Yvelines (78)

Versailles, sa cour d’appel et son tribunal

Publié le 05/09/2022
Versailles
delphine/AdobeStock

Versailles a une longue histoire judiciaire, en témoignent entre autres la présence dans la ville de sa cour d’appel, troisième du pays en termes d’activité, et son tribunal judiciaire, tous deux situés non loin du château. Alors que certains lieux de justice déménagent dans des constructions neuves, Versailles de son côté conserve son patrimoine.

Dans son article « Versailles, le château et la ville » (Histoire urbaine, 2004), l’historienne Noëlle Dauphin rappelle combien la ville s’est construite à l’ombre du château : « À Versailles il faut qu’au XIXe siècle se crée un organisme urbain et qu’il se constitue un patrimoine en arrachant les éléments à l’emprise du château. Pendant tout ce XIXe siècle, le château, abandonné comme résidence royale et siège du pouvoir, demeure un décor monumental et une mémoire sociopolitique ». Jusque-là, « il n’y avait ni communauté urbaine ni corps de ville. L’ensemble relevait de l’intendant du château qui reçut en 1719 le titre de gouverneur ; la justice et la police étaient assurées par un bailli et un prévôt ». La ville de Versailles ne se dote d’un maire que le 25 mai 1789.

Nationalisation des biens royaux

Du point de vue de l’urbanisme, des dépendances sont construites autour du château sans pour autant créer de liens entre elles. En 1790, Versailles devient chef-lieu de département, de district et de canton : s’y implantent des collèges exécutifs et des nouveaux services administratifs, fiscaux et judiciaires réorganisés par la loi du 28 pluviôse de l’an VIII. « Dès la fin de la Monarchie de Juillet, Versailles semble avoir réussi sa reconversion, écrit Noëlle Dauphin. Les nouveaux services du département, bureaux de la préfecture, conseil de préfecture, conseil général, services fiscaux, tribunaux d’instance, criminel et de commerce sont en 1848 pour la plupart localisés dans le canton nord. La préfecture est installée rue des Réservoirs dans l’ancien hôtel du Garde-Meuble, les tribunaux et la maison d’arrêt en bordure nord de l’avenue de Paris à l’hôtel du Grand Veneur (place des Tribunaux, actuelle place André-Mignot) ».

Comme l’explique l’historienne, à la Révolution, le domaine royal devint national et n’est quasiment pas démembré. Les casernes dépendent alors du ministère de la Guerre, tout comme le Grand Commun transformé en manufacture d’armes. En 1807, l’hôtel du Grand Veneur est dévolu à l’administration départementale, puis au tribunal civil. La salle des Menus-Plaisirs, les Écuries de la Reine, le couvent des Récollets reviennent également au département.

Un nouveau tribunal pour Versailles à la fin du XIXsiècle

C’est en 1887 que la décision est prise par le conseil général de Seine-et-Oise de démolir les bâtiments de l’ancien hôtel du Grand Veneur pour élever des bâtiments neufs à son emplacement. Le projet est confié à l’architecte du département de Seine-et-Oise, Albert Petit. Les nouveaux bâtiments sont construits entre mars 1888 et mai 1890. Le 14 février 1888, le quotidien Le Petit Journal indiquait dans une brève dédiée au chantier : « L’adjudication pour les travaux de construction du nouveau palais de justice de Versailles aura lieu le 10 mars prochain. Rappelons que la masure qu’on va abattre servait de palais de justice depuis quatre-vingt-sept ans. Avant le mois d’octobre 1800, le tribunal correctionnel du district de Versailles siégeait à l’hôtel du Garbe-Meuble (sic), aujourd’hui hôtel des Réservoirs, où il s’était logé depuis 1873. Avant d’abriter le tribunal, l’édifice qu’on va démolir était l’hôtel du Grand-Veneur, ou le Chenil, bâti par le duc de Chaulnes en 1670. Les travaux de reconstruction dureront environ deux ans ».

Dans l’édition du 29 mars 1890 du journal L’industriel de Saint-Germain-en-Laye on pouvait lire que « Les travaux du nouveau palais de justice de Versailles avancent rapidement ; il paraît assuré que le tribunal pourra s’y installer à la Pentecôte. On a abattu les arbres qui masquaient la façade du nouveau monument, tout en réservant ceux qui se trouvent devant le tribunal de commerce et la cour d’assises. Dans la cour du tribunal de commerce, on a supprimé également une ligne de tilleuls ».

