La procédure pénale en urgence sanitaire

Publié le 31/03/2020

Face à l’urgence sanitaire, l’ordonnance du 25 mars 2020 apporte de nombreuses modifications aux règles de procédure pénale pour répercuter la réduction de l’activité, en allongeant les délais de prescription, d’audiencement et de détention, ou encore pour éviter les contacts, en facilitant notamment le recours au juge unique ou à la visioconférence, mais aussi pour éviter l’aggravation de la situation en permettant la libération de certains détenus.

Ord. n° 2020-303, 25 mars 2020, portant adaptation de règles de procédure pénale sur le fondement de la loi n° 2020-290 du 23 mars 2020 d’urgence pour faire face à l’épidémie de Covid-19, NOR : NOR:JUSD2008163R : JO, 26 mars 2020

  1. Évoquer l’urgence sanitaire à propos de la justice pénale aurait conduit à penser, il y a quelques semaines encore, à l’état des geôles, locaux de garde à vue et bien sûr des établissements pénitentiaires, tant les conditions de salubrité de certains lieux sont plus que préoccupantes et indignes, pour les personnes qui y sont détenues comme pour celles qui y interviennent. Mais après la loi n° 2020-290 du 23 mars 2020, il ne s’agit plus de prendre en charge l’urgence sanitaire dans laquelle se trouve parfois la justice pénale, mais bien d’adapter les règles de procédure pénale pour faire face à l’épidémie de Covid-19, selon l’intitulé de l’ordonnance n° 2020-303 du 25 mars 2020.
  2. L’objectif de cette ordonnance est clairement affiché, dès son article premier : « Les règles de procédure pénale sont adaptées (…) afin de permettre la continuité de l’activité des juridictions pénales essentielle au maintien de l’ordre public. » Si l’on peut se demander quelle est la normativité de cette disposition, il aurait surtout été plus exact de parler des activités essentielles, au pluriel, afin de les distinguer de celles qui ne le sont pas. Pris au singulier, le terme laisse penser que l’activité des juridictions pénales, dans son entièreté, est essentielle au maintien de l’ordre public, alors même que la situation actuelle doit inévitablement conduire à réduire l’activité des juridictions pénales, comme l’y invitait d’ailleurs la circulaire du 14 mars 2020 1.
  3. Bien au-delà de ces considérations terminologiques, il s’agit avant tout d’étudier les différentes mesures introduites, les dispositifs prévus et les exceptions ajoutées, afin d’adapter les règles de procédure pénale à la situation extraordinaire (au sens littéral) que nous vivons ; ces adaptations sont applicables jusqu’à l’expiration d’un délai d’un mois à compter de la cessation de l’état d’urgence sanitaire. Pour les présenter, l’ordonnance du 25 mars 2020 aborde les différentes étapes de la procédure pénale, en commençant par des dispositions générales, avant de prévoir les règles relatives aux juridictions, celles applicables à la garde à vue, à la détention provisoire et, enfin, à l’exécution des peines 2. Leur analyse révèle alors que certaines de ces mesures visent à répercuter la réduction de l’activité (I), d’autres à traduire la distanciation physique (II), d’autres encore à gérer l’épidémie actuelle (III), tandis que les dernières veulent anticiper ou éviter l’aggravation de la situation sanitaire (IV).

I – Répercuter la réduction de l’activité

  1. Si l’ordonnance prend les mesures permettant de continuer l’activité des juridictions pénales, il est évident que « les mesures prises afin de freiner la propagation du virus Covid-19 et de faire face aux conséquences de l’épidémie vont conduire à fortement réduire l’activité tout au long de la chaîne pénale » 3. Nécessairement, cette réduction de l’activité se traduit et se traduira par un allongement des délais de traitement des demandes et des délais d’audiencement, ce qui implique d’allonger en conséquence le temps procédural (A) et le temps carcéral (B).

