« Tu niques pas une vie pour 1 500 €, ma gueule » 3/4

Publié le 05/11/2021

Le 5 octobre, la cour d’assises de Créteil revenait sur l’engrenage tragique qui avait conduit Tal à frapper Amir d’un coup de couteau dans le dos, la nuit du 23 décembre 2018, dans le Bois de Vincennes*. 

« Tu niques pas une vie pour 1 500 €, ma gueule » 3/4
Palais de justice de Créteil (Photo : ©I. Horlans)

Amir, qui a reçu le coup de couteau le 23 décembre 2018, vient seul au procès, seulement accompagné par son avocat, Maître Franck Serfati. Il a demandé à sa famille de ne pas assister aux débats.

En revanche les frères et sœurs de l’accusé sont présents en nombre. Avant les reprises d’audience, tapi dans un coin obscur de la salle des pas perdus en béton du tribunal de Créteil, Amir les observe de loin, comme un animal méfiant. Au fur et à mesure des suspensions d’audience, il se rapproche et au deuxième jour, une sœur de Tal lui parle. Peut-être parce que la veille, Tal a reconnu une partie des faits.

Un rôle central

Un témoin crucial est appelé à la barre, le témoin numéro un. Depuis la veille son ombre plane sur le procès : l’énigmatique Nathan V. Celui à qui la victime devait de l’argent. Celui que la police soupçonnait de trafic de drogue. Celui que le juge d’instruction a mis en examen pour complicité de tentative d’assassinat, avant de prononcer un non-lieu. Il a senti le souffle du boulet et aujourd’hui encore il reste sur ses gardes. Il reconnaît quelques faits : il avait « dépanné » Amir de 400 gr de cannabis, l’équivalent de 1 400 €. Pour le reste, il esquive et minimise.

« —Je n’ai pas demandé à Tal, je ne lui ai rien promis. On est juste allé discuter avec Amir, lui mettre un coup de pression, sans violence, c’est tout.

—Le 23 décembre, après les faits, Amir a essayé de vous joindre un grand nombre de fois. Vous avez cassé votre puce [de téléphone].

—Je ne peux pas vous expliquer, je ne sais pas.

—En prison vous avez été placé sur écoute… Vous dites « Tal partait en couille. J’avais abandonné avec Amir mais l’autre il a pris le seum. Peut-être qu’il lui a manqué de respect. » A quel moment Monsieur ?

—Je ne sais pas… ».

Au bout d’une heure infructueuse, l’avocat de la défense tente sa chance.

« —Moi je ne vous considère pas comme un suspect ; je ne plaiderai pas que vous êtes responsable. Mais vous avez un rôle. Ne vous sentez-vous pas une responsabilité, ne serait-ce que morale, dans cette histoire ?

—Un silence, une hésitation, un regard vers l’avocat.

—Oui… j’ai eu un rôle au début. Après, je ne connais pas la fin, je ne sais pas comment ça s’est déroulé… Je pensais pas que cette affaire irait aussi loin. Sinon, bien sûr que je l’aurais pas fait ».

« Ils l’ont planté »

La Cour cherche à clarifier encore les raisons de l’agression. Parmi les témoins, un ami proche de la victime vient à la barre, réticent. Grand, vouté, l’homme se contente de répondre par oui ou non d’une voix sourde et caverneuse. « Je parle comme ça » se justifie-t-il.

La présidente cite une écoute téléphonique où il commente l’état de son ami : « Tous les jours je vais le voir à l’hôpital, je vais voir Amir, mon frère. Il devait un truc, ils l’ont planté. Tu niques pas une vie pour 1 500 €, ma gueule. » Il reconnaît ses propos du bout des lèvres et se retire. La présidente lira une autre écoute d’un autre « ami » : il estimait qu’ils auraient pu « lui péter le genou », comme une peine mieux proportionnée.

La prudence des voisins et des amis renseigne les jurés sur la pression tacite du quartier.

Amir lui-même n’y échappe pas. Il faut quand même qu’il passe devant la cour, lui aussi. Il semble à la fois le redouter et l’attendre.

