Tribunal de Meaux : « L’associé expert-comptable » exerçait sans diplôme
Un expert-comptable, et son associé usurpant un titre dont il ne pouvait se prévaloir, ont échappé de peu à la prison et à la radiation. Poursuivi pour complicité, le premier a péché « par légèreté ». Quant au second, le principal prévenu, il a « entretenu le doute » dans l’esprit de sa clientèle.
Jeudi 21 octobre, devant les magistrats de la 3e chambre correctionnelle du tribunal de Meaux (Seine-et-Marne), Pierre* et Jacques* semblent d’abord sûrs d’eux. Ils s’estiment différents des receleurs de voitures volées qui les ont précédés à la barre. À raison, car les prévenus « en col blanc » affichent un casier judiciaire vierge, un parcours professionnel enviable. Jamais ils n’auraient imaginé comparaître pour deux délits, passibles chacun d’une année de prison, ainsi qualifiés : exercice illégal de la profession d’expert-comptable, usurpation de titre et diplôme, la complicité de ces infractions étant retenue contre Jacques.
Pierre, costume anthracite de belle facture, pochette assortie à son foulard, n’en finit pas de secouer la tête en tous sens, comme si une tornade faisait rage sous son crâne lisse. Le comptable de 47 ans se considère injustement mené en ce prétoire, même s’il avoue s’être un peu fait passer pour ce qu’il n’est pas. Juste un peu car, en signant ses courriers, bilans, mandats de la mention « associé expert-comptable », il voulait dire « associé d’un expert-comptable », bien sûr. Et s’il était gérant du cabinet après le rachat de 299 des 300 parts de Jacques, c’est parce qu’il ignorait que sans inscription à l’Ordre ni diplôme, c’était tout bonnement illégal.
« Je reconnais que ce n’est pas très habile »
Jacques, 57 ans, costume gris perle et écharpe au cou, était, lui, informé de l’illicéité de la passation de pouvoirs. Si les rouages de leur association ne s’étaient fortuitement grippés, peut-être Pierre parapherait-il encore ainsi les échanges avec ses 90 clients, les maintenant « dans le flou », selon les mots de la présidente Cornelia Vecchio. Elle résume les faits : le 29 avril 2021, après un signalement à l’Ordre des experts-comptables, Jacques et Pierre sont en garde à vue. Ils expliquent avoir créé leur cabinet en 2008, en avoir modifié les statuts dix ans plus tard. C’est alors que Pierre rachète les parts de Jacques qui en conserve une. Devenant gérant, le comptable s’arroge de facto l’expertise qu’il n’a pas. Et de juillet 2018 à décembre 2019, Jacques « oublie » de signaler sa démission à l’Ordre. Pierre ne s’y inscrit pas puisqu’il ne s’est pas soumis à l’examen de ses compétences.
Mais alors pourquoi se prévaloir d’une qualité dont il est dépourvu ? « Je reconnais que ce n’est pas très habile », convient Pierre. Jacques opine.
« – La prévention court du 1er novembre 2017 au 29 avril 2021, souligne la présidente. Depuis quatre ans, vous insinuez le doute dans l’esprit de vos clients qui vous trouvent en cherchant un expert-comptable sur Internet. Même quand vous répondez à l’officier de police judiciaire, vous signez “Associé expert-comptable” !
– Le fait d’être associé ne fait pas de moi un expert-comptable », rétorque Pierre, s’accrochant à sa logique analytique.
– Mais pourquoi racheter le cabinet avant d’avoir la qualité juridique ?
– Je ne savais pas que c’était interdit », assène-t-il, sans convaincre.
« Je n’avais pas prévu la pandémie de Covid »
De son côté, Jacques dit s’en vouloir « d’avoir tardé à informer l’Ordre de [sa] démission. J’ai agi avec légèreté ». Il espérait que Pierre obtiendrait vite son diplôme et ne comprend pas pourquoi il ne l’a toujours pas passé. Ce dernier s’explique : « Je dois rendre un mémoire qui demande trois ans de travail. C’est en cours, mon dossier est à la DGFIP. » Effectivement, la Direction des Finances publiques en accuse réception… 35 minutes avant sa comparution ! Pierre s’embrouille : « Ça a pris du temps, je n’avais pas prévu la pandémie de Covid. » « Personne ne l’avait prévue », réplique la juge, confrontée à cette « excuse » lors de chaque audience.
En résumé, sans la garde à vue, Pierre continuerait à gérer ses 90 clients et Jacques ne serait pas redevenu le patron « contraint » du cabinet. C’est en substance la conclusion de Me Bernard Sansot, avocat parisien de l’Ordre des experts-comptables qui « lutte contre l’exercice illégal permettant des opérations complexes, comme la falsification de crédits ». Il insiste sur la régularité de l’infraction depuis 2017 : « Pour je ne sais quelle raison c’était une couverture de façade ! » Il demande 10 000 € de dommages et intérêts.
« Mon client est droit dans ses bottes ! »
Aux yeux du procureur Julien Piat, les préventions sont « parfaitement caractérisées ». S’agissant de Pierre, « non seulement il usurpe le titre mais de surcroît il exerce, contrevenant à l’ordonnance du 19 septembre 1945 ». Jacques, lui, « ne connaît même pas le nom d’une salariée, confondue avec une cliente », ce qui démontre qu’il ne se souciait plus de la société confiée à son associé. Il requiert un an de prison contre chacun et des amendes de 2 500 à 3 500 €, 7 000 € pour le cabinet. Les prévenus ont perdu de leur superbe.
Tels les premiers de cordée éprouvés par la paroi escarpée, les défenseurs vont s’employer à extirper leurs clients d’un dévers glissant. Venue de Nanterre (Hauts-de-Seine), Me Irène Embe intervient pour Pierre, « un honnête homme surpris d’être ici. Mon client est droit dans ses bottes et rigide dans ses choix. Associé expert-comptable est un terme malheureux qui ne mérite pas que l’on s’appesantisse ». Rien « d’intentionnel », plaide-t-elle, souhaitant la relaxe.
Me Antoine Moizan, du Barreau de Paris, argumente pour Jacques avec une même ferveur : « La peine requise correspond à des faits graves, des falsifications de comptes, etc. Mon client n’a jamais eu de problèmes, ni sanction fiscale ni décision ordinale. Il n’y a pas d’intention malfaisante. » Il convient qu’il « aurait dû effectuer une promesse de cession tant que son successeur n’était pas diplômé. Mais il n’y a ni préjudice ni exercice illégal, pas même d’intérêt financier ».
Quarante minutes plus tard, Mes Embe et Moizan ont le sourire : s’ils sont déclarés coupables, Pierre et Jacques ne sont condamnés qu’à une amende de 1 500 € avec sursis. La société écope d’une amende de 3 000 € assortie du sursis et versera 1 000 € de dommages et intérêts à l’Ordre. La sanction ne figurera pas au bulletin N°2 du casier. Pierre pourra donc prétendre au diplôme supérieur de comptabilité et de gestion, et Jacques est autorisé à poursuivre son activité.
*Prénoms modifiés
Référence : AJU251239