A – L’allongement du temps procédural

  1. Suspension des délais de prescription. La première mesure prévue par l’ordonnance du 25 mars 2020 est la suspension des délais de prescription de l’action publique et de prescription de la peine, avec effet rétroactif puisque les délais sont suspendus à compter du 12 mars 2020, et ce jusqu’à l’expiration d’un délai d’un mois à compter de la date de cessation de l’état d’urgence sanitaire 4. Une telle mesure était surtout nécessaire pour les délais brefs prévus en matière de presse. Cela étant, si l’ordonnance prévoit ici une suspension, il n’est pas certain que la situation actuelle soit constitutive d’un obstacle de fait insurmontable rendant impossible la mise en mouvement ou l’exercice de l’action publique 5. Il ne s’agit pas d’ergoter sur les termes, mais d’observer que, malgré la suspension de la prescription, l’action publique peut tout à fait être mise en mouvement et les enquêtes peuvent se poursuivre, ce qui conduirait étrangement à interrompre un délai de prescription pourtant suspendu 6.
  2. Doublement des délais de recours. De façon tout aussi générale, l’ordonnance du 25 mars double tous les délais fixés par le Code de procédure pénale pour l’exercice d’une voie de recours 7, sans qu’ils puissent être inférieurs à 10 jours 8; cet allongement ne concerne toutefois pas le délai de 4 heures du référé-détention de l’article 148-1-1. Ce doublement est sans doute très appréciable pour les justiciables et leurs conseils, mais on remarque, et à la différence des règles prévues pour la procédure civile 9, qu’il ne concerne pas les délais expirés avant le 26 mars 2020. Reste à espérer que les juridictions retiendront dans ces situations l’existence d’un cas de force majeure 10, pour proroger le délai de recours.

Enfin, devant la Cour de cassation, le délai pour déposer un mémoire en défense passe de 1 à 2 mois en matière de détention provisoire, ou à la suite d’une mise en accusation ou d’un renvoi devant le tribunal correctionnel, et de 5 jours à un mois en matière de mandat d’arrêt européen 11.

  1. Allongement des délais pour statuer. Les délais imposés aux juges pour statuer sont également allongés. Il en va ainsi de ceux impartis à la chambre de l’instruction ou à la juridiction de jugement pour statuer sur une demande de mise en liberté, ou sur tout autre recours en matière de détention provisoire ou d’assignation à résidence sous surveillance électronique (ARSE) ; ces délais sont augmentés de 1 mois 12, tout comme ceux impartis à la chambre de l’instruction pour statuer sur les ordonnances de renvoi devant le tribunal correctionnel, de mise en accusation ou d’irresponsabilité pénale pour cause de trouble mental 13.De même, les délais impartis au juge des libertés et de la détention (JLD) pour statuer sur une demande de mise en liberté sont portés de 3 à 6 jours ouvrés 14. Pour les juridictions d’appel, le délai pour statuer sur les décisions du juge de l’application des peines en cas d’appel suspensif du parquet est porté à 4 mois 15. Pour la Cour de cassation, le délai pour statuer sur un pourvoi en matière de détention provisoire, ou à la suite d’une mise en accusation ou d’un renvoi devant le tribunal correctionnel est porté de 3 à 6 mois 16; en matière de mandat d’arrêt européen, le délai est porté de 40 jours à 3 mois 17.

Enfin, s’agissant des mineurs, l’ordonnance du 25 mars 2020 permet seulement de proroger une mesure éducative lorsque l’audience prévue à l’échéance de celle-ci ne peut se tenir : une mesure de placement peut être prorogée, sans audition des parties, pour une durée maximale de 4 mois, les autres mesures peuvent être prolongées pour une durée maximale de 7 mois 18.

B – L’allongement du temps carcéral

  1. Allongement de la détention provisoire au cours ou à l’issue de l’instruction. Toujours afin de tenir compte de la réduction de l’activité, l’ordonnance du 25 mars 2020 allonge les délais maximums de détention provisoire ou d’ARSE, tant au cours de l’instruction qu’à l’issue de celle-ci, dans l’attente de la comparution devant la juridiction de jugement. Ces délais sont prolongés de plein droit de 2 mois, lorsque la peine est inférieure ou égale à 5 ans, de 3 mois pour les autres délits, et de 6 mois en matière criminelle ou pour les affaires correctionnelles devant la cour d’appel 19. De tels allongements répondent sans doute au besoin de souplesse dont ont besoin les juridictions dans la période actuelle et pour la période à venir 20, mais ils se traduisent par un allongement de la détention, ce qui est fort regrettable d’autant plus que le juge n’a pas à intervenir. Certes, il peut ordonner la fin de la mesure, le cas échéant sous contrôle judiciaire ou sous ARSE, mais il aurait été préférable de prévoir un renouvellement exceptionnel, sous le contrôle d’un juge 21, pour être certain que la situation de l’intéressé soit bien prise en compte, ne serait-ce que d’un point de vue sanitaire.
  2. Allongement de la détention provisoire dans l’attente de la comparution. Dans l’attente d’une comparution ne faisant pas suite à une instruction, l’ordonnance allonge les délais d’audiencement, et donc les délais de détention provisoire 22. En matière de comparution immédiate, le délai prévu lorsque la réunion du tribunal est impossible le jour même 23 est porté de 3 à 6 jours ouvrables. En cas de renvoi de l’affaire 24, le délai d’audiencement est porté de 6 à 10 semaines, lorsque les faits sont punis d’une peine inférieure ou égale à 7 ans, et de 4 à 6 mois au-delà ; corrélativement, la durée maximale de la détention provisoire 25 passe de 2 à 4 mois, lorsque les faits sont punis d’une peine inférieure ou égale à 7 ans, et de 4 à 6 mois au-delà. Enfin, le délai d’audiencement devant la chambre des appels correctionnels 26 est porté de 4 à 6 mois, et la détention provisoire est d’autant allongée. En matière de comparution différée 27, le délai d’audiencement et donc la durée maximale de la détention provisoire sont portés de 2 à 4 mois.