« On s’est fait la bise »

Il se lève, s’approche lourdement du micro, se tient debout avec difficulté, refuse une chaise. Sur l’engrenage des évènements, sa version n’a pas varié. Mais on apprend de nouveaux détails. Il raconte l’ambiance pesante jusqu’au Bois : « Pendant la route, on se parlait pas. On marchait dans le Bois, il m’a dit : ‘J’ai pas aimé comment tu m’as parlé’. J’ai dit : ‘je suis désolé, t’es le grand frère, y a rien’. On s’est fait la bise, et j’ai senti le coup de couteau, j’ai senti du froid. Je me suis retourné ; son visage a changé. Il pouvait pas voir que je saignais. Je suis parti en courant. »

Dans sa première déposition, Amir déclarait que Tal avait crié « Je vais te tuer ». Mais à la barre : « Non il ne l’a pas dit. Au moment des faits, j’ai pensé qu’il voulait me finir. Aujourd’hui, je ne crois pas qu’il voulait me finir. »

Il assure aussi qu’il n’y a jamais eu de deuxième coup de couteau à la cuisse. Dans la matinée, le médecin légiste déposait dans le même sens : « La deuxième plaie à l’arme blanche a été signalée à plusieurs reprises, mais je n’en ai vu qu’une. » Cette question taraudait la Cour depuis le début. Deux coups pourraient signifier une volonté de tuer. Un coup peut être jugé impulsif. La Cour a sa réponse.

« Je pense pas qu’il ait voulu me tuer »

L’avocat de la victime, Maître Serfati, se dresse, contrarié : « Comment pouvez-vous dire aujourd’hui qu’on n’a pas voulu vous tuer ? Il vous plante ! Vous le voyez droit dans les yeux, son visage change : il a voulu vous tuer et il en est conscient ! »

Amir regarde les jurés, répond posément : « Je n’ai pas préparé, j’ai dit la vérité. Il a tué ma vie, il a tué sa vie, celle de ma famille, de sa famille. Je ne l’excuse pas, mais je ne pense pas qu’il ait voulu me tuer. S’il l’avait voulu, il m’aurait coursé, il m’aurait tué. Il a changé de visage parce qu’il a eu peur ».

Il est temps de lui demander, car tout de suite après Amir, c’est l’interrogatoire de l’accusé.

« Comme un lâche »

Dès le premier jour il a reconnu avoir porté le coup. Mais pour le reste, sa version est toute autre que celle d’Amir : « Il m’a dit qu’il allait me payer. Il a dit ‘Passe’, je suis passé. Il est monté dans ma voiture. Le ton a chauffé ; il m’a dit de me garer. J’ai eu peur ; j’ai eu un coup de panique. Je lui ai mis un coup de poignard dans les fesses, comme un lâche. Après j’étais figé ; j’étais pas bien. Je ne lui ai pas couru après. Je suis venu en aucun cas pour en découdre. »

Ensuite, Tal se raccroche à ses quelques phrases, répétées en boucle à chaque nouvelle question. Il tient à tout prix à soutenir qu’ils n’étaient pas dans le Bois, mais au bord du Bois. C’est aussi là qu’il a jeté le couteau.

Me Serfati de la partie civile le soumet à un interrogatoire frontal, comme à son habitude. « Pourquoi niez-vous avoir été dans le bois ? Que vous a-t-il dit ? ça chauffait : ça ne veut rien dire ! » En quelques secondes l’accusé de referme et l’on comprend ce qui a dû se produire devant les policiers et le juge. « Je vais arrêter de répondre à vos questions ».

Il est resté sur la défensive et ses faux-fuyants, ses demi-vérités, ses approximations ne plaisent pas à Maître Simonard, son propre avocat, car cela ressemble à des mensonges. L’avocat reprend en main la situation sur un ton plus amène : « Vous êtes un peu confus. Vous vous sentez en difficulté. » Et il passe à l’offensive, lui aussi. Il veut faire accoucher son client d’une confession plus sincère et plus audible par les jurés.

« —Vous allez le chercher, vous vous doutez bien que ça va mal finir ?

—Vous avez insulté sa mère ?

—Oui j’ai insulté sa mère

—Vous alliez vous battre ?

—Oui on devait se battre, faire un tête à tête.

—On est dans le bois, on est bien d’accord ?

—Oui…

—Vous étiez en colère, stressé, un coup d’adrénaline ?

—En colère.

—Il faut dire les choses !

L’avocat fait répéter à son client qu’il a « piqué Amir dans le dos ». Il a réussi un tour de force : présenter un accusé qui assume ses responsabilités, qui avoue avoir insulté Amir, l’avoir entraîné dans un duel et l’avoir poignardé dans le dos. Et qui répète aussi : « Amir, je te demande pardon. »

 

Lire les volets 1 et 2.

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