Tribunal de Meaux : « Est-il normal de parler de clitoris à une mineure ? »

Publié le 08/02/2023

Bakou, 44 ans, voulait « faire découvrir des choses » à sa jeune collègue lycéenne, employée quelques heures par semaine dans un Burger King. Vantant « la puissance des Noirs » sur le plan sexuel, il l’a harcelée. Et elle a craqué. Au tribunal de Meaux (Seine-et-Marne), le père de famille a admis « des paroles déplacées, juste pour la rigolade ».

Tribunal de Meaux : « Est-il normal de parler de clitoris à une mineure ? »
Salle d’audience au tribunal judiciaire de Meaux (Photo : ©I. Horlans)

 Ce jeudi 2 février 2023, la 3e chambre correctionnelle du tribunal de Meaux est à moitié occupée par des collégiens, accompagnés de leurs professeurs. Alexandre Boulin, le substitut du procureur qui soutient l’accusation, veut que des débats, ces adolescents retiennent des points essentiels. Non, « on ne parle pas ainsi à une femme, a fortiori mineure. De telles attitudes sont typiques des violences quotidiennes contre les jeunes filles », notamment dans la rue. « Et qu’importe leur tenue », ajoute-t-il, déplorant que « 99 % des victimes pensent avoir eu un comportement problématique, qu’elles ont provoqué » la concupiscence. Représenter la société, c’est s’adresser à elle autant qu’au prévenu, père de trois enfants.

Poursuivi pour harcèlement sexuel, propos et comportements sexistes, ce Malien jusqu’ici sans histoire a essoré son mouchoir, transformé en fines bouloches. Sanglotant dans le micro que personne n’a songé à couper lors des réflexions pédagogiques du parquetier, Bakou avait auparavant tenté de minorer les infractions : en résumé, il ne s’agissait « que de blagues. On parlait tous comme ça pour plaisanter », au Burger King. Léa* dément.

« Bakou, faut sortir, c’est le vestiaire des filles ! »

 La jeune fille, désormais majeure, est présente à l’audience, avec sa mère. Les faits ont été commis du 15 décembre 2021 au 12 février 2022. Pourtant, elle demeure marquée, sujette « à des crises d’angoisse si on [la] regarde ». La sophrologie l’a aidée à se réconcilier avec son corps. L’humour derrière lequel se réfugie Bakou l’a perturbée, au point de s’être crue fautive. Son expertise psychiatrique confirme un retentissement d’évolution constante.

A l’époque, Léa vient de rompre avec son petit copain. Son collègue de 44 ans lui promet des jours heureux : « Dès que tu auras 18 ans, je vais te faire découvrir des choses. Nous, les Noirs, on est puissants. » Il lui suggère de « se caresser le clitoris, ça fait du bien ». Selon des témoins, il regarde « ses fesses avec insistance». L’un d’eux : « Un jour, il a suivi Léa et a refermé la porte. Elle allait se changer. J’ai dit “Bakou, faut sortir, c’est le vestiaire des filles” ! » Et ainsi de suite, jusqu’à ce qu’elle démissionne, se renferme, se déteste. Puis s’ouvre enfin de son mal-être à sa mère.

Que reconnaît-il, à l’audience ? Dans un premier temps empli d’assurance, mains dans ses poches de pantalon, il précise en substance que « parler de sexualité, c’est pas grave. Je ne mesurais pas la portée de mes mots, peut-être déplacés ». Il évoque encore « la rigolade ».

« Des comportements anormaux qui s’inscrivent dans la durée ! »

Le président Servant ne goûte pas son sens de la plaisanterie : « – Évoquer votre puissance devant une fille de 17 ans, c’est raisonnable ?

– Ça n’a pas été dit comme ça…

– Est-il normal de parler de son clitoris à une mineure ?

– Ce n’était pas dans ces termes…

– L’avez-vous incitée à se masturber ?

– Possible.

– L’avez-vous suivie dans les vestiaires ?

– Oui.

– Regardiez-vous ses fesses ?

– Oui, quand je la voyais de dos.

– Avez-vous une attirance pour les mineures ?

– C’étaient juste des phrases en l’air…

– Non, c’étaient des comportements anormaux qui se sont inscrits dans la durée. Il ne s’agit pas d’une pulsion qui, déjà, serait répréhensible ! »

Bakou n’a plus les mains dans les poches. Il prend conscience de la gravité de sa conduite, des risques pour sa famille, pour le renouvellement de son titre de séjour qu’il sollicite tous les dix ans. En fait, il semble tout ramener à lui, comme lorsqu’il se plaint de son licenciement du Burger King.

« Si j’avais moins souri, si j’avais mis les points sur les i… »

Léa témoigne sans animosité : « Je me suis rendu compte que je changeais lorsqu’on m’a embêtée dans la rue. J’ai eu une crise de panique. Et soudain je me suis sentie responsable d’avoir été souriante, naïve, pas susceptible. Si j’avais moins souri, si j’avais mis les points sur les i… » Elle hésite : « Ça ne se serait peut-être pas passé. » Était-elle anxieuse, « avant » ? interroge le défenseur de Bakou. « Jamais ! » Partie civile, Léa ne veut pas d’argent en réparation de son préjudice.

Le substitut Alexandre Boulin rassure la victime. Elle n’a ni suscité de tels « propos intimidants et harcelants », ni n’est la cause de « l’attitude hostile de Monsieur ». Laquelle est tout simplement « intolérable ». Il requiert six mois de sursis simple et l’interdiction de contacter Léa. Jamais condamné, Bakou saisit alors pleinement les conséquences de ses actes. Il commence à pleurer, et ne s’arrêtera qu’en quittant le tribunal.

Sans que l’on saisisse la référence, Me Philippe Savoldi dit « ne pas vouloir la mort du petit cheval » : « Il est poursuivi pour ses propos pas ses actes. » C’est heureux. Minimisant aussi « la rigolade au Burger King qui n’est pas la Comédie française », il maintient que cela relève de « grivoiserie ». Pour son client, « en France depuis 20 ans, bien intégré », il plaide la différence de culture « de qui n’est pas né ici ». Faut-il comprendre qu’un Africain a une approche décomplexée de la sexualité ? Et s’il pleure, ce serait « parce qu’il entend des ricanements dans la salle sur sa puissance », fustige-t-il à brûle-pourpoint quand, au contraire, les collégiens sont muets et sidérés. L’avocat souhaite une dispense de peine.

Bakou sanglote-t-il sur lui ? A-t-il compris qu’il a blessé Léa, le regrette-t-il ? On ne le saura pas. Les juges se retirent et lui s’effondre sur son banc, plié en deux, la tête entre ses mains. Condamné à trois mois de prison avec sursis, il fond à nouveau en larmes et s’en va retrouver sa famille, dont sa fille aînée qui a le même âge que Léa.

* Prénom modifié

Plan
X