À nouveau, l’objectif est sans doute d’introduire une certaine souplesse, mais l’allongement de la détention provisoire est considérable, les délais sont souvent doublés, ce qui risque de conduire à un allongement de la peine prononcée (car il s’agit parfois de « couvrir »). La situation est d’autant plus délicate que, dans le contexte actuel, les prévenus comparaissent souvent sans avocat, l’épidémie étant vue comme une circonstance exceptionnelle permettant de déroger à l’obligation prévue à l’article 395 28.

La procédure pénale en urgence sanitaire
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II – Prévoir la distanciation physique

  1. Pour éviter que le fonctionnement de la justice pénale favorise la propagation du virus, l’ordonnance n° 2020-303 du 25 mars 2020 facilite les échanges à distance, grâce aux « nouvelles » technologies (A), et permet même de supprimer les échanges lorsqu’un tel recours n’est pas possible (B).

A – Le recours à la « télé-justice »

  1. Le recours aux courriers électroniques. Puisqu’il est nécessaire de respecter les règles de confinement en évitant les déplacements, l’ordonnance du 25 mars 2020 prévoit, d’une façon générale, que toutes les demandes et tous les recours peuvent être faits par lettre recommandée avec accusé de réception ; il en va de même pour le dépôt des mémoires et des conclusions 29. Une telle prévision ne règle pas toutes les difficultés, loin s’en faut, puisque l’acheminement du courrier est également ralenti et car certaines juridictions sont fermées. C’est la raison pour laquelle l’ordonnance prévoit également la possibilité d’adresser certaines demandes par courriel : l’appel et le pourvoi en cassation peuvent être formés par courriel 30, tout comme les demandes d’actes au cours de l’instruction. En revanche, le dispositif ne concerne pas les demandes de mise en liberté ou celles relatives au contrôle judiciaire qui doivent donc être adressées par lettre recommandée 31. Il aurait sans doute été heureux de permettre également l’envoi électronique, tout en allongeant les délais pour répondre 32; s’il faut tenir compte de l’encombrement des messageries et de la saturation du réseau privé virtuel, un simple envoi par recommandé risque d’arriver dans une juridiction fermée.
  2. Le recours à la visioconférence ou au téléphone. Afin d’assurer la continuité de l’activité des juridictions pénales, le texte généralise le recours à la visioconférence, pour toutes les audiences, à l’exception des audiences criminelles 33. La mise en œuvre sera toutefois difficile, ne serait-ce qu’en raison du dispositif lui-même, qui ne permet la visioconférence qu’entre lieux de justice, difficilement accessibles aux avocats dans le contexte actuel. L’ordonnance prévoit également la possibilité de recourir à un autre moyen, certes moins nouveau : le téléphone.

L’entretien de la personne gardée à vue et l’assistance de cette dernière au cours des auditions peuvent également se dérouler par l’intermédiaire d’un moyen de communication électronique, y compris téléphonique, dans des conditions garantissant la confidentialité des échanges 34. L’objectif est louable, d’autant que, dans la période actuelle, les personnes gardées à vue bénéficient rarement de l’assistance d’un avocat. Le recours à la visioconférence peut tout de même sembler illusoire, reste alors l’usage du téléphone, qui n’est pas non plus sans soulever certaines difficultés, au-delà de la réelle confidentialité.

