Tribunal de Meaux : « Je ne sais pas du tout pourquoi j’ai attrapé ses seins »
Karim* est âgé de 36 ans, il est marié et père de jeunes enfants. Il n’a pas de casier judiciaire, travaille dans une société « sensible » qui impose, à ses collaborateurs, le port d’un badge « haute sécurité ». Il a mis en péril sa vie familiale, professionnelle, à cause d’une pulsion sexuelle qu’il ne s’explique pas.
Fatou*, la victime, est une splendide jeune femme qui pourrait se produire sur les podiums de grands couturiers. Vêtue d’un ensemble en mousseline noire, elle est assise, jambes croisées, au banc des parties civiles. Derrière elle, installé parmi le public, son compagnon ne la quitte pas des yeux. Ni lui ni elle ne condamne du regard le prévenu, assisté d’un interprète. Tous deux ne sont ici que pour comprendre.
A la barre de la 3e chambre correctionnelle de Meaux (Seine-et-Marne), ce mardi 17 mai 2022, Karim aimerait leur fournir les explications attendues. Il en est incapable. Tout juste répète-t-il qu’il est « désolé ». L’est-il d’être poursuivi pour l’agression sexuelle commise trois mois plus tôt ? Pour sa carrière probablement ruinée et la honte infligée à son épouse ? Ou l’est-il pour Fatou, qu’il a bloquée contre un mur avant de lui pétrir la poitrine ? Sans doute un peu tout cela à la fois. Il a l’air misérable des égarés qui ont cédé à un instinct primitif, à un comportement bestial.
« Une scène particulièrement anxiogène »
Lorsque Karim n’est pas de service dans son entreprise, où l’on ne badine pas avec la sécurité, au point de renouveler chaque année un badge rouge au terme d’une enquête rigoureuse, il effectue de menus travaux chez des voisins. Pas par appât du gain mais afin de les dépanner. Ainsi, dimanche 13 février, à la demande de Fatou, il se présente à son domicile. Elle n’est pas en déshabillé, porte une tenue d’intérieur confortable sans décolleté et rien, dans son attitude, ne prête à l’équivoque. Interprète-t-il de travers les sourires de la jeune femme, sa bienveillance, sa gratitude ? Ni une ni deux, Karim la coince, la pousse contre un mur et l’agresse.
« Je ne sais pas du tout pourquoi j’ai attrapé ses seins », dit-il à l’audience. S’il admet le geste inapproprié, il nie avoir immobilisé Fatou. La preuve ? Elle s’est échappée. Il omet de préciser les circonstances de sa fuite : elle a farouchement repoussé l’homme frêle qui comparaît en maillot rayé. Plus grande que lui, elle a eu le dessus.
Fatou n’en demeure pas moins « traumatisée » par l’étreinte forcée. Si elle « refuse d’enfoncer Monsieur » et ne réclame pas de dommages et intérêts, la jeune femme souhaite « qu’il ne recommence pas ». Elle n’a pas mandé d’avocat pour la représenter mais espère être reçue dans sa constitution de partie civile, pour le principe.
Partageant ses craintes d’une récidive, le procureur Pierre-Yves Biet veut savoir s’il mesure « la portée d’une scène particulièrement anxiogène ». Le traducteur de l’Algérien répond : « Oui, mais je ne l’ai pas bloquée. » Pour le ministère public, peu importe : « Les faits restent graves et vous êtes un délinquant sexuel ! »
« C’est ennuyeux de ne pas expliquer cette pulsion… »
Le président Guillaume Servant insiste : « Vous n’avez pas de casier, vous êtes parfaitement inséré dans la société, vous avez deux jeunes enfants, un foyer… Tout de même, c’est ennuyeux de ne pas expliquer cette pulsion. » Le prévenu se dandine, bras ballants, se redit « désolé ». Là, on décode : il l’est de ne pas parvenir à éclaircir sa conduite, de l’analyser par quelques fantasmes refoulés durant sa vie d’adulte jusqu’alors irréprochable.
Le procureur Biet estime donc qu’un « suivi psychologique s’impose ». Il requiert 12 mois de prison avec sursis, son inscription au Fijais (fichier des auteurs d’infractions sexuelles) et sollicite, si le tribunal le condamne, que la sanction soit mentionnée au bulletin n°2 (B2) du casier judiciaire destiné aux administrations et employeurs.
Me Axelle Volckaert-Legrier, du Barreau de Seine-Saint-Denis, intervient en défense de Karim. L’avocate ne minimise pas les faits qu’il a reconnus : « Toutefois, mon client a compris la leçon qui va lui coûter très, très cher. Il en est bien conscient. » Elle évoque le risque de retrait du badge et, alors, la perte d’un emploi qui fait vivre sa famille. Pour ce primo-délinquant, le conseil ne demande pas l’impossible : une peine légère et pas d’inscription au B2, encore moins au Fijais qui marque au fer les personnes enregistrées.
« Il faut déterminer les causes de vos agissements ! »
Karim a la parole en dernier, son interprète indique qu’il n’a rien à ajouter. Il se rassoit durant les délibérations, évite de croiser le regard de Fatou, de son ami. Quand le président Servant et ses assesseures réapparaissent, un tremblement agite ses mains. « Monsieur, le tribunal vous condamne à six mois de prison avec sursis probatoire de deux ans et obligation de soins. Comprenez-vous ce que cela signifie ? »
L’interprète répond non. « Cela veut dire que vous allez être convoqué et suivi jusqu’en 2024 par un juge de l’application des peines. Il faut prendre rendez-vous avec un psychologue et avec lui, déterminer les causes de vos agissements ! Si vous vous dérobez, vous irez en prison. »
Karim opine sans relâche, il attend la suite. Le président reprend : « La loi nous interdit de vous dispenser d’inscription de la peine au B2. Vous allez par conséquent perdre votre badge. Vous ne devrez jamais plus approcher la victime. En revanche, nous ne vous signalerons pas au Fijais. »
Beaucoup de choses à traduire et, surtout, à assimiler. Le condamné réalise enfin que, si sa carrière est compromise, son identité ne figurera pas sur le fichier de l’infamie.
Il s’en va tête baissée. La victime et son compagnon ne manifestent aucune émotion. Ni la satisfaction légitime des parties civiles reconnues dans leur démarche, ni le soulagement de voir Karim hors d’état de nuire. Ils étaient venus pour comprendre, et ils n’ont rien compris.
*Prénoms modifiés
Référence : AJU295686