Tribunal de Meaux : « Si vous me renvoyez en Côte d’Ivoire, je suis mort »

Publié le 07/12/2021

On connaissait la difficulté d’appliquer les OQTF (obligation de quitter le territoire français) à cause des pays d’origine qui ne veulent plus voir revenir leurs ressortissants condamnés. Au tribunal de Meaux en Seine-et-Marne, on a découvert que des étrangers expulsés refusent le test PCR requis par leurs États et les compagnies aériennes. Ils contraignent ainsi la France à les garder sur son sol.

Tribunal de Meaux : « Si vous me renvoyez en Côte d’Ivoire, je suis mort »
Tribunal de Meaux (Photo : ©I. Horlans)

Reconnaissons à Yacouba son honnêteté : « Oui, c’est vrai, je ne fais pas de test car, en ne m’y soumettant pas, je sais qu’on ne peut pas me renvoyer en Côte-d’Ivoire. » Les magistrats et l’avocat de la défense ne semblent pas surpris, à la différence de l’auditoire, médusé. Les professionnels ont déjà été confrontés plusieurs fois à ce stratagème d’une logique révélatrice : les étrangers qui font l’objet d’une mesure d’éloignement, administrative ou judiciaire, sont prêts à tout pour y échapper. Si c’est de bonne guerre, cela intensifie le casse-tête de l’Etat. L’exécution des OQTF est une épine dans le pied des ministres de l’Intérieur et de la Justice français. Aucun de leurs prédécesseurs n’a jamais pu contourner les écueils. Et pour l’instant, les promesses de campagne présidentielle apparaissent irréalisables.

Yacouba est désespéré. Au tribunal correctionnel de Meaux qui, vendredi 3 décembre, le juge après le renvoi de son dossier le 10 novembre, il assure être « en danger ». « En raison de mon appartenance ethnique, développe-t-il, je suis considéré comme un traître en Côte d’Ivoire et menacé de mort. J’ai déjà reçu des balles… »

« Je ne vole que pour survivre »

 Effectivement, les autorités italiennes confirment qu’à son arrivée à Milan, un chirurgien a soigné ses plaies occasionnées par des tirs de mitraillette. Le parcours de Yacouba, 30 ans, a commencé en 2019 par une traversée de la moitié nord du continent africain, de la Méditerranée en barque puis de l’Italie. Il a mis le cap sur la Lombardie, située en haut de la botte, jusqu’à la capitale de la mode où vit une cousine. A Milan, il a été hospitalisé puis a obtenu un permis de séjour d’un an.

En 2020, la pandémie l’a de nouveau jeté sur les routes : Giuseppe Conte, alors président du Conseil, souhaitait limiter le nombre de réfugiés durant la crise. Yacouba migre donc en Allemagne, où son statut de clandestin le rend également indésirable. En dernier ressort, il opte pour la France. Sa demande d’asile y est rejetée.

Petit et frêle dans son sweatshirt vert anis, il s’exprime bien et respecte les magistrats, qu’il implore : « Laissez-moi encore une chance, renvoyez-moi en Italie. Une association va m’aider à devenir agriculteur. » La présidente Verissimo est compréhensive, toutefois son indulgence a des limites. Elle rappelle qu’il a purgé une peine de prison pour vols avec violences et qu’il a refusé cinq fois de monter dans l’avion en direction d’Abidjan. « Mais je ne vole que pour survivre ! », objecte le prévenu, en larmes. Ne disposant d’aucun revenu ni diplôme – il a quitté l’école à la fin du CE1 –, pas plus que d’une famille en France, titulaire du seul permis de conduire ivoirien et arguant d’un vague passé de « mécanicien ferrailleur », Yacouba n’a pas la moindre chance de s’en sortir.

« En Italie, la situation a changé, il peut y repartir »

Les magistrats compatissants l’ont écouté. Néanmoins, ni la misère ni la détresse, dont ils sont quotidiennement témoins, ne justifient l’agression de gens pour les dévaliser. Et la ruse du test, qu’il a admise, ne plaide pas en sa faveur. La procureure, Marguerite de Saint-Vincent, précise qu’il fait l’objet d’une interdiction du territoire national depuis le 22 août 2020. Au cours des 16 derniers mois, il a alterné les gardes à vue, la prison, le centre de rétention et les reconduites à la frontière. « Les faits sont graves et il n’y a pas d’autre solution que de le renvoyer en Côte d’Ivoire », indique-t-elle, requérant l’exécution provisoire, qu’il interjette appel ou non du jugement meldois.

« La situation est délicate », concède son avocat commis d’office, dans un euphémisme unanimement approuvé. En début d’audience, il avait tenté de soulever une nullité se rapportant à l’horaire de la mise sous contrainte de Yacouba, pour qui c’était le cadet de ses soucis. Évidemment, la garde à vue n’a pas été annulée. Le défenseur s’oriente donc vers les accords de Schengen, tentant de convaincre le tribunal de refiler la patate chaude au nouveau président du Conseil italien, Mario Draghi. A l’entendre, il serait plus humain que son prédécesseur : « Mon client refuse de se soumettre à des tests sanitaires car il a peur de rentrer dans son pays. Mais il accepte de quitter la France, il est d’accord ! En Italie, la situation a changé, il peut y repartir. Il vous suffit de lui accorder cette chance. »

Si les choses étaient aussi simples, cela se saurait. Au-delà du fait que l’on imagine mal la présidente Verissimo ou le préfet passer un coup de fil aux carabiniers milanais pour qu’ils escortent Yacouba jusque chez sa cousine, son expulsion d’Italie est définitive. Le malheureux Ivoirien a la parole en dernier.

« – Je vous en prie, donnez-moi encore une chance…

– Ce serait quoi, cette chance ?

– L’Italie… »

Il a murmuré le nom de son Eldorado. La juge le lui fait répéter. Yacouba bisse le mot distinctement et, dans une ultime plainte, en appelle à la pitié du tribunal : « Si vous me renvoyez en Côte d’Ivoire, je suis mort. » Dans sa voix, on décèle une vraie douleur qui rappelle le Lamento d’Arianna de Claudio Monteverdi.

Trente minutes plus tard, il est condamné à trois mois de prison, le temps d’organiser son départ dont l’exécution provisoire est ordonnée. Lorsqu’il sortira, il sera obligé d’effectuer le test PCR pour embarquer à bord d’un vol à destination d’Abidjan. Abasourdi, l’Ivoirien essuie les grosses larmes qui se faufilent sous son masque.

 

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