Tribunal de Pontoise : Le prévenu délire devant un tribunal stoïque
Un homme de 26 ans était jugé pour des violences contre sa mère. Souffrant de troubles psychiatriques soulignés par celle-ci, l’homme a passé presque toute sa majorité incarcéré, sans jamais voir un psychiatre. A l’issue de l’audience, il est renvoyé en prison.
La présidente demande son adresse au prévenu, qui d’une voix forte lui répond :
«— J’ai zéro adresse malheureusement.
— Commencez-pas sur ce ton-là Monsieur ! »
Le regard perplexe de Banta laisse penser qu’il ne comprend pas de quel ton il s’agit. Par réflexe, il s’excuse platement. La présidente lit : violences sur ascendant et en état d’ivresse ayant occasionné une ITT d’un jour, en récidive légale. « Vous reconnaissez les faits ?
— Je vais m’expliquer. »
Mais d’abord, elle résume le dossier du point de vue de la police qui, le 28 août dernier, intervient au domicile de Madame Fatoumata D, où les agents ramassent un homme de 27 ans, en sang et au sol, entouré de jeunes qui l’ont manifestement molesté et retenu contre son gré. Banta, puisque c’est lui, est embarqué.
Fatoumata explique qu’il s’agit de son fils. Ce jour-là, il est rentré ivre et l’a agressée pour lui soutirer une somme d’argent, 3 500 euros exactement. Il aurait pointé un couteau vers elle et l’aurait poussée au sol. Cette somme, sa mère la lui avait déjà remise le 15 août. C’était le reliquat des 8 000 euros qu’elle lui devait. Pourquoi alors la lui réclamait-il de nouveau ? En fait, il sortait tout juste de garde à vue où les policiers lui avaient confisqué ce qui lui restait de cet argent et qu’il portait sur lui. Ayant été interpellé avec du cannabis, l’OPJ a estimé qu’une forte somme en espèces pouvait être liée à un trafic.
Cette histoire avait plongé Banta dans un état d’agressivité et de colère qu’il n’a pas su dominer, comme toujours, car il souffre de problèmes psychiatriques jamais traités. L’audience n’en dira pas un mot, mais les troubles sont si manifestes qu’on se demande à quel moment la présidente lira l’expertise qu’un psychiatre a réalisée depuis l’interpellation, car l’affaire a été renvoyée et trois semaines se sont écoulées. Mais cela ne viendra pas, car aucun expert n’a été désigné. Ce vendredi 20 septembre, le tribunal correctionnel de Pontoise ne voit pas un homme en souffrance, mais seulement un pénible logorrhéique qui a frappé sa mère et lui fait si peur, lui mène une vie si dure depuis des années, qu’elle souhaite qu’il soit éloigné d’elle. « Monsieur, nous vous écoutons », dit la présidente.
« Elle me souhaite la psychiatrie, elle me souhaite le pire »
Maintenant, Banta s’explique ; sans ponctuation et avec maintes digressions.
« Au tout départ, les 8 000 euros j’en voulais pas du tout, et un jour j’ai eu une discussion avec ma tante qui me disait ’toi tu n’aimes pas ta mère’, j’ai dit mais si ! J’étais en train de récurer son domicile pour son retour d’Arabie saoudite, à ma mère. Quand elle est rentée, je suis venu lui dire que tout Sarcelles vient me dire à moi que mon grand frère il est gros, il est sale, il a rien à faire en salle de fitness. Je lui ai dit : dis à ton premier fils de faire attention à lui. Et là elle m’a dit ‘J’espère que toi aussi tu vas partir en psychiatrie comme lui’. Je lui ai dit ‘ok, je vais y aller en psychiatrie mais tu vas me rembourser les 8 000 euros que tu m’as piqués quand j’étais petit et que je me suis fait renverser par une voiture (on comprend que c’est une somme qu’elle a touchée en dédommagement du préjudice corporel de son fils, ndlr). Tout ce qu’on a enduré ensemble… et au final elle me souhaite le pire ! Même les victimes de cambriolages que j’ai faits ils me souhaitent pas ça ! Donc j’ai demandé les 8 000 qui me revenaient. »
Il n’y a pas besoin de relancer Banta, qui alimente son discours de propos parfois obscènes et incohérents. Il est visible qu’il fait un effort de concentration acharné pour reprendre le fil du récit.