B – Le confinement de la justice pénale

  1. L’absence de présentation. Toujours afin d’éviter le risque de contamination, l’ordonnance du 25 mars 2020 permet d’éviter la rencontre physique entre les personnes. Ainsi, pour les gardes à vue des mineurs ou celles d’une durée supérieure à 48 heures, le renouvellement peut avoir lieu sans présentation à un magistrat 35; on aurait pu tout de même prévoir une présentation par visioconférence 36, voire par téléphone.

Dans le même esprit, les décisions du JLD statuant sur la détention provisoire peuvent intervenir au vu des réquisitions écrites du parquet et des observations écrites de la personne ou de son avocat, lorsque la visioconférence n’est pas matériellement possible 37.

Enfin, et suivant la même logique, le juge de l’application des peines et le tribunal de l’application des peines peuvent statuer sur les aménagements de peine sans comparution physique des parties, au vu des réquisitions écrites du parquet et des observations écrites de la personne ou de son avocat 38.

  1. L’absence de réunion. Les mesures de distanciation physique conduisent également à éviter la réunion d’un nombre important de personnes. Pour cela, l’ordonnance du 25 mars 2020 permet au juge de l’application des peines d’accorder la libération sous contrainte de la personne qui dispose d’un hébergement et peut être placée sous le régime de la libération conditionnelle, mais aussi d’accorder des réductions de peine, des permissions de sortir et d’autoriser des sorties sous escortes sans réunir la commission de l’application des peines (CAP), dès lors que le parquet a rendu un avis favorable ; à défaut, le recueil de l’avis des membres de cette commission se fait par écrit et par tout moyen 39. Dans le même esprit, la chambre de l’application des peines peut statuer sans être composée, lorsque cela est exigé, du responsable d’une association de réinsertion des condamnés et du responsable d’une association d’aide aux victimes 40.

Le texte généralise également la possibilité de recourir au huis clos : le président de la juridiction de jugement peut décider, avant l’ouverture de l’audience, que les débats se dérouleront en publicité restreinte, ou, en cas d’impossibilité de garantir les conditions nécessaires à la protection de la santé des personnes présentes, à huis clos ; les jugements peuvent être rendus selon les mêmes modalités 41. Il peut toutefois autoriser la présence des journalistes à l’audience. De la même façon, lorsque la chambre de l’instruction doit statuer en audience publique, elle peut recourir à la publicité restreinte ou au huis clos 42. Enfin, lorsque le JLD doit statuer en audience publique, l’audience peut se tenir en chambre du conseil.

III – Gérer les conséquences de l’épidémie

  1. Le virus circulant sur l’ensemble du territoire, certains des personnels de la justice peuvent être infectés, tandis que d’autres doivent garder leurs enfants durant la fermeture des lieux scolaires, ce qui conduit à prévoir des mesures pour gérer ces absences (A). Au-delà des personnels, les détenus peuvent aussi être atteints par le Covid-19, ce qui suppose de permettre leur quarantaine (B).

A – Les mesures de remplacement des absents

  1. Juridiction empêchée. Afin d’éviter la paralysie de la justice pénale, lorsqu’une juridiction pénale du premier degré est dans l’incapacité totale ou partielle de fonctionner, le premier président de la cour d’appel peut désigner par ordonnance une autre juridiction de même nature dans le ressort de la même cour pour connaître en tout ou partie de l’activité relevant de cette juridiction empêchée 43. Une telle mesure est intéressante, mais l’on devine qu’un tel transfert peut être difficile à organiser, ne serait-ce que du point de vue des autres praticiens ; c’est la raison pour laquelle l’ordonnance ainsi rendue doit être publiée dans deux journaux diffusés dans le ressort de la cour et par toute autre mesure de publicité.
  2. Juge absent. Plus encore que le remplacement d’une juridiction, c’est le remplacement du juge d’instruction qui est facilité par l’ordonnance du 25 mars 2020. La raison d’une telle prévision tient aux difficultés engendrées par son absence lors des demandes de mises en liberté ou de prolongation de la détention provisoire. Dès lors, à la nécessité de réunir l’assemblée générale des magistrats pour procéder à la désignation d’un remplaçant 44, l’ordonnance substitue une simple ordonnance du président du tribunal judiciaire 45; on note que ces modalités sont celles qui existent d’ores et déjà pour le remplacement du JLD absent 46.

