Tribunal de Meaux : « Avec cette policière, je crois que j’avais une ouverture… »

Publié le 11/05/2022

Au centre de rétention pour étrangers sans papiers, Mohamed a cru qu’il pouvait faire la loi. Y compris essayer d’embrasser une policière. Et, au tribunal de Meaux (Seine-et-Marne), le Tunisien s’est montré arrogant, jusqu’à piquer une violente colère qui s’est mal terminée.

Tribunal de Meaux : « Avec cette policière, je crois que j’avais une ouverture… »
Tribunal de Meaux (Photo : ©I. Horlans)

 « Ouais ! » Ainsi répond Mohamed aux questions qui ne le fâchent pas. Et, s’il n’est pas d’accord, il vocifère et gesticule sur fond d’insultes envers la police, les femmes, la France, ses cibles privilégiées. Poursuivi pour refus de quitter le territoire, tentative d’agression sexuelle, menaces envers sept personnes dépositaires de l’autorité publique, ce jeune homme de 22 ans n’a nulle intention de se soumettre aux magistrats. Tout, dans son attitude, semble indiquer qu’il les méprise.

Il lui arrive aussi de rigoler quand la présidente Emmanuelle Teyssandier-Igna rapporte les injures qu’il a proférées. « Ahahah ! J’ai dit ça ? Oh, c’est pas bien », ironise le prévenu en survêtement bleu, encadré dans le box de la 1ère chambre correctionnelle par trois gardiens de la paix. Ils ne sont pas de trop, comme l’issue du procès le démontrera.

« Si la caméra n’était pas allumée, je vous embrasserais »

 La juge entreprend son récit par les faits les moins graves. Mohamed, qui ne veut pas rentrer en Tunisie en dépit de l’OQTF (obligation de quitter le territoire français) délivrée début 2022 par le préfet, applique le tuyau que se communiquent désormais tous les récalcitrants : il interdit à quiconque de lui faire un test PCR pour vérifier qu’il est négatif au coronavirus. Sans contrôle, il a pu échapper à l’embarquement en avion les 19 mars, 8, 12, 22 avril. Par conséquent, il est enfermé au centre de rétention administrative (CRA) du Mesnil-Amelot depuis trois mois. Situation certes inconfortable, ce type de lieu bondé n’étant qu’une espèce de prison où s’entredéchirent les clandestins aux coutumes souvent incompatibles entre elles.

Aussi, Mohamed qui n’entend pas faire ami-ami avec n’importe qui, passe ses nerfs sur ses geôliers. Parmi ceux-ci, il y a tout de même « une fille qui [lui] plaît bien ». On aborde le deuxième chef de prévention. Le 25 mars, elle se trouve seule avec lui dans un couloir, il la coince, retire son masque, s’approche « à dix centimètres » de son visage et la touche : « Si la caméra n’était pas allumée, je vous embrasserais », lui dit-il. Elle le repousse.

La présidente s’arrête sur cet événement : « – Si je comprends bien, sans la vidéosurveillance, vous seriez passé à l’acte ?

– Ahahah ! Si j’avais vraiment voulu, oui. Avec cette policière, je crois que j’avais une ouverture. D’ailleurs, elle a ri. Je ne sais pas pourquoi elle s’est plainte.

– Parce que ça constitue un délit !

– Non, elle a porté plainte pour obtenir un congé, je sais comment sont les Françaises…

– Ah ? Et comment sont-elles ?

– Ben… (temps de réflexion)… Elles sont bien. Ahahah ! »

« Je vais t’enfoncer un balai dans le cul »

 Les débats se concentrent maintenant sur les menaces envers sept agents. Florilège non-exhaustif : « Je vais te tabasser, fils de pute » ; « je te démolis, si je veux » ; « me tourne pas le dos quand t’es en civil car je te démonte » ; « je vais t’enfoncer un balai dans le cul », le tout en présence des co-retenus qu’il appelle à la révolte. Parfois, il agrippe le col ou la manche d’une veste de fonctionnaires, ne les lâche qu’une fois maîtrisé.

