Tribunal de Meaux : « La voiture fonce, le percute, fait demi-tour et le renverse encore »

Publié le 13/10/2023

Dans le centre de Meaux (Seine-et-Marne), la scène plusieurs fois filmée a révélé une sauvagerie inouïe. Pour « un regard » jugé insistant, Kevin « a défoncé » à la matraque un passant quand son ami Akram a voulu le « finir », le percutant deux fois avec sa Renault lancée à toute vitesse. La victime doit sa survie à un courageux témoin, également blessé.

Tribunal de Meaux : « La voiture fonce, le percute, fait demi-tour et le renverse encore »
Intérieur du TJ de Meaux ©I. Horlans

 Si Mike est encore de ce monde, « c’est parce qu’il est grand, bien bâti, qu’il a une bonne étoile », indique son avocate, Me Laetitia Joffrin. Il s’est aussi miraculeusement trouvé sur le chemin d’un père exemplaire : pourtant en compagnie de ses enfants, il n’a pas hésité à secourir la victime aux prises avec les furieux meldois : Kevin, 25 ans ; Akram, 21 ans. Intervenu « pour empêcher que la Clio fonce une troisième fois et lui écrase la tête », Koffi* a décrit au tribunal le 11 octobre le déferlement de rage survenu trois jours plus tôt en centre-ville, vers 14 h 10.

Kevin et Akram aussi ont eu beaucoup de chance : le parquet a hésité à les poursuivre pour tentative d’homicide passible de la cour d’assises, optant finalement pour violence aggravée par deux circonstances avec incapacité supérieure à huit jours, en récidive, avec arme, et conduite sans permis – les préventions contre Akram. Le premier délit sans récidive a été retenu à l’encontre de son ami, ainsi que le refus de déverrouiller son téléphone. Ils encourent respectivement 14 et 10 ans de prison.

« Il avait l’intention de le tuer, j’en suis sûr à 100 % »

 Apparaissent les deux jeunes dans le box, sous escorte. Akram, en tee-shirt à motifs bigarrés tel un tableau de Basquiat, Kevin, sweat noir, tête baissée. Leur invraisemblable ligne de défense va leur coûter cher. Ils ne sont guère aidés. Leurs avocats parisiens vont stigmatiser, provoquer la victime, pour démontrer son « étrange » état mental, « son attitude de drogué », jusqu’à insinuer qu’il « entend des voix » ! Mike, 32 ans, sous curatelle, a une santé précaire mais n’avait pas pris de stups, à la différence des prévenus positifs au cannabis.

La présidente Isabelle Verissimo rapporte les faits étayés par trois témoins, les vidéos privées et des caméras municipales. Mike marche sur le trottoir, s’étonne que Kevin le fixe, croit qu’il a un spaghetti entre les dents (il vient d’en manger). Et c’est la bagarre – son déclenchement demeure inexpliqué. « Moi-même je ne comprends pas, peut-être un regard », propose Mike à la barre, assis entre ses béquilles. En l’état, l’ITT pénale est de dix jours.

Akram arrive au volant d’une Clio, il a l’habitude de conduire sans permis (trois condamnations). Un riverain : « Il y a des échanges de coups, la Clio accélère, percute l’homme, fait demi-tour, le renverse encore. » Un autre : « Il avait l’intention de le tuer, j’en suis sûr à 100 %. » Les films confirment la folie ambiante.