B – La mise en quarantaine des détenus

  1. Des affectations facilitées. L’ordonnance du 25 mars 2020 permet par ailleurs de déroger aux règles relatives à l’affectation des personnes privées de liberté. Ainsi, dans le contexte actuel, les personnes placées en détention provisoire peuvent être affectées dans un établissement pour peines 47; de même, les condamnés peuvent être incarcérés en maison d’arrêt, quel que soit le quantum de peine à subir 48.

Plus encore, pour faciliter les affectations, l’ordonnance permet l’incarcération ou le transfert des personnes condamnées ou placées en détention provisoire dans un établissement pénitentiaire, sans l’accord ou l’avis préalable des autorités judiciaires compétentes 49.

  1. Une raison explicitée. Ces dispositions sont explicitement justifiées par la nécessité de fluidifier les affectations à des fins de lutte contre l’épidémie de Covid-19 ; il s’agit ici de pouvoir « prendre les mesures rendues indispensables par les impératifs de santé publique » et « décider de transferts dans un établissement pénitentiaire comportant un quartier de quarantaine ou un quartier pouvant accueillir des détenus atteints d’une pathologie » 50. Le dispositif introduit permet donc de gérer les cas de contagion, nécessité d’autant plus impérative que le jour de la publication de l’ordonnance, un surveillant pénitentiaire est décédé des suites du Covid-19, tandis que la ministre de la Justice annonçait que 10 détenus avaient été testés positifs et 450 autres présenteraient des symptômes. Au-delà des mesures de quarantaine, nombreux sont ceux qui appellent à une libération massive de détenus, afin d’éviter que l’épidémie se propage dans les établissements pénitentiaires.

IV – Anticiper l’aggravation de la situation sanitaire

  1. Adoptée avant le fameux « pic » épidémique, l’ordonnance du 25 mars 2020 entend permettre la mise en œuvre de mesures visant à éviter l’aggravation de la situation sanitaire, en vidant les prisons (A), mais aussi à l’anticiper, en permettant dans un tel cas un renforcement des mesures mises en œuvre (B).

A – La précaution : la décongestion permise des prisons

  1. RPS – Covid-19. Pour gérer la situation au sein des prisons, l’ordonnance permet au juge de l’application des peines d’octroyer aux condamnés écroués pendant la durée de l’état d’urgence sanitaire une réduction supplémentaire de la peine de 2 mois, liée aux circonstances exceptionnelles 51. Le dispositif est général, mais sont toutefois exclues les personnes écrouées pour certaines infractions graves, notamment les faits de terrorisme, les infractions commises au sein du couple, ou les personnes ayant participé à des actes de mutinerie, ou encore les détenus ayant eu un comportement de mise en danger des autres détenus ou du personnel pénitentiaire, au regard des règles imposées par le contexte sanitaire. L’objectif est sans doute d’acheter la paix sociale dans les prisons, en récompensant les personnes écrouées qui respectent les mesures sanitaires, mais ce dispositif peut aussi permettre à certains condamnés de prétendre ensuite à une libération sous confinement ou à une conversion de peine.
  2. Suspension de peine. Pour pouvoir traiter les cas détectés en prison, l’ordonnance du 25 mars permet au juge de l’application des peines d’ordonner la suspension de la peine, dès lors que la personne dispose d’un hébergement et que le reliquat à exécuter est d’un an maximum, quel que soit l’état de santé de la personne 52. Par ailleurs, si la personne doit être hospitalisée, le juge peut suspendre sa peine pour raison de santé, quelle que soit la durée restant à subir 53. Cette première solution conduit ainsi à suspendre certaines peines en cours d’exécution, ce qui signifie que les détenus vont sortir libres, éventuellement soumis à quelques mesures de contrôle, ou hospitalisés, avant de revenir, après l’épidémie, pour exécuter la peine restante.
  3. Libération sous confinement. L’ordonnance du 25 mars 2020 permet également une libération plus « massive » des détenus : le procureur de la République peut libérer les détenus condamnés à une peine d’une durée inférieure ou égale à 5 ans lorsque le reliquat est d’une durée inférieure ou égale à 2 mois ; ces détenus sont assignés à domicile et doivent respecter les conditions du confinement 54. En cas de violation des règles du confinement, le bénéfice de cette libération peut être retiré par le juge de l’application des peines. À nouveau, sont exclues les personnes écrouées pour certaines infractions graves, et à la liste précédemment établie 55 s’ajoutent certaines infractions contre un mineur de 15 ans.
  4. Conversion des peines. Second dispositif, mis cette fois à la disposition du juge de l’application des peines, les peines restant à subir d’une durée égale ou inférieure à 6 mois peuvent être converties en une peine de travail d’intérêt général, de détention à domicile sous surveillance électronique, de jours-amende ou en être assorties d’un sursis probatoire renforcé 56.

