Violences conjugales : « Ça me fait mal, quand papa cogne sur maman »

Publié le 22/04/2022

La fillette âgée de 6 ans n’a évidemment pas assisté au procès de Steven, son père. Mais le président du tribunal correctionnel d’Évry (Essonne) a résumé sa longue déposition. Incontestablement, l’enfant a beaucoup souffert des violences infligées à sa mère.

Violences conjugales : « Ça me fait mal, quand papa cogne sur maman »
la 10e chambre correctionnelle du tribunal d’Évry (Photo : ©I. Horlans)

« Ce n’est pas en regardant ainsi votre ex-compagne que vous améliorerez votre situation », s’indigne le juge Olivier Bachelet. Depuis que Valérie* a entrepris de témoigner à la barre de la 10e chambre correctionnelle d’Évry, ce 21 avril, Steven darde son dos d’une paire d’yeux noirs menaçants. Il a tant de rancœur en lui qu’elle envahit la salle d’audience jusqu’au malaise. Coudes sur ses cuisses, il peste en l’écoutant, marque sa désapprobation de profonds soupirs. Et la femme qui l’accompagne, assise parmi le public, maugrée tout autant. Elle finira par quitter bruyamment son banc.

Le président Bachelet rappelle au prévenu qu’il peut perdre ici « l’autorité parentale ». Steven se calme. Bien qu’il nie les coups portés à Valérie, il est conscient de la lourdeur de son dossier et de l’enjeu. La prison, il pourrait la supporter. En revanche, il refuse d’être privé d’un avenir avec sa fille. Il l’aime et regrette de l’avoir déçue.

« Quand il y a trop de violence, elle s’assoit dans un coin »

 La dispute, une de plus, a éclaté le 5 février 2022 dans l’appartement que le couple partageait alors à Étampes. Il est 6 heures lorsque Steven bondit sur Valérie, encore au lit. Il lui arrache des mains son téléphone, lui intime de révéler son code. Il réveille la fillette, la prend par un bras, veut l’obliger à lui donner le code de déverrouillage du portable. La maman s’interpose, Steven tire ses cheveux, la frappe ; elle chute en arrière sur le bar du salon qui se brise. Entre coups et insultes, la scène dure près de trois heures. La mère et sa fille finissent par s’échapper de l’immeuble.

Poursuivi pour violence sur conjoint en présence d’un mineur, Steven, 32 ans, minimise : « Il y a eu une bousculade mais faudrait pas qu’elle abuse ! Je me suis débattu parce qu’elle a sauté sur mon dos pour récupérer son téléphone. » Il explique les raisons de sa colère : « Je voulais justifier mes doutes, dit-il à trois reprises. J’étais sûr qu’elle avait un autre homme. » Il n’accepte pas leur récente rupture, après huit ans de vie commune.

A l’officier de police judiciaire spécialisé, l’enfant a tout raconté sur cinq pages noircies de petites phrases qui renforcent l’accusation : « Mon père, il embête trop ma mère » ; « il s’énerve beaucoup sur elle » ; « ça me fait mal, quand papa cogne sur maman » ; « il l’a jetée contre la porte et le mur de ma chambre. »

Interrogée sur le comportement de sa fille « lorsque ça barde à la maison », Valérie le résume ainsi : « Quand il y a trop de violence, elle s’assoit dans un coin. Parfois, elle pleure en nous suppliant d’arrêter. »

« Il dit tout le temps que je ne suis qu’une merde »

 En 2017 déjà, alors que sa fille avait deux ans, Steven avait été condamné à quatre mois de prison avec sursis pour des faits identiques. Cette fois, le parquet a souhaité une comparution à délai différé pour établir son profil psychologique et, aussi, pour procéder à un examen de son ex-compagne. L’expert a relevé « la dangerosité » de Steven lorsqu’il est sous emprise de cannabis et d’alcool, qu’il consomme quotidiennement. Quant à Valérie, il a conclu qu’elle oscille entre « honte et échec, tristesse et déception ». Elle lui a confié s’être sentie « rabaissée en permanence et victime d’insultes. Il dit tout le temps que je ne suis qu’une merde », a précisé cette belle femme de 25 ans. Elle vit désormais dans un logement social à une adresse qu’elle veut « garder secrète ».

Pull rayé ras du cou, tatouage et musculature imposante, Steven rognonne en caressant sa barbichette. La femme qui l’accompagne lâche un sonore « putain ! » avant de s’en aller. Me Marie-Hélène Dubau, qui représente la partie civile, précise s’il le fallait que « Monsieur n’aime pas être frustré ». Elle déplore qu’une enfant grandisse « avec l’image d’une mère frappée et celle d’un père fumeur de joints ».

« Dans la vie, on ne fait pas toujours ce qu’on veut »

 La procureure Laëtitia Arcaix estime, elle, qu’il « a franchi la ligne rouge ». Insistant sur les circonstances aggravantes – la récidive et la présence d’un mineur –, elle requiert une obligation de soins contre son addictologie et sa violence, six mois de détention, dont quatre ferme, et la révocation du sursis : « Je ne sollicite pas le retrait de l’autorité parentale en espérant que cette audience lui aura servi d’électrochoc », conclut-elle.

En défense, Me Julie Solassol réfute d’emblée l’expression utilisée plus tôt par sa consœur du Barreau de l’Essonne : « Mon client n’est pas un tyran psychologique. Il espérait renouer avec la mère de sa fille », invoque-t-elle et, somme toute, il s’y serait mal pris. « Favorable à la mise en place d’une mesure de soins », elle ne voit pas à quoi servirait son incarcération.

Steven ajuste ses tresses nouées en queue de cheval : « Je regrette mes faits et gestes. Ça n’aurait pas dû se passer devant ma fille. Je suis désolé pour elle. Je présente mes excuses à sa mère. Dans la vie, on ne fait pas toujours ce qu’on veut. L’émotion, la colère, tout ça… »

En fin d’après-midi, le président Bachelet requalifie le délit : la récidive est prise en compte. Le sursis du prévenu est révoqué, il est condamné à six mois de détention qu’il purgera sous bracelet électronique. Il devra verser 1 000 euros de dommages et intérêts à Valérie, ne plus s’approcher d’elle, et se soigner. Il échappe au retrait de l’autorité parentale. Steven remercie le tribunal. Il continuera à voir sa fille un week-end sur deux. A ses yeux, cela semble aujourd’hui l’essentiel.

*Prénom modifié

 

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