Tribunal de Bobigny : « Je t’avais prévenu que je te choperai, eh bien on y est ! »

Publié le 08/07/2022

La 12e chambre correctionnelle de Bobigny (Seine-Saint-Denis) affichait complet le 29 juin. Pas moins de 22 prévenus, la majorité soupçonnée de violences sur des épouses. Sauf Maklhouf qui, lui, a agressé l’amant de sa femme. Depuis six mois, il rêvait « de se le faire ».

Tribunal de Bobigny : « Je t’avais prévenu que je te choperai, eh bien on y est ! »
Tribunal judiciaire de Bobigny (Photo : ©M. Barbier)

 L’avocate parisienne Aude Catala regarde sa montre. L’heure tourne, elle doit être en fin d’après-midi au Palais de justice sur l’Île de la Cité, dans le 1er arrondissement. Ce mercredi 29 juin 2022, les juges de la cour d’assises spécialement composée rendent un verdict historique, au terme du procès des attentats du 13-Novembre 2015 (lire notre éditorial du 30 juin ici). La présidente Capdevielle la rassure : le dossier N° 16 est complet, le parquet algérien lui a enfin adressé le casier judiciaire, vierge, de Maklhouf, 35 ans. La victime, que représente Me Catala, paraît encore éprouvée à la vue de cet homme imposant.

Les coups portés ont expédié Mohammed à l’hôpital, avec une incapacité temporaire de travail de dix jours. Il garde des séquelles et craint, surtout, de nouvelles représailles. Tout petit à côté du prévenu, il évite son regard comme celui de Samia*, l’épouse qui lui a coûté tant de déboires. La jeune femme n’a pas été citée par les parties, elle ne témoignera pas mais se tient en retrait, soutien et vigie d’un mari au tempérament volcanique.

« Ma baguette de pain a volé, je suis tombé… »

 Les faits qui valent à Maklhouf de comparaître pour violence devant la 12e chambre du tribunal de Bobigny remontent au 14 octobre 2021. Ce jeudi-là, Mohammed fait ses courses. Il sort d’une boulangerie et se dirige vers sa voiture, garée sur un parking heureusement fréquenté. Sans un passant qui s’est interposé, serait-il rétabli ? On s’interroge en regardant les biceps de Maklhouf, semblables aux cuisses d’un catcheur.

Sur le parking, donc, l’attendent son ancienne maîtresse et l’époux jaloux. « Je t’avais prévenu que je te choperai, eh bien on y est ! » hurle ce dernier. Mohammed raconte la suite : « C’était une vraie embuscade, ils m’avaient suivi depuis mon lieu de travail où, déjà, il téléphonait et me menaçait. Il m’a frappé, ma baguette de pain a volé, je suis tombé… » Au milieu de ses pâtisseries, il se recroqueville pour parer les coups de pied. « Cette fois-ci, je n’allais pas le lâcher », confirme le prévenu en chemisette, bras croisés sur son torse robuste.

Un jeune homme l’empêche de s’acharner, il est menacé, tient bon, relève la plaque d’immatriculation de l’auto du couple, alerte les pompiers. Les policiers retrouveront vite Maklhouf. Il n’a pas nié l’agression, il espérait « se le faire ». Il invoque des excuses liées à des clichés compromettants.

« T’as fait quoi des photos ? Je te lâcherai jamais ! »

 Voici, selon lui, l’origine de ses emportements véhéments. Car l’affaire du parking est l’acmé du harcèlement subi par Mohammed. La liaison, qui a pris fin en avril 2021, a été plus ou moins pardonnée. En revanche, Samia redoute que son ex-amant diffuse sur le Web les photos intimes qu’elle lui a envoyées au temps joyeux. Maklhouf révèle cet élément inconnu durant les débats. Mohammed reconnaît les avoir gardées, promet « de les effacer pour que ça cesse ».

« Ça » recouvre plusieurs désagréments : filatures, menaces en mai, juillet, octobre 2021, jusqu’à l’attaque du 14, appels malveillants, et une algarade « le 27 avril 2022 devant chez ma mère. Ils m’avaient de nouveau suivi. Je me suis réfugié dans ma voiture. Il tapait dessus, criait : “T’as fait quoi des photos ? Je te lâcherai jamais ! J’ai foncé au commissariat ». On apprend au passage que la police, arguant du dossier pendant, a refusé sa plainte. Mohammed a dû se contenter d’une main courante.

Agnès Capdevielle, juge unique, n’en revient pas : « – Le 27 avril dernier ? Ça ne vous a pas suffi de le frapper le 14 octobre, six mois après la liaison ?

– Le 14, j’attendais des explications. Le 27 avril, ma femme voulait l’obliger à supprimer les photos.

– Vous avez dit “l’histoire ne s’arrêtera pas là”. Elle s’arrêtera quand ?

– … »

Le silence de Maklhouf « ne présage rien de bon », résumera Me Catala.

« Faire justice soi-même ? Est-ce la société que l’on veut ? »

 Le rapport de l’unité médico-judiciaire est probant : multiples ecchymoses et contusions, épaule immobilisée, pose d’attelle à un pouce, importantes répercussions psychologiques. L’avocate de la partie civile insiste sur « le traumatisme » de son client et regrette que Maklhouf « se défausse sur sa femme. L’attitude de monsieur est peu courageuse ». Aude Catala admet que la série de clichés doit disparaître, « je verrai cela avec mon confrère », mais demeure « inquiète » et souhaite une peine dissuasive.

La procureure Alice Guillet partage son appréhension : « Des préparatifs pour lui tomber dessus six mois après la liaison, les coups portés à terre ? Franchement, j’ai du mal à comprendre ! Faire justice soi-même ? Est-ce la société que l’on veut ? Ces violences sont injustifiables. » Elle requiert huit mois de prison entièrement assortis d’un sursis probatoire d’une durée de deux ans et l’interdiction d’approcher Mohammed.

Me Antonin Paillet, du Barreau de Bobigny, tranquillise le tribunal : « Il a commis une énorme erreur mais il n’est pas un fou furieux. Il a compris. » Le défenseur plaide le coup de sang d’un père de famille : « Il a peur qu’un jour ses enfants voient des photos de leur mère sur Internet. C’est aussi le conjoint d’une épouse très angoissée par ce problème, qui est soignée pour anxiété. »

Le prévenu a la parole en dernier, et des mots malheureux : « En tant que mari, je voulais accompagner ma femme. » Pas de regrets, ni demande de pardon, juste un poids supplémentaire sur le dos rond de Samia en pleurs.

En fin de journée, à l’heure du délibéré au procès du 13-Novembre, Agnès Capdevielle rend un jugement conforme aux réquisitions : huit mois avec sursis, deux ans de mise à l’épreuve, aucun contact avec Mohammed, qui percevra 2 800 € en réparation du préjudice. Les honoraires de son conseil seront supportés par le condamné. Maklhouf et sa femme quittent la salle ; il sourit, elle sèche ses larmes.

La victime s’éloigne au côté d’un ami à l’imposante carrure, sorte de garde du corps, juste au cas où. Sur l’Île de la Cité, Aude Catala est informée que son client est satisfait et désormais serein.

*Prénom modifié

Tribunal de Bobigny : « Je t’avais prévenu que je te choperai, eh bien on y est ! »
Me Aude Catala, du Barreau de Paris, au tribunal de Bobigny le 29 juin (Photo : ©I. Horlans)

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