Les personnes en toute fin de peine (2 mois au plus) pourront donc être libérées, mais assignées sous confinement, tandis que pour les reliquats plus importants (6 mois au plus), il est possible de convertir la peine. De tels mécanismes semblent plus que nécessaires, pour décongestionner les prisons surchargées et éviter que la promiscuité carcérale n’aggrave la situation sanitaire ; on ne peut que regretter les tergiversations et les oppositions sur ce sujet.

B – La prospective : le renforcement éventuel des mesures

  1. Un mécanisme conditionné. Afin de ne pas figer les mesures introduites, l’ordonnance du 25 mars 2020 introduit d’autres mesures, applicables si les premières ne suffisent pas à assurer « la continuité de l’activité des juridictions pénales essentielle au maintien de l’ordre public ». Si un décret devait, à l’avenir, constater « la persistance d’une crise sanitaire de nature à compromettre le fonctionnement des juridictions malgré la mise en œuvre des autres dispositions de la présente ordonnance » 57, ces nouvelles mesures pourraient alors être mises en œuvre.
  2. Un confinement renforcé. Dans une telle situation de persistance de la crise sanitaire, l’ordonnance prévoit de généraliser, ou presque, le recours au juge unique, sous réserve de l’adoption du décret précité. La chambre de l’instruction pourrait ainsi statuer à juge unique, si la réunion de la formation collégiale est impossible 58. De même, pour les juridictions de jugement, le tribunal correctionnel pourrait statuer à juge unique quelle que soit la nature du délit 59; le tribunal pour enfants pourrait également statuer à juge unique, ce juge devant être un juge des enfants 60. Il en va de même pour la chambre des appels correctionnels ou pour la chambre spéciale des mineurs 61. Enfin, le tribunal de l’application des peines et la chambre de l’application des peines pourraient statuer à juge unique, dans les mêmes conditions. Ces mesures prospectives permettront ainsi d’éviter des situations de blocage qui naîtraient de l’absence de nombreux magistrats.
  3. L’urgence sanitaire, au péril des droits de la défense. Dans l’ensemble, les différentes mesures introduites par l’ordonnance du 25 mars 2020 semblent nécessaires. Nul ne saurait dire qu’il faut imposer la collégialité, accueillir le public et ne pas remplacer les absents. Cela étant, on remarque que certains de ces dispositifs existaient déjà : le recours à la visioconférence est déjà largement permis, surtout pour la détention provisoire, le juge unique en matière correctionnelle a vu sa compétence s’élargir avec la loi du 23 mars 2019, et la dématérialisation de la procédure est déjà en marche. L’adaptation de la procédure pénale à l’urgence sanitaire consiste donc, pour l’essentiel, à généraliser des procédés particuliers, dénoncés en temps normal en ce qu’ils impliquent souvent un affaiblissement des droits de la défense.

Ces droits de la défense sont encore malmenés par d’autres dispositions de l’ordonnance, introduits pour tenir compte des contraintes actuelles et notamment de la pénurie de moyens de protection. Or il aurait sans doute été préférable de disposer du matériel sanitaire pour permettre l’exercice des droits de la défense, plutôt que juger des personnes seules ou d’allonger des délais de détention pour des personnes privées de l’assistance d’un avocat.

Face à cela, la crainte exprimée est celle de la pérennisation de certaines mesures, au-delà de l’urgence sanitaire. S’il est répété que ces mesures n’ont pas vocation à se poursuivre au-delà de la crise actuelle, les lois d’exception sont parfois des laboratoires, expérimentant des mesures qui seront introduites par la suite 62. Certaines pourraient être utiles, notamment la possibilité de demander des actes ou d’exercer des recours par courriel, mais, sans jouer les oracles, si une prochaine réforme devait reprendre certaines des mesures de l’ordonnance, il n’est pas certain qu’elle refuserait de reprendre les mesures affaiblissant les droits de la défense. Si l’urgence sanitaire justifie certaines mesures d’exception, il convient alors d’être vigilant pour l’avenir, car à répéter et à banaliser les états d’urgence, on risque de prendre l’habitude de ces atteintes aux droits et libertés.