La juge : « – Vos termes incitent au viol…

– Ouais, enfin, ce sont que des mots. J’ai dit ça parce que, trois, quatre fois, ils se sont foutus de ma gueule. Ils sont tellement hautains ! La police, elle n’a rien d’autre à faire que de rabaisser les gens. Franchement, la France…

– Si vous n’êtes pas content, pourquoi refuser le retour dans votre pays ?

– Ah ben si, maintenant, je veux bien. Je croyais pouvoir changer ma vie, c’est raté. »

On découvre que Mohamed, jeune espoir du football sollicité en Espagne, a finalement été refoulé. Il a gagné la France en 2020, rêvant de signer avec le club de Cergy (Val-d’Oise) et ensuite à la Légion étrangère, en vain. Il a travaillé au noir, erré entre les domiciles d’une tante et d’une amie, puis il a sombré dans la consommation de cocaïne.

Deux avocates représentent les victimes. « Entendre que monsieur croyait “avoir une ouverture”, c’est insupportable ! Que l’on soit policière ou pas, d’ailleurs », plaide la première, quand la seconde réclame des dommages et intérêts. En tout, un millier d’euros qu’elles obtiendront.

« Je n’irai pas en prison ! Jamais ! C’est compris ? »

« Ce monsieur fait tout pour que les autorités françaises n’aient pas envie de le garder », résume le procureur Éric de Valroger. « Il est constamment en opposition et irrespectueux des lois », ajoute-t-il avant de requérir une année de prison, dont moitié ferme, un mandat de dépôt immédiat et son inscription au Fijais (Fichier d’auteurs d’infractions sexuelles et violentes). Enfin, il suggère une interdiction du territoire jusqu’en 2032.

Me Mathilde Auble, avocate au Barreau de Paris, tente l’impossible pour son client frondeur. Le refus de l’OQTF ? « Il voulait récupérer ses affaires chez sa tante avant de partir. » La tentative d’agression sexuelle ? « Elle ne semble pas caractérisée. Il a cru qu’elle voulait l’embrasser. » Les injures ? « Il est paranoïaque et pense que les policiers lui en veulent. Il réagit pour se défendre. » Elle plaide la personnalité et « le cadre extrêmement difficile des CRA », « la dégringolade à cause de la drogue », et finit par demander la relaxe des trois chefs de prévention.

Du côté du box, pas d’excuses envers les policiers mais un énorme soupir amplifié par le micro réglé au maximum : « Je suis vraiment fatigué d’être au CRA ! Libérez-moi et renvoyez-moi au pays », implore le prévenu.

La sentence tombe à l’issue d’un court délibéré : six mois de prison assorti d’un mandat de dépôt et inscription au Fijais. La dernière mesure signifie notamment qu’il sera contraint, à vie, de signaler au commissariat ou à la gendarmerie chacune de ses adresses – s’il reste en France. Le préfet ayant maintenu l’OQTF, il n’échappera pas à l’expulsion en fin de peine.

Mohamed hurle : « Je n’irai pas en prison ! Jamais ! C’est compris ? » Il se roule en boule sur son banc, pleure et crie : « Je vais devenir fou. Je l’étais déjà au dépôt, je ne supporterai pas. Putain, la farce ! Qu’ils m’emmènent de force, je ne les suivrai pas ! » Les trois gardiens de la paix finissent par l’attraper, le dirigent vers l’escalier qui mène à la souricière. Aux sanglots se mêlent les éclats de voix : « Laissez-moi rentrer chez moi ! Me touchez pas ! » Me Auble s’empare des formulaires obligatoires qu’il n’a pas signés et file au sous-sol pour tenter de le calmer.

Dans la salle des pas perdus, alerté par le vacarme, un policier en faction descend au dépôt du palais de justice. De retour, il expédie en quatre mots la situation : « C’est une sacrée pagaille. »

 

 

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