il est blessé et qu’il se trouve mal. J’ai peur. Et je vois sa braguette ouverte, sa main dans son pantalon dont la ceinture est détachée. » Le mouvement de va-et-vient ne laisse aucun doute.
Léa alerte le contrôleur. En gare de Yerres, la police arrête David. En garde à vue pour exhibition sexuelle, ses propos sont extravagants, le psychiatre est requis. Il décèle des « accès monomaniaques », soit une forme de délire avec idée fixe dominante.
La déposition de Léa a prodigieusement agacé David. Il remue, maugrée, son masque sanitaire descend du visage au cou, il écarte ses gros bras, tel Jésus-Christ sur la croix. La métaphore prend ici du sens : il est catholique fervent. David proteste : « Sur ma conscience, je le jure, les policiers m’ont réveillé. J’avais bossé toute la nuit, j’avais tellement sommeil… J’ignore ce que j’ai fait. En dormant, on peut faire n’importe quoi, non ? » Le voici qui vocifère : « Il y avait plein de monde dans le wagon. Franchement, faire ça devant des gens ? Impossible. Je ne suis pas fou ! »
Interné pour avoir caressé une fille dans un bus
L’auditrice de justice, au talent prometteur, parvient à le calmer. « – Lors de la première audition, vous avez dit être ivre et rentrer d’une fête. Il est écrit : “J’ai vu la dame, j’ai fait ça, oui, et j’ai honte”. Vous revenez sur vos déclarations ?
– Oui ! On m’a dit de signer, je n’ai pas lu. J’ai 46 ans, je suis père, comment je pourrais me conduire ainsi ?
– C’est la première fois que vous êtes interpellé pour ce type de délit ?
– Eh bien… Il y a eu une fille… »
La suite est incompréhensible. Sa volubilité étourdissante, conséquence de l’exaltation trépidante de son esprit, rend ses explications inaudibles. On apprend par la juge stagiaire qu’il a été interné pour avoir caressé une fille dans un bus. « Mais à l’hôpital, on a dit que je n’étais pas fou », s’emporte-t-il à nouveau. Il convient néanmoins fumer « trop de shit », ce qui peut le perturber à l’occasion. Ses longs bras puissants en croix, il s’adresse à Léa : « Si je me suis masturbé, je vous demande pardon. J’implore ton pardon. » Depuis l’ouverture de son procès, il alterne vouvoiement et tutoiement, y compris dans ses réponses aux magistrats. Sans être expert, on soupçonne que tout ne tourne pas rond dans sa tête ; son avocat l’admettra.
Son état semble lié à son parcours chaotique. Licencié en droit au Congo, David fut un athlète de haut niveau, sélectionné pour représenter son pays aux VIIe Jeux de la Francophonie, en 2013 à Nice. Il est arrivé dans ce cadre l’année précédente sur la Côte d’Azur, afin de s’entraîner. Tout a basculé : ni médaille ni retour à Kinshasa. Au lieu de cela, l’errance, les petits jobs sous la grisaille parisienne. Cela fait quatre ans qu’il est sans domicile.
« Je m’en remets à votre miséricorde »
La procureure Sophie Cazalas dit « ne pas bien comprendre sa position ni son discours incohérent, fluctuant. La victime est précise, elle ne le connaît pas, elle a fait bloquer le RER, elle s’est déplacée ici. Pourquoi l’accuserait-elle s’il n’avait rien fait ? » Elle souligne trois points cruciaux – le rapport du psychiatre, les deux identités sous lesquelles il est identifié, l’usage de cannabis – et révèle que le préfet a notifié une OQTF (obligation de quitter le territoire français). La parquetière requiert un an de prison avec sursis, l’inscription au fichier des auteurs d’infractions sexuelles (Fijais).
Commis d’office, Me Claude Ndokolo plaide « la confusion » d’un client « en situation de grande précarité qui, oui, est incohérent, et ses discours religieux n’aident pas à comprendre ». David a très souvent invoqué Dieu en psalmodiant comme un moine. « Même si des incidents ont été relevés au titre de l’ILS [infraction à la législation sur les stupéfiants], dans un bus, je préférerais une mesure d’insertion sociale. » Peut-être aussi des soins.
Le prévenu a la parole en dernier : « Je m’en remets à votre miséricorde », prie-t-il, mains jointes.
La justice des hommes sera partiellement clémente : David est condamné à six mois de sursis mais son nom, du moins celui sous lequel il a comparu, est inscrit au Fijais. « Cela signifie que vous devrez déclarer annuellement votre adresse », indique la présidente Contios. Puisqu’il n’en a pas, ce sera compliqué, comme d’appliquer l’OQTF.
Léa est reçue dans sa constitution de partie civile. Considérant qu’il s’agit d’un accident de trajet, son employeur lui adjoindra un avocat. Il plaidera les intérêts civils le 12 janvier 2023.
Dieu seul sait où vivra alors David. Peut-être au Congo, avec ses enfants et son épouse. On le lui souhaite.
*Prénom modifié
Légende photo ãI. Horlans
La salle des pas perdus du tribunal judiciaire d’Évry, le 18 juillet 2022.
Référence : AJU307970