Plus tard, c’est la maison d’arrêt des hommes de Versailles, fermée définitivement en 1980 et remplacée par le nouvel établissement de Bois-d’Arcy, qui libère des locaux pour le palais de justice voisin. Le tribunal judiciaire de Versailles se décompose ainsi en plusieurs bâtiments d’époques différentes. Dernièrement, l’Agence 1090, agence d’architecture spécialisée dans la restauration et l’aménagement d’édifices ou de sites à forte valeur patrimoniale, a été chargée de la restauration des façades et l’aménagement des caves pour les scellés (2018-2020) pour un budget de 1,5 million d’euros.

La cour d’appel dans les écuries de la reine

La cour d’appel de Versailles a été créée par décret du 24 décembre 1975. L’un des objectifs était de pouvoir résoudre une partie des retards importants de la cour d’appel de Paris, complètement submergée par les dossiers. Trois départements sont retenus : les Hauts-de-Seine, le Val d’Oise et les Yvelines, ce qui représente 31 % de la population de la juridiction parisienne de l’époque. L’historien Étienne Madranges expliquait lors d’une conférence à l’occasion des 45 ans de la cour : « Versailles méritait bien une Cour ! C’est là, au château, que le roi de France rendait la justice suprême dans le cabinet privé jouxtant sa chambre. Là se déroula le lit de justice de 1771, lors duquel Louis XV ordonna la mise en œuvre de la réforme Maupéou : gratuité de la justice, suppression des offices et de la vénalité des charges, celui tenu par Louis XVI le 6 août 1787 pour enregistrer les édits fiscaux ». C’est aussi à Versailles qu’a eu lieu la dernière exécution en public d’un condamné à mort, Eugène Weidmann, tueur en série allemand des années 1930, surnommé le « tueur au regard de velours ».

Le décret du 24 décembre 1975 entre en application le 1er mars 1976. Les étapes sont planifiées : construction de locaux, réorganisation des tribunaux de commerce et création de postes de magistrats. Sont affectés 57 magistrats et 86 fonctionnaires, un premier président et 12 présidents de chambre, un procureur général et 11 parquetiers, et un conducteur automobile.

Contrairement à d’autres villes nouvelles d’Île-de-France, Versailles ne manque pas de bâti dans les années 1970 et ce sont les anciennes écuries de la Reine, Marie-Thérèse d’Autriche, qui sont choisies, rue Carnot. Agrandis en 1773, sur les plans de Jacques Ange Gabriel, les lieux sont transformés en maison d’arrêt lors de la Révolution, puis en hôpital militaire durant les guerres napoléoniennes. La garde royale s’y établit lors de la Restauration. L’armée se sépare des écuries en 1968 au profit du ministère de la Justice qui décide alors d’y installer des services du tribunal de grande instance et le Centre de production régionale informatique. La cour d’appel s’y installe le 1er juin 1977.

Outre la restauration des façades de la cour d’honneur (achevée en 2018), des travaux sont effectués, comme la construction en 1978 du pavillon de la première présidence situé à gauche de l’entrée.

L’inauguration a lieu le 3 janvier 1978 en présence d’Alain Peyrefitte. « La Cour a été créée dans une écurie au trot, s’amusait Étienne Madranges lors de sa conférence. Pourtant très à cheval sur le protocole, et alors qu’il est là pour mettre en selle la nouvelle juridiction, le ministre la visite au galop (il ne reste que trente minutes sur place, NDLR). Passer du temps dans une écurie judiciaire ne devait pas être son dada ! » Quelques années plus tard, l’avocat général Spitz déclarait lors de l’audience solennelle de rentrée de janvier 1981 : « Tantôt embellies, tantôt délaissées, tantôt réorganisées puis abandonnées pour renaître enfin de nos jours, elles ont traversé le temps avec flegme, persévérance, résignation et nul n’a voulu ou pu les détruire. Du haut de nos mansardes, quatre siècles nous contemplent mes chers collègues ! »

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