Issu de Gazette du Palais – n°13 – page 18

Date de parution : 31/03/2020

Id : GPL377a0

Réf : Gaz. Pal. 31 mars 2020, n° 377a0, p. 18

Notes de bas de pages

  • 1.
    Circ., 14 mars 2020, relative à l’adaptation de l’activité pénale et civile des juridictions aux mesures de prévention et de lutte contre la pandémie Covid-19 qui invite à prioriser les enquêtes de flagrance présentant un fort enjeu en termes d’ordre public.
  • 2.
    Pour un commentaire linéaire, le billet de maître Eolas, « Le confinement de la procédure pénale », https://lext.so/HI8jPl, est bien plus explicite que le rapport relatif à l’ordonnance n° 2020-303 du 25 mars 2020, qui n’est souvent rien de plus que de la paraphrase.
  • 3.
    Circ., 14 mars 2020.
  • 4.
    Ord. n° 2020-303, 25 mars 2020, art. 3.
  • 5.
    CPP, art. 9-3.
  • 6.
    V. pour une juxtaposition, et non une superposition comme y conduit l’ordonnance, des mécanismes de suspension et d’interruption, Cass. crim., 3 avr. 2019, n° 18-84468.
  • 7.
    Ord. n° 2020-303, 25 mars 2020, art. 4.
  • 8.
    Les hypothèses sont rares ; sont ainsi portés à 10 jours le délai de pourvoi de l’article 568-1 pour le mandat d’arrêt européen ou le délai de pourvoi de l’article 764-31 pour la reconnaissance des décisions de probation.
  • 9.
    Ord. n° 2020-306, 25 mars 2020, relative à la prorogation des délais échus pendant la période d’urgence sanitaire et à l’adaptation des procédures pendant cette même période, art. 2 : JO n°0074, 26 mars 2020, texte 9.
  • 10.
    La Cour de cassation a pu admettre la prorogation du délai d’appel si l’appelant justifie de l’existence d’un obstacle invincible assimilable à la force majeure le mettant dans l’impossibilité absolue de respecter le délai (Cass. crim. 13 juill. 1960 : Bull. crim. n° 372), notamment s’il est hospitalisé d’office (Cass. crim., 27 oct. 2004, n° 04-85037).
  • 11.
    Ord. n° 2020-303, 25 mars 2020, art. 20.
  • 12.
    Ord. n° 2020-303, 25 mars 2020, art. 18. La circulaire du 14 mars 2020 avait déjà indiqué que l’épidémie pouvait être regardée comme une circonstance insurmontable, justifiant le non-respect de ces délais.
  • 13.
    Ord. n° 2020-303, 25 mars 2020, art. 18, mod. par Ord. n° 2020-341, 27 mars 2020, art. 4.
  • 14.
    Ord. n° 2020-303, 25 mars 2020, art. 18. Pour les autres décisions, le JLD peut statuer en chambre
  • 15.
    Ord. n° 2020-303, 25 mars 2020, art. 24, dérogeant à CPP, art. 712-14.
  • 16.
    Ord. n° 2020-303, 25 mars 2020, art. 20, dérogeant à CPP, art. 567-2 et CPP, art. 574-1.
  • 17.
    Ord. n° 2020-303, 25 mars 2020, art. 20, dérogeant à CPP, art. 574-2.
  • 18.
    Ord. n° 2020-303, 25 mars 2020, art. 30.
  • 19.
    Ord. n° 2020-303, 25 mars 2020, art. 16. Ces prolongations ne s’appliquent qu’une seule fois et sont applicables aux mineurs de plus de 16 ans s’ils encourent une peine d’au moins 7 ans d’emprisonnement.
  • 20.
    Selon Ord. n° 2020-303, 25 mars 2020, art. 15, ces dispositions sont applicables aux détentions provisoires en cours et à celles débutant entre la date de publication de l’ordonnance et la date de cessation de l’état d’urgence sanitaire.
  • 21.
    D’autant plus que la décision peut être prise en chambre du conseil, v. infra n° 14.
  • 22.
    Ord. n° 2020-303, 25 mars 2020, art. 17.
  • 23.
    CPP, art. 396.
  • 24.
    CPP, art. 397-1.
  • 25.
    CPP, art. 397-3.
  • 26.
    CPP, art. 397-4.
  • 27.
    CPP, art. 397-1-1.
  • 28.