« Pourquoi je suis arrivé en colère chez moi, le soir du 28 août ? La police de Sarcelles, ils m’ont tapé, ils m’ont tellement tapé, ça me fait trop mal. J’y étais du 25 au 28 août pour un 10 euros de shit, et outrage et rébellion. J’ai dit à l’OPJ ‘je peux rien faire, vous êtes 10 000 face à moi. À la fin de garde à vue, je viens signer le procès-verbal, je demande ‘où sont les faits ?’ Ils m’ont dit n’avoir retenu que les 10 euros de shit. Je lui ai dit ‘c’est normal c’est vous qui m’avez tapé.’
— Et comment vous êtes arrivé chez votre maman ? S’il vous plait », supplie la présidente.
— Ils m’ont saisi mes derniers 1500 euros, pensant que les billets venaient du trafic, je le dis à ma mère au téléphone, elle me dit qu’elle va me donner 200 euros. Je lui dis non, tu vas me donner plus. Moi au commissariat ils m’avaient dit de ne plus fumer, donc je bois de l’alcool, alors que je n’aime pas l’alcool et les alcooliques ; quand je suis arrivé au domicile j’étais sous Poliakov, alors que je suis jamais ivre. J’étais très conscient mais j’ai pété un plomb vocalement. Verbalement je précise que je n’ai rien commis qui mérite d’aller en prison. J’ai dit ‘elle m’a souhaité la psychiatrie’ alors que moi je nettoie chez elle, et donc je demande plus parce que 200 euros c’est trop peu. De ça, moi je suis sorti du domicile, je vois que ma mère marche en direction de sa voiture, en train de téléphoner, j’ai pris le téléphone j’ai dit ‘pourquoi t’appelles le 17 ?’ Ça, ça a fait qu’elle a demandé aux jeunes ‘aidez-moi, aidez-moi !’, les jeunes m’ont tapé et ils m’ont mis K.O. J’ai mal mal, mal, faudra que je vois un médecin pour qu’il dise je suis handicapé d’une épaule. Voilà, j’ai tout raconté de A à Z.
— Merci Monsieur », répond la présidente pas perturbée. Madame, est-ce que vous voulez bien vous approcher de la barre svp ? Est-ce que c’est ce qu’il y a dans le dossier, ou c’est ce qu’il a dit ?
« Moi je ne le déteste pas, je veux qu’ils se fasse soigner »
C’est plutôt ce qu’il y a dans le dossier, à quelques détails près : il n’a pas pointé le couteau vers moi. Il était très énervé, il tapait contre la fenêtre, c’était invivable. Je suis sortie et je suis arrivée près de la voiture, il m’a rattrapée, il m’a poussée jusqu’à me faire tomber, les jeunes sont venus m’aider. Il voulait les sous, je lui ai dit ‘calme-toi, le 11 septembre il y a un rendez-vous avec la police pour te rendre ton argent.’ J’ai fait toutes les démarches pour prouver que c’était de l’argent propre. » Et là, sans qu’on lui demande, Fatoumata poursuit.
