Tribunal de Meaux : « J’ai lancé des cocktails Molotov pour que les petits voient que c’est dangereux »

Publié le 06/05/2022

Le sens de la pédagogie de Rayan est pour le moins original. Souhaitant dissuader les jeunes de son quartier d’attaquer une bande rivale à coups de cocktails Molotov, il a confectionné et lancé les engins explosifs dans un « city stade » où jouaient des enfants.

Tribunal de Meaux : « J’ai lancé des cocktails Molotov pour que les petits voient que c’est dangereux »
Palais de justice de Meaux (Photo : ©I. Horlans)

 

Les magistrats de la chambre correctionnelle du tribunal de Meaux (Seine-et-Marne) sont dubitatifs face aux explications alambiquées de Rayan, un Algérien de 19 ans. Tant en garde à vue qu’à l’audience, elles n’ont cessé de varier. Le jeune homme au tee-shirt évasé et à la barbe de trois jours est poursuivi pour détention de matériel de guerre, munitions de catégorie A, participation à une association de malfaiteurs en vue de préparer un délit ; il encourt dix ans de prison. Sa décontraction dans le box des prévenus est déconcertante. Elle étonne ses tantes assises parmi le public. En aparté, les deux femmes confient espérer « l’entendre s’excuser de ses bêtises ».

Rayan s’est essayé à la fabrication de cocktails Molotov, dimanche 24 avril 2022, pour prendre part aux tensions entre les jeunes des quartiers Chappe et Gambetta, à Chelles, qui s’affrontaient depuis trois jours. La raison des altercations ? L’agression d’un élève de 16 ans au lycée Louis-Lumière de la commune, frappé de cinq coups de couteau. L’adolescent a survécu, une information judiciaire est ouverte pour tentative d’assassinat. A ce jour, le suspect est toujours recherché. Il serait originaire de la cité Chappe quand la victime résidait dans le secteur Gambetta. D’où les affrontements.

« J’avais prévu des petites bouteilles d’eau en cas d’incendie »

 Les représailles entre bandes rivales ont atteint leur paroxysme lorsque les amis du blessé ont fait irruption, samedi 23 en soirée, chez leurs ennemis à bord de plusieurs voitures et munis de battes de base-ball, barres de fer, mortiers. Persuadé que, dimanche, « les Gambetta » reviendraient assaillir « les Chappe » dont il fait partie, Rayan s’est préparé à les recevoir. Selon les policiers faisant le guet et les images de vidéosurveillance, l’Algérien a été vu en train d’introduire des chiffons dans les bouteilles d’essence et de les projeter vers le city stade où s’égaillaient des enfants en ce jour férié. Il a été interpellé avec les deux mineurs qu’il instruisait au maniement de ce matériel inflammable.

Aux questions de la présidente Teyssandier-Igna, Rayan va répondre avec aplomb. « – J’ai lancé des cocktails Molotov pour que les petits voient que c’est dangereux.

– La meilleure façon de les dissuader, c’était donc d’en faire usage ?

– Oui. Mon objectif était aussi de voir ce que ça faisait (soupirs).

– On vous voit tous trois dans un bac à sable, planqués derrière une haie, les jeter vers le city stade plein d’enfants. Et si vous y aviez mis le feu ?

– J’avais prévu des petites bouteilles d’eau en cas d’incendie. Et j’ai visé la bouche d’égout, j’ai fait attention !

– Ici, j’ai déjà vu des gens qui ont perdu la vue ou un bras à cause d’engins incendiaires tels que ceux que vous avez manipulés !

– Ouais, c’est peut-être une connerie, finalement… »

« La prochaine fois, j’économiserai l’essence qui coûte trop cher »

 Après un nouveau soupir sonore, Rayan modifie sa version. Sans doute a-t-il réalisé que ses propos confortent l’accusation. « – Je dois tout de même vous dire que je ne les ai pas fabriqués. J’ai trouvé toutes les bouteilles sur place. Je voulais les détruire pour que personne ne les utilise.

– La vidéosurveillance vous montre en train d’y mettre des chiffons.

– Ouais, enfin, ce ne sont pas des images en 3D, hein !

– Mais vous savez à quoi servent les cocktails Molotov ?

– Oui, à carboniser.

– Alors supposons que vous les ayez découverts sur les lieux. N’y avait-il pas un autre moyen de s’en débarrasser ?

– Si. La prochaine fois, j’économiserai l’essence qui coûte trop cher. »

On l’a compris, Rayan assume désormais le jet, pas la détention des armes de guerre sur lesquelles il est tombé par hasard. Ses déclarations confuses sont-elles dues aux effets secondaires des médicaments qu’il ingurgite ? Il est épileptique, dépressif. Bénéficiaire de l’allocation adulte handicapé, le jeune homme suit difficilement et à temps partiel ses cours en terminale. « Il a beaucoup de problèmes », confirme l’une des tantes.

« Je ne suis pas sûre qu’il ait su anticiper les risques »

Le procureur, qui n’a pas cru un mot du discours fluctuant de Rayan, est persuadé qu’il s’apprêtait à accueillir la bande du quartier Gambetta avec ses armes de guerre. Peut-être aussi viser la police. « J’ai l’impression que le prévenu se joue du tribunal ! Ces troubles à l’ordre public, extrêmement graves, interviennent dans le contexte compliqué d’événements survenus le 22 avril, et qui auraient pu coûter la vie à un lycéen de 16 ans », analyse-t-il. Il requiert un an de prison dont six mois ferme et un sursis probatoire jusqu’en 2024. Il sollicite également un mandat de dépôt à l’audience. Les tantes paraissent effondrées.

En défense, Me Imen Bichaoui plaide « la non-appartenance de [son] client à la bande de Chappe » qui voulait en découdre. « Ce jeune majeur n’a été condamné qu’une fois quand il était mineur, il vit chez ses parents et a de gros problèmes de santé. Je ne suis pas sûre qu’il ait su anticiper les risques d’un jet de cocktail Molotov. Et je ne pense pas que l’incarcération soit la réponse adaptée. Opter pour un TIG [travail d’intérêt général] serait plus utile », suggère l’avocate de Meaux.

Rayan a la parole en dernier. Il a réfléchi. « Je regrette ces imbécilités qui n’ont pas lieu d’être », dit-il dans un langage choisi.

La présidente et ses assesseurs abandonnent l’association de malfaiteurs – pas assez caractérisée – et choisissent l’option raisonnable : 105 heures de TIG au bénéfice de la société. « Mais attention, prévient la juge, si vous ne les effectuez pas, vous irez six mois en prison ! »

Rayan lâche son dernier gros soupir dans le micro et s’en va rejoindre ses tantes soulagées.

 

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