Tribunal de Pontoise : « Toi, tu vas pas faire ton nègre de service ! »

Publié le 05/04/2022

A l’audience correctionnelle du 4 janvier au tribunal de Pontoise, Igor est prévenu d’outrage et rébellion. Un peu alcoolisé, il s’est emporté devant les policiers, le reconnaît, mais son avocat, lui, ne lâche rien.

Tribunal de Pontoise : « Toi, tu vas pas faire ton nègre de service ! »
Palais de justice de Pontoise (Photo : ©J. Mucchielli)

Igor est venu au tribunal avec une mise impeccable, un langage châtié et une politesse à toute épreuve. Rien à voir avec ce soir du 18 avril 2021, lorsque, débraillé, il a insulté les policiers et s’est débattu de sorte que ceux-ci n’ont eu d’autre choix, assurent-ils, que de procéder à son  interpellation « en faisant usage de la force strictement nécessaire ». L’assurance qu’affiche Igor à l’audience, visiblement décidé à impressionner son monde, ne lui est d’aucun secours. Des Igor, la juge en a vu des centaines, et elle a d’autres dossiers à traiter.

En voiture après le couvre-feu et ivre

L’avocat d’Igor a beaucoup de choses à dire. Des conclusions pour débuter : il souhaite l’annulation de la garde à vue et donc des actes qui en découlent, car les policiers auraient sciemment omis de lui notifier ses droits. Ou plus précisément, ils ne l’auraient fait qu’à 7h30 du matin alors qu’Igor était en garde à vue depuis la veille à 22h20. La procureure répond calmement que les policiers ont dû attendre qu’Igor dégrise, comme le veut l’usage, pour être certains que le mis en cause fut en mesure de les comprendre, ses droits. L’incident est joint au fond, et la juge qui préside seule cette audience aborde les faits.

« Outrage et rébellion », dans les circonstances qui suivent : le 18 avril 2021 dans la soirée, la police contrôle un véhicule qui circule après l’heure du couvre-feu. Non seulement le conducteur n’a pas de dérogation et ne devrait donc pas être dehors, mais en plus il a un peu trop bu. Ce qui justifie de l’immobiliser. Igor n’a pas de dérogation non plus, il est encore plus ivre et le voilà désormais contraint de rentrer à pied.

Ce qui a le don de l’énerver.

Il s’approche des trois fonctionnaires et exige des explications. L’un des policiers lui signifie qu’ils n’ont pas que ça à faire, « circulez monsieur, rentrez chez vous s’il vous plaît ». Mais Igor insiste, alors le policier avance d’un pas : « on vous a dit de rentrer chez vous ». Les deux hommes, d’origine africaine, se font face.  « Toi, tu vas pas faire ton nègre de service ! » lance Igor tout en poussant le fonctionnaire.

« Filmez, filmez ! »

Les policiers lui tombent dessus, dans le strict cadre légal. Il est immobilisé, menotté. Et, tandis qu’il crie désespérément : « Filmez ! Filmez ! » aux éventuels passants qui pourraient témoigner en sa faveur, il est emmené dans le véhicule de police.

« — Je ne me suis pas interposé, j’ai voulu discuter et ils m’ont poussé.

— Ce n’est pas ce que vous avez dit en garde à vue, où vous avez admis les faits, objecte la magistrate.

— Je me suis mis en mode escargot pour me protéger. Ils se sont acharnés sur moi.

— Bon. Et sur l’insulte, « nègre de service » ?

— Ça, je le regrette.

— Pourquoi avoir dit ça ?

— Sur le coup, je n’ai pas pensé que c’était une insulte. »

Le casier judiciaire d’Igor ne comporte qu’une seule mention : conduite sous l’empire d’un état alcoolique. Il vient juste d’avoir le diplôme pour devenir enseignant en…. conduite et  sécurité routière.

« Vous avez un problème avec l’alcool ?

— Pas du tout !

— Vous êtes sûr ? »

Nègre de service

L’avocat des trois policiers, n’est pas content. « Monsieur T. a subi des injures racistes bien plus graves que les violences, je regrette que le parquet n’ait pas poursuivi ainsi. Ces propos sont ignobles ! Si ça avait été le contraire, si un policier avait traité de « nègre de service » quelqu’un d’autre, il aurait été poursuivi pour injure raciste. » Il demande 300 euros par policier, une indemnisation qui ira « combler le déficit de notre pays ». La procureure, qui souligne les conditions particulièrement difficiles dans lesquelles la police travaille, requiert 4 mois de prison avec sursis.

« J’aime ce genre d’audience ! » lance l’avocat de la défense qui décide de s’en prendre à l’accusation « Quel est le rôle du parquet ? De défendre les intérêts de la société. Est-ce que mon client ne fait pas partie de la société ? Donc le parquet devrait être neutre. » Il enchaîne : « Les PV ne sont pas des paroles d’évangile, ils ne racontent pas la vérité. Ces policiers sur le terrain ont une technique : ils sont agressifs, pour ne pas dire provocateurs, pour faire réagir et obtenir un outrage, puis une rébellion. C’est une technique rodée ! » Emporté par son élan, l’avocat enjoint la magistrate de ne pas être dupe de ce qu’il analyse comme une manipulation. « L’audience peut servir à établir la vérité des faits. Ne vous contentez pas des PV. Nous savons tous que c’est une technique assez connue pour arrondir leurs fins de mois. Mais vous n’êtes pas la Française des jeux, la justice est rendue au nom des Français, pas au nom des PV de ceux qui veulent se faire passer pour des victimes. » Quant à l’injure, admise par son client, il objecte que « nègre de service » est une expression américaine qui sert simplement à désigner un esclave.  Pour lui, ce n’est pas une insulte. « Monsieur T. était le seul policier de couleur, il voulait montrer à ses collègues qu’il n’était pas complaisant. Il a voulu faire de l’excès de zèle ! » Silence. L’avocat demande la relaxe. C’en est fini.

A l’issue de ce grand moment d’éloquence, la juge décide de suspendre l’audience. Trente minutes plus tard, les conclusions de nullités sont rejetées et Igor est condamné à trois mois de prison avec sursis. Il devra en outre verser  300 euros à chaque policier. En revanche, le tribunal le dispense d’inscription au bulletin n°2, afin qu’il puisse exercer sa profession.

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