« — Depuis qu’il a 18 ans, il a passé 8 ans en prison. Il rentre, il sort, et moi je m’occupe de tout. Les 8 000 euros, c’est mon assurance qui a payé, mais je lui ai dit que j’allais lui donner cet argent pour voir ce qu’il allait en faire. Moi je l’ai hébergé, j’ai tout fait pour lui. Mais il est difficile à vivre, et je ne veux pas être son souffre-douleur. Il n’a pas compris que maintenant moi ce sont mes autres enfants, mineurs, qui m’importent (les larmes emplissent ses yeux, un mélange de peine et de rage anime sa voix). Qu’il me tue ou me menace ça m’est égal, mais qu’il vienne à chaque fois et qu’il prenne mon argent, alors ce sera moi et mes enfants qui sont dans la rue. Si je me bats avec lui, c’est les petits qui vont souffrir. J’ai tout fait pour lui, je lui ai montré que je l’aimais, je lui ai dit que je l’aimais. J’ai été mariée de force à 13 ans et demi, j’ai eu son frère à 15 ans, lui à 18 ans, mon mari me battait. J’ai d’autres enfants qui me respectent. Lui s’il me fait du mal, il le regrettera toute sa vie, parce qu’il ne trouvera pas une autre maman.
— Voulez-vous vous constituer partie civile ?
— Non, je veux juste qu’il s’en sorte. Moi je ne le déteste pas, je veux qu’ils se fasse soigner. Il a des troubles. Moi aussi j’étais malade, mais depuis que je vois un psychiatre, je suis plus calme. »
Absolument pas troublée, l’imperturbable présidente passe au casier de Banta. « Votre parcours, Monsieur, est étoffé sur le plan pénal. Si l’on prend votre casier, nous avons quand même un certain nombre de pages. » Elle lit l’intégralité du casier, qui comporte 24 condamnations. Cela prend presque 10 minutes.
Vingt-quatre condamnations, pas une seule altération du discernement
Le prévenu lève le doigt.
« Qu’est-ce que vous en pensez de ce parcours pénal ?
— Moi, je suis né en me faisant pipi dessus, et ça a duré jusqu’à mes 18 ans.
— C’est quoi le rapport entre votre parcours pénal et vos problèmes d’énurésie ?
— Ça veut dire que je me suis construit tout seul. Moi je me défends, jamais j’attaque. »
Alors Banta attaque sa mère, l’insulte et la voue aux gémonies. Il part dans un délire verbal de persécution, de plus en plus agressif et énervé. La présidente en profite pour faire un bon mot : « Le tribunal est calme, mais là je suis pas sûr que c’est pas lui qui ait besoin d’une hospitalisation d’office », dit-elle en rigolant. Puis, Banta repart dans une diatribe contre sa mère, devant une juge impuissante. Heureusement, les trois agents de la pénitentiaire prennent l’initiative de l’emmener dans le couloir pour le sermonner, et le ramènent calmé trois minutes plus tard. Banta a la tête baissée, prostré.
Dans son réquisitoire, le procureur croit bon de rappeler que le prévenu n’a jamais « bénéficié » d’une altération du discernement, et souligne qu’il a été condamné en moyenne tous les cinq mois depuis sa majorité. Il requiert 10 mois dont 5 mois avec sursis probatoire, mandat de dépôt, des obligations de soin, de travail, une interdiction de contact et une interdiction de se présenter au domicile de sa mère.
Quant à l’avocate de la défense, qui avait demandé une expertise psychiatrique (refusée) à la première audience, elle trouve le dossier « creux » et regrette que son client, qui a été tabassé par les jeunes qui attendaient la police, ne soit pas aussi considéré comme une victime. Elle demande la relaxe au bénéfice du doute, car toute l’enquête se base sur les propos de la mère de Banta, partiale. C’est une vision qui n’emporte pas la conviction du tribunal, qui prononce une condamnation à hauteur des réquisitions. Les menottes cliquettent, et Banta s’assoit lourdement sur son banc, les yeux fermés, abattu.
À lire aussi sur l’état psychiatrique des prévenus jugés en correctionnelle : « Tribunal de Paris : Je paie pour qu’on me fasse mal, ça me rend moins agressif » et « Tribunal de Meaux : Trois ans de prison pour le schizophrène qui a attaqué un buraliste » où l’on trouvera de nombreuses autres références de chroniques consacrées à ce sujet.
Référence : AJU468443