« Il me maintenait au sol pour que l’autre me termine »

Koffi, minerve au cou, approche la barre en claudiquant (cinq jours d’ITT pénale). Cet intervenant providentiel travaille dans un service d’urgence, fut boxeur et marié à une juge. Se défiler ne lui traverse donc pas l’esprit : « J’étais avec mes enfants, je vois Mike [les prénoms sont cités par AJ pour la compréhension du récit, NDLR] roué de coups. Kevin le défonce avec sa matraque, que j’arrive à saisir. Akram court. Un véhicule arrive à toute vitesse. Je pense “c’est impossible, il ne va pas le faire”. Mike et moi, on est heurtés. Le conducteur revient, je l’évite, Mike vole et tombe sur une Alfa Romeo. Akram tape une BMW, des rétros, Kevin frappe Mike à terre, crie à Akram “vas-y, finis-le.” J’entends : “Je vais le tuer”. La Clio revient… »

Mike : « Il avait pris de l’élan. Kevin me maintenait au sol pour que l’autre me termine après mon vol plané. Il n’a pas freiné. J’ai attrapé la cheville de Kevin. Le retenant, j’ai empêché son ami de m’écraser. » Le médecin légiste a listé de multiples blessures.

S’ensuit un interrogatoire tendu des victimes par les avocats parisiens ; ils seront rappelés à l’ordre. Ils veulent reporter la cause de la rixe sur Mike.

Variantes de défense : « J’ai paniqué », « c’était pour me défendre »

 Selon Kevin, Mike lui aurait mis « la première patate. J’ai placé ma garde. Il a attrapé un bout de bois. J’ai paniqué. » La juge : « Il est renversé deux fois et vous le frappez encore. » Réponse : « Oui, pour me défendre. Je suis quelqu’un de très passif. »

Akram : « – Je ne voulais pas renverser l’individu. Je conduis mal.

– Vous pouvez garder le silence, ce serait mieux que de nous prendre pour des imbéciles ! C’était donc par inadvertance ?

– Non, Madame (après réflexion).

– Et la deuxième fois, après le demi-tour ?

– Non, Madame. J’ai eu peur de l’individu.

– Qui aurait pu mourir !

– …

– Pourquoi prenez-vous la fuite ?

– Je n’ai pas le permis… »

Inutile de prolonger ce compte rendu de répliques navrantes. Ni les juges ni le parquet n’obtiendront d’explications cohérentes. Il eût été préférable d’admettre un terrible coup de sang qui, le cannabis aidant, leur aurait fait perdre la boule.

Koffi se constitue partie civile et sollicite un dédommagement. Me Joffrin, qui représente Mike, rappelle que « rien n’a arrêté ces hommes. Son corps a défoncé le pare-brise et ils nous disent avoir paniqué ? Restons sérieux ! »

« Je n’ai pas du tout apprécié les manifestations de mauvaise foi »

 Avis que partage le procureur Éric de Valroger : « Les images, les témoins, la violence des chocs, la façon dont [Mike] est projeté en l’air interdisent le mensonge (…) Je n’ai pas du tout apprécié les manifestations de mauvaise foi ! » Il fustige « des déclarations insensées ». Contre Akram, déjà détenu deux fois, il requiert quatre ans dont trois ferme, du sursis probatoire, un maintien en détention, la réparation des préjudices. À l’encontre de Kevin, primo-délinquant, deux ans dont un ferme, des peines complémentaires identiques.

La défenseure de Kevin plaide dos au tribunal, yeux rivés sur Mike, jette sur lui le discrédit, avance « sa confusion » « son agitation ». Quant à son client, il serait « très émotif ». L’avocat d’Akram se livre à des hypothèses, multiplie tant les « si… » qu’on pourrait mettre Paris en bouteille.

Les prévenus concluent. Kevin : « Je n’aurais jamais dû agir comme ça. Je demande une petite chance. » Akram : « Je paierai. Je m’excuse. »

En milieu de soirée, le tribunal se prononce au-delà des réquisitions : trois ans dont moitié ferme pour Kevin, six ans dont quatre et demi ferme pour Akram. Mandat de dépôt immédiat, mise à l’épreuve, soins, réparations et travail, avec exécution provisoire. À Koffi, ils verseront 3 700 € et, à Mike, la provision de 4 000 €. Les intérêts civils seront débattus plus tard, quand les blessures seront consolidées.

Les condamnés tendent leurs poignets à l’escorte pénitentiaire. Ils ont l’air totalement éberlué.

 

*Prénom modifié

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