Violences faites aux femmes : « J’ai senti une main entre mes cuisses…. »
Joseph, 39 ans, comparait le 15 janvier devant le tribunal de Créteil pour deux agressions sexuelles. Annie sanglote à la barre, tandis qu’Alya tremble et suffoque. L’homme a déjà un petit casier, mais surtout une histoire familiale qui glace le tribunal d’effroi.
« Tu es mignonne… On va prendre un café ? » C’est ainsi que Joseph, 39 ans, a abordé Annie S. dans la rue à Fontenay-sous-Bois en mars 2019*. Devant le tribunal de Créteil, la jeune femme raconte la suite : il se colle à elle, mais elle se dégage et poursuit son chemin. « J’ai croisé une mère et son enfant, je me suis baissée. J’ai senti une main entre mes cuisses. Je me suis retournée, il était en érection. » Un sanglot l’interrompt une seconde puis elle reprend : un peu plus tard, alors qu’elle travaille dans le quartier, elle l’aperçoit qui passe à proximité. Elle se cache et le voit entrer dans un « hôtel social ». Annie S. se rend immédiatement au commissariat pour porte plainte et indiquer l’adresse. Mais l’après-midi l’homme reparaît encore devant elle : « Y a pas moyen d’aller dans l’arrière-boutique ? »propose-t-il. Elle refuse, attend qu’il parte et retourne au commissariat. Le lendemain, elle le croise une troisième fois et pour la troisième fois alerte le commissariat, toujours sans résultat.
« Vous vous en souvenez ? », demande la présidente à Joseph H. « Pas du tout, malheureusement. »
Une deuxième victime
En écoutant ce récit, la deuxième plaignante, Alya R., 24 ans, tremble comme une feuille, sa jambe bat à un rythme rapide et nerveux. Quand elle en vient à suffoquer une avocate lui offre de l’eau et son frère, qui se tient derrière elle, pose la main sur son épaule. La présidente lit la déposition d’Alya :
« Je suis passée devant trois hommes. L’un m’a dit « Tu vas où ? » et m’a pris la main. Il m’a tirée vers le bâtiment et m’a obligée à entrer. Il m’a plaquée contre le mur. Il m’a emmenée dans l’ascenseur et forcée à rentrer dedans. Il m’a touché les cheveux, il m’a sentie et il m’a dit « Tu sens bon. » Il m’a touché le corps, la poitrine et les fesses. Il m’a tenu le cou… Je lui ai dit « Laisse-moi partir ». J’ai eu très peur. » Dans cet immeuble, il l’entraîne dans le cabinet médical où il a rendez-vous, puis la laisse partir.
Il sentait l’alcool et parlait tout seul, très fort, précise-t-elle. Il lui a même donné son nom, son âge. Là encore, Joseph ne se souvient de rien.
«— J’avais bu de l’alcool fort, et j’ai pris des médicaments, de la Dépakine. Je me rappelle l‘avoir saluée et communiqué avec elle. J’allais voir mon médecin dans ce quartier pour avoir un certificat médical. On a échangé nos numéros de téléphone.
— Comment échangé ?
— C’est moi qui lui ai donné le mien. »
Plus tard, elle a tout raconté à son frère, et elle est allée porter plainte. Les policiers ont interpelé l’homme et fait le lien avec la plainte d’Annie S. déposée presque deux ans plus tôt : c’est le même numéro de téléphone.
Suicide de la sœur, meurtre du frère
La présidente égraine sèchement son casier : à 20 ans une amende pour usage de stupéfiants, puis une peine pour cambriolage, une autre pour conduite en état alcoolisé… Pas grand-chose. En revanche le dossier médical est plus lourd : crises d’épilepsie, traitement à la Dépakine.
Enfin la présidente aborde le profil psychologique et en une minute l’audience bascule dans l’effroi.
« — Je vois que… vous êtes issu d’une famille nombreuse ? Vous avez… dix frères et sœurs…
— Ma sœur s’est suicidée sur les rails de la SNCF en 2012. Mon petit frère a été assassiné par notre mère en 2018. C’est là que j’ai commencé à boire beaucoup. Ma mère a été internée en psychiatrie. En 2020 elle a été déclarée irresponsable.
Un silence… la présidente est troublée.
— Merci pour ces précisions… »
Difficile d’enchaîner pour l’avocate des parties civiles. Elle s’en prend alors à l’inaction de la police. « Ça fait trois ans qu’il vit dans cet hôtel social. Annie S. retourne trois fois au commissariat et il ne se passe rien. » L’avocate décrit le choc pour les deux femmes, le traumatisme. « Elles ont peur de sortir dans la rue. L’une est en arrêt de travail depuis six mois. L’autre a dû démissionner de son poste de préparatrice en pharmacie par peur de se retrouver isolée avec un homme. » Elle demande 5 000 € d’indemnisation pour chacune.
Le procureur s’inquiète de la logique de répétition. « Sa vie est dramatique. Est-ce de nature à l’excuser ? » Il requiert deux ans de prison, dont un avec sursis.
Un homme qui délire
L’avocat de Joseph est excédé par l’absence d’éléments matériels : pas de certificat d’ITT, pas de déposition du personnel du cabinet médical, pas de confrontation et de reconnaissance visuelle. Il évoque le délire de son client : « Il l’emmène dans le cabinet médical. Il pensait quoi à ce moment-là ? Qu’il avait une nouvelle petite amie ? » L’avocat attaque l’enquête sociale, qui ne dit rien de son passé familial : « Aucun problème, tout va bien ! » Mais l’avocat connaît bien la famille et revient sur leurs épreuves : la sœur la plus proche qui entend des voix et se jette sous un train, la mère qui perd la raison et égorge son fils de 33 ans dans son sommeil. Joseph lui-même vit « dans un mélange de souffrance, d’alcool et de Dépakine, qui fabrique des trous ». « Si demain il perd son logement, si demain il perd son travail, que fera-t-il ? Où sera-t-il ? » L’avocat demande une peine de sursis probatoire.
La parole revient au prévenu, qui reconnaît du bout des lèvres une seule agression : « Je tiens à présenter mes excuses à Alya R. et à toute sa famille. »
A 22 heures, le jugement tombe, plus sévère que les réquisitions : deux ans dont six mois avec sursis probatoire et obligation de soins, de travail, d’indemnisation des victimes à hauteur de 2 500 € chacune, interdiction de contact avec les victime et de paraître à leur domicile, inscription au fichier des auteurs d’infractions sexuelles et violentes.
Que fera-t-il ensuite ? La question de son avocat reste sans réponse.
*Tous les noms ont été modifiés.
Référence : AJU169713