« Tu niques pas une vie pour 1 500 €, ma gueule » 4/4

Publié le 05/11/2021

Les débats du procès d’assises à Créteil de Tal R accusé d’avoir tenté d’assassiner un autre jeune pour laver son honneur, ont été marqué par les aveux de l’accusé. Son avocat compte demander à la Cour de juger son client pour des violences volontaires plutôt que pour une tentative d’homicide avec préméditation.

« Tu niques pas une vie pour 1 500 €, ma gueule » 4/4
Palais de justice de Créteil, salle des pas perdus. (Photo : ©P. Anquetin)

Après un dernier expert psychiatre qui n’a relevé aucun signe de trouble de la personnalité relevant de la psychopathie, la présidente annonce les questions qui seront posées aux jurés.

La veille, l’avocat de la défense, Maître Simonard avait déposé une demande de question subsidiaire.

Violences volontaires ou tentative d’assassinat

En plus de « l’accusé a-t-il tenté de donner volontairement la mort et si oui l’a-t-il fait avec préméditation ? », l’avocat veut ajouter : « A-t-il exercé des violences volontaires ayant entraîné une ITT supérieure à huit jours », avec deux circonstances aggravantes possibles : l’usage d’une arme, la préméditation. Après les aveux de l’accusé au cours du procès, un autre rebondissement se produit alors : l’avocate générale s’associe à la demande de la défense.

Le ciel s’éclaircit un peu pour l’accusé, mais la magistrate demande aussi que l’état de récidive légale soit pris en compte, puisque l’homme a déjà été condamné en 2014 à Anger à un an ferme pour un délit condamnable d’une peine supérieure à dix ans. Si la récidive est retenue, la peine au terme de ce procès pourra être doublée.

La présidente accède aux deux demandes. La question subsidiaire sera bien posée aux jurés.

« Quand on vient avec une arme, c’est qu’on veut tuer »

Tout au long des débats, l’avocat de la partie civile, Maître Franck Serfati, a été le plus offensif, ne cessant de rudoyer les témoins et l’accusé. Il veut la condamnation de Tal R. pour tentative d’assassinat. Dans sa plaidoirie, il invite les jurés à ne pas se laisser abuser. « Après une phase de dénégation, puis un silence suspect, l’accusé a fini par reconnaître sa culpabilité. Mais s’il suffisait de dire ‘je suis un lâche mais je n’aurai pas de sanction’, la justice ne serait pas rendue. »

Il rappelle que Tal est considéré comme un « caïd », avec ses 19 condamnations au casier. « Il ne vient pas pour les 1 400 €. C’est lui qui conduit Amir dans un endroit sombre à l’abri des regards avec une arme, et c’est lui qui donne le coup. Quand on vient avec une arme, c’est qu’on veut tuer. Quand on s’organise aussi bien, on est dans la cadre de la préméditation. »

Pas d’intention homicide

Mais dans son réquisitoire, l’avocate générale choisit d’emblée un registre plus mesuré, sur une ligne d’équilibre. Elle se dit d’abord frappée par la similitude des trajectoires de ces deux hommes : « Un même quartier, des familles unies où le travail n’est pas un vain mot, la même figure de la grande sœur. »

Elle concède qu’Amir « n’est pas un enfant de cœur » ; il a décidé de ne pas rembourser. Mais « il ne joue pas aux grands, il n’est pas un caïd. Et c’est la différence avec Tal R. », plusieurs fois condamné pour trafic, et qui « accepte de jouer les gros bras pour Nathan V. » Oui, il organise le guet-apens. Mais A-t-il eu l’intention de tuer ?

« Je me suis beaucoup posé la question est je dois dire que c’est au cours des débats que ma conviction s’est faite. (…) J’ai la conviction qu’il n’a pas été animé d’une intention homicide. »

D’abord, souligne-t-elle, parce qu’il est venu avec sa voiture, son téléphone allumé, devant tout le monde. Il ne s’est pas caché. Ensuite parce qu’il aurait pu viser une zone vitale, la gorge par exemple. Mais il a frappé au hasard, aucun organe vital n’a été atteint, et il n’a pas asséné de deuxième coup. Enfin parce que tout de suite après, il a paniqué. Il n’avait prévu aucun plan de repli. « Il voulait se venger de cet affront, cette humiliation, faire peur à Amir T. Mais l’acte reste grave, la lame est entrée, et il a agi la tête froide ».

10 ans requis

La magistrate estime de plus qu’il a été acculé aux aveux, qu’il était « ficelé par la procédure », et qu’il a encore tendance à minimiser. « Je ne suis pas sûre qu’il mesure la portée de ses actes. »

Elle demande à la Cour de le reconnaître coupable non pas de tentative d’homicide, mais de violences volontaires avec préméditation ayant entraîné une ITT de plus de 8 jours. Elle requière une peine de 10 ans d’emprisonnement et l’interdiction de détenir une arme pendant 5 ans.

Un caïd, ce n’est pas ça

Ce réquisitoire mesuré facilite le travail de la défense : la condamnation pour tentative d’homicide volontaire s’éloigne. Maître Simonard va encore tenter de faire baisser le quantum de la peine pour violences.

Il veut déconstruire l’image du « caïd ». Aux assises, dit-il, un caïd est entouré d’une escorte renforcée, cagoulée. Devant un caïd, les magistrats sont escortés. Chez un caïd on retrouve des kalachnikovs et des munitions… « Ce n’est pas Tal R., qui vit chez papa-maman à trente ans et arrête ses cours de sports pour rester avec son petit frère ! Ça a été dit trop souvent et ce n’est pas acceptable. Il n’est pas un caïd de la cité. »

La préméditation ? « Un raisonnement injuste. » « C’est vrai, Il veut lui mettre une raclée, il veut se battre. Les deux ont un couteau, au cas où les choses dégénèrent. » On a en effet retrouvé une lame de cutter près d’Amir, la sienne. « Sur la préméditation on n’a pas de certitude. Si vous avez le moindre doute, vous répondrez non. »

Maître Simonard conclue en assurant que son client n’est pas un homme dangereux, comme « le psychiatre l’a dit ». Son casier est vide depuis 2014. En prison, il est calme.

Pour l’avocat, une peine de 10 est donc démesurée. Il estime d’ailleurs qui la décision aurait pu être rendue par un tribunal correctionnel. Il revient sur la plaidoirie de la partie civile : « Ce qui vous a été plaidé ce matin, c’est l’appel à la vengeance, c’est le moyen âge. Même Amir T, ce n’est pas ce qu’il veut. »

La parole revient à Tal, l’accusé, qui répète une dernière fois : « Je m’excuse, Amir. Toute cette histoire, c’est n’importe quoi ! »

Après quatre heures de délibérations, la cour et les jurés répondent non à la question de la culpabilité pour tentative d’homicide volontaire avec préméditation, oui à la culpabilité pour violences volontaires avec usage d’une arme et préméditation. La Cour condamne Tal R. à 9 ans de réclusion criminelle, 10 d’interdiction de détenir une arme.

 

Lire les précédents épisodes ici : volet 1, 2 et 3.