    La circulaire du 14 mars 2020 invitait à privilégier des modes de poursuites « à échéance plus longue ».
  • 29.
    Ord. n° 2020-303, 25 mars 2020, art. 4.
  • 30.
    Les mentions légales doivent figurer dans le courriel ou dans le document joint.
  • 31.
    Ces demandes doivent être adressées au greffier du juge d’instruction, sous peine d’être vue irrecevable (Cass. crim., 1er avr. 2009, n° 09-80056).
  • 32.
    Si le délai de réponse du JLD est doublé (v. supra n° 7), celui du juge d’instruction n’est pas modifié.
  • 33.
    Ord. n° 2020-303, 25 mars 2020, art. 5.
  • 34.
    Ord. n° 2020-303, 25 mars 2020, art. 13.
  • 35.
    Ord. n° 2020-303, 25 mars 2020, art. 14.
  • 36.
    CPP, art. 63, II.
  • 37.
    Ord. n° 2020-303, 25 mars 2020, art. 19. S’il en fait la demande, l’avocat peut présenter des observations orales devant le JLD, le cas échéant par visioconférence, laquelle semble toutefois difficilement réalisable.
  • 38.
    Ord. n° 2020-303, 25 mars 2020, art. 24. À nouveau, s’il en fait la demande, l’avocat peut présenter des observations orales, le cas échéant par visioconférence.
  • 39.
    Ord. n° 2020-303, 25 mars 2020, art. 25, dérogeant à CPP, art. 712-5 et CPP, art. 720.
  • 40.
    Ord. n° 2020-303, 25 mars 2020, art. 11, al. 2. Ces responsables sont présents pour le relèvement de la période de sûreté, la libération conditionnelle ou la suspension de peine.
  • 41.
    Ord. n° 2020-303, 25 mars 2020, art. 7. V. déjà, Circ., 14 mars 2020.
  • 42.
    On note que si la situation devait s’aggraver, ces juridictions pourraient statuer à juge unique, v. infra n° 26.
  • 43.
    Ord. n° 2020-303, 25 mars 2020, art. 6.
  • 44.
    CPP, art. 50.
  • 45.
    Ord. n° 2020-303, 25 mars 2020, art. 12.
  • 46.
    CPP, art. 137-1-1.
  • 47.
    Ord. n° 2020-303, 25 mars 2020, art. 21, dérogeant à CPP, art. 714.
  • 48.
    Ord. n° 2020-303, 25 mars 2020, art. 22, dérogeant à CPP, art. 717.
  • 49.
    Ord. n° 2020-303, 25 mars 2020, art. 23. Il en est rendu compte aux autorités judiciaires qui peuvent modifier les transferts ou y mettre fin.
  • 50.
    Rapport relatif à Ord. n° 2020-303, 25 mars 2020 : JO n°0074, 26 mars, texte 2.
  • 51.
    Ord. n° 2020-303, 25 mars 2020, art. 27. La décision est prise sans consultation de la CAP dès lors que le parquet rend un avis favorable ; à défaut, le juge peut statuer au vu de l’avis écrit des membres de la CAP, recueilli par tout moyen.
  • 52.
    Ord. n° 2020-303, 25 mars 2020, art. 26, dérogeant à CPP, art. 720-1.
  • 53.
    Ord. n° 2020-303, 25 mars 2020, art. 26 ; le dispositif est plus souple que celui de CPP, art. 720-1-1.
  • 54.
    Ord. n° 2020-303, 25 mars 2020, art. 28. La décision est prise sur proposition du directeur du service pénitentiaire d'insertion et de probation et seuls les besoins familiaux, professionnels ou de santé impérieux peuvent justifier une sortie.
  • 55.
    V. supra n° 21.
  • 56.
    Ord. n° 2020-303, 25 mars 2020, art. 29. S’applique ici le dispositif de CPP, art. 747-1.
  • 57.
    Ord. n° 2020-303, 25 mars 2020, art. 8.
  • 58.
    Ord. n° 2020-303, 25 mars 2020, art. 9, I.
  • 59.
    Ord. n° 2020-303, 25 mars 2020, art. 9, II.
  • 60.
    Ord. n° 2020-303, 25 mars 2020, art. 10.
  • 61.
    Ord. n° 2020-303, 25 mars 2020, art. 9, III.
  • 62.
    En témoigne L. n° 2017-1510, 30 oct. 2017, qui a intégré dans le Code de la sécurité intérieure certaines mesures appliquées dans le cadre de l’état d’urgence.
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