Tribunal de Bobigny : « T’inquiète, j’oublie pas, je te retrouverai ! »

Publié le 18/08/2021

Au motif fallacieux qu’il voulait lui acheter sa voiture, que Farouk* ne vendait pas, Djibril s’est invité dans la Renault Clio, pistolet en main, pendant près de 12 heures. Au tribunal de Bobigny (Seine-Saint-Denis), il déplore que les magistrats parlent de « séquestration » et « d’extorsion par la violence ». « Je voulais juste faire un tour », jure-t-il.

Tribunal de Bobigny : « T’inquiète, j’oublie pas, je te retrouverai ! »
Tribunal judiciaire de Bobigny (Photo : ©M. Barbier)

 La « promenade » a commencé à 13 heures, pour s’achever à 23h30. C’est long, surtout quand on a « un pistolet entre les jambes ». Certes, l’arme de poing factice était chargée de billes mais la victime, Farouk, ne l’a appris qu’en soirée. Et, à bout portant, des billes peuvent causer des blessures. Djibril, 20 ans, a une vision différente des choses : il n’a jamais eu l’intention de tirer avec « le jouet de [son] petit frère » et le propriétaire du véhicule convoité « n’a pas eu peur. Il m’a même laissé conduire ! » Sans permis, un détail : « Je le passe en ce moment. »

Sur la foi des déclarations de la victime qui a cru vivre les dernières heures de son existence, au point d’appeler au secours son frère et sa sœur durant la « balade », le parquet a décidé de poursuivre Djibril pour « extorsion par la violence, menace ou contrainte en récidive » et, subsidiairement, pour défaut de permis.

« Comment pouvez-vous parler de “séquestration” ?! »

 Arrêté le 5 août à Bobigny, Djibril est jugé le lendemain, à l’issue de sa garde à vue, par la 17echambre correctionnelle. Il escompte que le tribunal le libèrera sans tarder. Pull blanc et bleu marine, c’est un beau jeune homme : il tombe souvent le masque pour communiquer discrètement avec sa mère assise sur les bancs du public. D’évidence, elle se fait un sang d’encre, en tout cas plus que son fils au tempérament a priori indocile. Est-ce une posture qui le conduira à répondre aux questions avec morgue et légèreté ou n’a-t-il rien appris des condamnations passées, dont une pour des faits similaires ? Mystère.

Le 4 août, le voici donc qui fait irruption dans la Clio de Farouk avec son faux pistolet. Selon le plaignant, il propose d’abord de l’acheter 1 500 € et, confronté à son refus, il réclame 500 € pour quitter l’habitacle. N’obtenant pas satisfaction, il prend ses aises. Ainsi débute le tour du département.

« – Vous le séquestrez pendant près de 12 heures avec une arme pour qu’il vous cède sa voiture et vous semblez trouver cela normal ? », s’inquiète le président Jean-Louis de Ré.

« – Comment pouvez-vous parler de “séquestration” ?! », se crispe Djibril qui donne l’impression de connaître le Code pénal au point de savoir qu’il s’agit d’un crime passible de la cour d’assises.

« – Et pourquoi placer votre pistolet entre ses jambes ?

– Au cas où on se serait fait arrêter.

– Ah oui ! Comme ça il aurait été interpellé à votre place ?

– Ben non, j’aurais dit que c’était un faux », rétorque Djibril d’un ton sec, comme déjà lassé de mettre les points sur les i dans une enceinte judiciaire où personne ne comprend rien.

« Bon, d’accord, j’ai compris le dérangement ! »

D’une même inflexion ferme, il nie avoir retenu Farouk contre son gré. « Je lui ai d’ailleurs payé à manger. Le soir, on était potes. » Le procureur tique.

« – Vous êtes les meilleurs amis quand, à l’occasion d’un arrêt, il appelle à votre insu son frère et sa sœur, en leur disant qu’un homme le menace ?

– Je ne sais pas ce qu’il a raconté mais c’est faux !

– Et pourquoi le promener à Bobigny, Noisy-le-Sec, Rosny-sous-Bois puis Montreuil et retour à Bobigny durant 12 heures ?

– Bon, d’accord, j’ai compris le dérangement ! Je voulais juste faire un tour.

– Et l’argent que vous avez tenté de lui extorquer ?

– Je n’ai pas demandé d’argent ! Enfin, juste 20 € pour l’essence. »

Le président reprend l’interrogatoire, après avoir enjoint à la jeune fille dans le public dont la tête repose sur l’étole Gucci de sa voisine « de faire la sieste ailleurs ».

« – Que faites-vous dans la vie, monsieur ? Combien gagnez-vous ?

– Rappeur. Je touche 500 € de la Mission locale et 20 € par jour de ma mère.

– Vous taxez votre mère de 600 € par mois ? Quel est son salaire ?

– Je ne sais pas, et ça ne regarde personne.

– Donc, vous disposez de 1 100 €…

– Ben oui ! »

« Comportement atypique » et « malentendu »

 Que faire face à tant de désinvolture ? Insister sans grand espoir ? Le juge s’y risque.

« – Vous exigez que la victime vous passe le volant, sans permis…

– Ouais, là, j’ai commis une erreur.

– Ça s’appelle un délit. Vous la portez où, l’arme, quand vous sortez ? »

Pour toute réponse, un geste façon Al Pacino : deux doigts qui tapotent la hanche. Le juge en a assez entendu.

Pour le procureur, il ne fait aucun doute que Djibril, déscolarisé au collège, est imperméable aux sanctions. Condamné à 70 heures de travail d’intérêt général (TIG) en février 2020, à six mois de prison avec sursis et 105 heures de TIG la même année, il est toujours dans sa période de mise à l’épreuve. « Le juge d’application des peines m’indique qu’il est par ailleurs sous le coup d’une peine de huit mois avec sursis probatoire jusqu’en 2022 pour vol aggravé avec extorsion commis fin 2020 », révèle Bertrand Macle.

« Son comportement m’inquiète, poursuit-il, comme son agressivité ici et envers la victime. Il lui a dit : “T’inquiète, j’oublie pas, je te retrouverai !” Il n’en a rien à faire de la justice, n’a rien compris aux enjeux. » Il requiert la révocation du sursis de huit mois et un an de prison, dont moitié ferme, le maintien en détention et un nouveau suivi jusqu’en août 2023.

Sa jeune avocate commise d’office tente l’impossible. « Son comportement atypique ? C’est parce qu’il a peur. » Ses condamnations ? « Elles prouvent qu’il a des difficultés. » Le plaignant ? « Il n’a pas eu le sentiment d’exercer sur lui une contrainte. » En conclusion, elle plaide « un malentendu ».

L’appréciation du tribunal est tout autre. A 23h50, Djibril est condamné à un an de prison ferme assorti de la révocation de son sursis. Alors que son escorte le menotte, sa mère se rue contre le box : « Tu es et resteras toujours mon fils ! » Le président ordonne son expulsion. Il doit encore examiner deux dossiers et n’est plus d’humeur à supporter la moindre perturbation.

 

*Prénom modifié