Tribunal de Meaux : « Si je l’avais frappée, elle ne serait plus en vie ! »

Publié le 27/01/2022

 Mathias « ne voulait pas que ça arrive mais c’est arrivé ». Un peu courte, l’explication n’a pas satisfait les juges du tribunal de Meaux (Seine-et-Marne). Le 21 janvier, se tenaient face à eux une femme battue et, dans le box, son mari auquel ils ont expliqué en quoi consiste « le despotisme familial ».

Tribunal de Meaux : « Si je l’avais frappée, elle ne serait plus en vie ! »
Intérieur du TJ de Meaux ©I. Horlans

 Mathias a la main leste et l’insulte facile. Depuis le mois de mai 2019, son épouse Janis en voit de toutes les couleurs. Notamment quand elle regarde ses hématomes qui virent du bleu au vert et au jaune. A l’époque, elle était enceinte de six mois. Alarmé par les marques de coups, un médecin s’était dit « très inquiet ». Janis n’avait pas voulu porter plainte.

En mars 2021, l’examen à l’unité médico-judiciaire (UMJ) avait révélé des « bleus sur les cuisses, la cage thoracique, des bosses ». L’épouse dominée, encore amoureuse, avait déposé une « main courante » au commissariat. Lors de son second passage à l’UMJ le 20 janvier dernier, ses nombreuses ecchymoses et « l’important retentissement psychologique » diagnostiqué ont convaincu le médecin d’alerter la police. Mathias a été aussitôt arrêté.

« Tu pues la défaite »

Râblé, le front dégarni, tee-shirt rouge siglé Mercedes sous le blouson noir, voici donc Mathias dans le box des prévenus du tribunal correctionnel. Il accepte d’être jugé selon la procédure de comparution immédiate, n’ayant aucune raison de différer le procès pour préparer sa défense. A quoi bon ? Il nie la prévention de « violences habituelles sur conjoint ».

Assise sur un banc de bois face au box, sa femme, tout de noir vêtue, évite de croiser son regard. A l’évidence, elle le redoute toujours. Ce vendredi 21 janvier, on apprend qu’il ne l’a pas seulement frappée plusieurs fois. Il lui a aussi adressé des centaines de textos vexants : « Tu pues la défaite », « un poisson rouge est plus intelligent que toi », « crève, t’as pas de vie », etc. Échantillon prélevé dans un salmigondis d’insultes souvent vulgaires. Des humiliations sont proférées devant leur fille de 4 ans, les coups portés en sa présence. « J’entends des cris et des larmes chaque jour », témoigne la voisine de leur appartement à Thorigny-sur-Marne. Plus exactement du logement de Janis, qui a la bonté d’héberger son mari.

Mathias, volontiers loquace sur sa passion pour l’entretien d’espaces verts – il en a d’ailleurs la charge pour le compte d’une mairie voisine – est plus silencieux lorsqu’il s’agit d’expliquer son comportement.

« Tout cela relève du despotisme familial, Monsieur ! »

 La femme assise sur le banc, mains jointes sur ses cuisses, a confié sa peur aux policiers : « Je crains pour la vie de ma fille et pour la mienne. » Tout est prétexte à l’emportement, comprend-on. Une remarque sur la cigarette allumée alors que l’enfant est dans la pièce ? Une raclée. Une tape sur l’épaule pour le réveiller ? Une volée. Et quand Mathias ne la frappe pas, son poing troue les murs. « Oui, ça, c’est vrai », admet-il à l’audience.

Le reste serait affaire d’appréciation : « Les choses que vous dites que j’ai faites sont mal formulées, objecte-t-il. Il arrive juste que je la pousse… » Si elle tombe, se blesse, ma foi, ce n’est pas sa faute à lui. Il reconnaît pourtant l’insulter, « à cause de l’énervement ».

La présidente : « – Et les textos injurieux ?

– …

– Les traces d’hématomes, beaucoup, sur tout le corps ?

– Je ne sais pas quoi dire. On a dû se pousser. Moi aussi j’ai des morsures, j’ai aussi reçu des coups en plein cœur…

– Donc vous ripostez, selon votre sens de l’équité dans la violence ?

– Non. Je ne voulais pas que ça arrive mais c’est arrivé.

– Tout cela relève du despotisme familial, Monsieur !

– C’est quoi, le despotisme ? »

« Je ne suis pas une menace »

 Une fois donnée la signification du mot, Mathias maugrée. Il ne s’assimile pas à un tyran domestique : « Certains faits sont mal tournés », soupire-t-il. En garde à vue, il a déclaré : « Si je l’avais frappée, elle ne serait plus en vie ! » Au tribunal, il s’en tient à la même ligne de défense. « Je ne suis pas une menace », ajoute-t-il quand est évoquée l’appréhension de Janis.

Toutefois, sa propre mère le considère « agressif par moment ». Elle aussi fut une femme battue, l’enfance du petit Mathias fut « difficile ». Est-ce la raison de son addiction au cannabis dès l’adolescence ? Celle-ci serait-elle à l’origine de sa schizophrénie que le psychiatre estime « stabilisée » ?

« Peut-être », répond le prévenu. Au fur et à mesure des échanges avec les magistrats, il finit par convenir que tout ne tourne pas rond dans sa tête : « Je me rends compte que ça ne va pas. » La présidente : « Pourquoi ne pas consulter ? » Mathias : « Par fierté. Et sans doute par bêtise. »

La partie civile sollicite 5 000 euros pour le préjudice subi. La procureure, elle, insiste sur « les alarmes qui sonnent depuis des années » et requiert un an de prison avec sursis et mise à l’épreuve jusqu’en 2024, l’obligation de soins, l’interdiction de contacts avec Janis.

En défense de Mathias, Me Lucile Levet revient sur la difficulté rencontrée pour expliquer ses torts : « Il est devenu le reflet de son père, et Madame est devenue le réceptacle de ses souffrances. Mais ce n’est évidemment pas son rôle. Elle a eu raison de déposer plainte, l’électrochoc que ça a produit chez mon client lui permet de mettre des mots sur sa violence, indéniable. Je vous demande simplement de préserver sa situation professionnelle. »

Le prévenu s’exprime en dernier : « Je m’excuse auprès de Madame pour la mauvaise expérience que je lui ai fait vivre. »

Trente minutes plus tard, le tribunal annonce avoir suivi les réquisitions. Mathias reste libre mais le juge d’application des peines veillera à la bonne exécution des soins psychiatriques et à l’éloignement du domicile de Janis. Ainsi prennent fin, dans le silence du prétoire, cinq ans de vie commune.

 

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