Un congrès des notaires international

Publié le 23/07/2019

Tenu pour la première fois en dehors des frontières françaises, c’est logiquement que le Congrès des notaires a choisi pour thématique le droit international privé. L’occasion pour les notaires d’aborder les carences de la matière et de faire une série de propositions au législateur français.

Capitale européenne et berceau de la bande dessinée, Bruxelles était aussi la terre d’accueil du 115e Congrès des notaires de France, entre le 3 et le 5 juin 2019. Avec près de 4 000 participants et de nombreux invités de prestige (parmi lesquelles on peut citer Koen Lenaerts, président de la Cour de justice de l’Union européenne, Thomas Andrieu, directeur des affaires civiles et du Sceau, ou encore Bruno Dalles, président de Tracfin), l’événement a su tenir ses promesses. Outre le fait que le Congrès se déroulait à l’étranger, il s’agissait aussi de la première fois qu’une édition était intégralement consacrée à la matière du droit international privé (DIP). « Le notaire est le point de rencontre entre le droit et la mondialisation », expliquait le Président du Congrès, Me Marc Cagniart dans son discours d’ouverture. Pour le notaire de Paris l’identité notariale fait partie « des ressources tout autant culturelle que juridique » qu’il faut explorer et exploiter, car « l’identité notariale, c’est l’agilité ». Une agilité aujourd’hui indispensable face à l’importance croissante que prend le DIP dans la pratique notariale. Ce point est d’ailleurs souligné par Me Pierre Tarrade, rapporteur général, « Nous aurons de plus en plus à intégrer l’application de la loi étrangère dans le règlement de nos dossiers ou dans les conseils que nous donnerons ». Outre le rapport (1 344 pages envoyés aux offices notariaux français et traduit en anglais — une première là aussi) fruit des deux ans de travaux de recherche par les quatre commissions du Congrès, les trois jours ont été rythmés par la présentation de 13 propositions et recommandations visant à améliorer le DIP et la pratique professionnelle. Débattues et soumises au vote, elles ont toutes été adoptées par les congressistes.

Un droit international privé en évolution

Pour « S’orienter » au sein du DIP, la première commission présidée par Me Caroline Ginglinger Poyard (avec Me Marianne Sevindik pour rapporteur) a d’abord souhaité rappeler les bases de ce droit, à savoir la résolution des conflits de lois : en admettant que plusieurs systèmes juridiques puissent prétendre s’appliquer à une même situation, il faut en effet choisir « la règle de conflit » qui aura droit de s’appliquer. Il s’agissait ensuite de faire une synthèse des évolutions profondes qu’a récemment connues la matière. Car en l’espace de deux à trois décennies le DIP s’est enrichi des conventions de La Haye et des règlements européens, est passé d’un droit jurisprudentiel à un droit écrit et a vu la volonté des parties prendre une véritable importance.

En matière de propositions, la première commission a notamment demandé une codification du droit international privé français qui permettrait de rassembler les règles éparpillées et d’améliorer la sécurité juridique des citoyens ; une généralisation des pouvoirs du consul pour célébrer des mariages mixtes : c’est-à-dire permettre aux citoyens français de se marier avec un étranger devant le consul de France, peu importe le pays de résidence ; et enfin une autorisation de « la clause d’élection de for » dans les divorces et séparation, soit la possibilité d’inclure dans un acte notarié une clause qui définit le juge compétent en cas de litige ou de séparation, là encore pour améliorer la sécurité juridique des citoyens résidants à l’étranger.

L’acte notarié confronté à l’extranéité

«Une fois que l’on sait d’où l’on vient et où l’on va, il faut encore se demander comment on ira », explique Me Pierre Tarrade dans son discours d’ouverture. Et c’est justement la question à laquelle était chargée de répondre la deuxième commission dirigée par Me Jean-Christophe Rega et Me Olivier Lecomte. Plus concrètement il s’agissait d’analyser l’impact des éléments d’extranéité dans la rédaction de l’acte notarié, cœur de la pratique des notaires, et d’adapter l’acte sans pour autant trahir son authenticité. Cette commission a donc travaillé sur les notions d’authenticité au sens de la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE) et de la Cour européenne des droits de l’Homme (CEDH), avant de décomposer chaque étape de l’acte pour y incorporer l’extranéité. Elle a également abordé plusieurs questions de droit fiscal et droit social dans la perspective des activités de conseil du notaire.

Me Jean-Christophe Rega et Me Olivier Lecompte ont porté trois propositions au vote des congressistes. On retrouve en premier lieu une mesure visant à améliorer l’efficacité des mandats d’inaptitude, en assurant l’interconnexion internationale d’un registre français des mandats de protection future. Les volontés des citoyens pourraient ainsi être reconnues et respectées au-delà des frontières. La proposition vise aussi au préalable à la publication en Conseil d’État du décret sur la mise en œuvre et les modalités d’accès dudit registre national, instauré par la loi du 27 décembre 2015. La deuxième proposition souhaite éviter certains cas de doubles impositions qui se présentent en matière de plus-values immobilières ou d’assurances-vie et qui nuisent à l’objectif européen de favoriser la mobilité des personnes. Enfin, la dernière proposition de la commission « rédiger l’acte » souhaite clarifier l’emploi d’une langue étrangère dans l’acte notarié français et ainsi permettre qu’il soit libellé en deux langues. Il comprendrait une partie en français, langue officielle qui continue de faire foi, et une deuxième partie incluant la traduction dans une langue étrangère pour faciliter la circulation et la compréhension de l’acte, comme cela est parfois déjà réalisé dans les décisions de justice.

Une famille mondialisée

L’équipe du Congrès a choisi d’intituler la commission dédiée à la famille « vivre », pour souligner la présence des notaires dans les moments-clés de la vie de leurs clients. Des événements où s’introduisent toujours plus d’éléments internationaux : pour la filiation lors des naissances ou les enjeux liés à la GPA ou PMA, dans la variété des unions et séparations que l’on retrouve à travers le monde ou dans les successions lorsqu’elles se font avec un parent décédé ou un héritier résidant à l’étranger. Me Valérie Marmey-Ravau et Me Frédéric Varin, à la tête de cette troisième commission, ont donc listé les pièges auxquels peuvent être confrontés les notaires dans ces cas particuliers afin de les anticiper au mieux.

Le certificat successoral européen (CSE) a été l’objet de la première proposition, Me Valérie Marmey-Ravau a souligné la façon dont il pouvait être source d’insécurité pour les notaires français dans sa forme actuelle puisqu’il n’est pas un acte authentique. « Très peu sont faits aujourd’hui en raison de ses défauts inhérents alors qu’il pourrait se révéler utile pour les notaires des États membres de l’Europe », détaille la notaire lyonnaise qui lui reproche notamment sa validité réduite à 6 mois et son caractère non obligatoire. Est donc recommandée la création d’un fichier national obligatoire interconnecté aux autres fichiers européens pour un CSE dont on supprimerait toute limitation de durée de validité. La deuxième proposition de la commission famille vise à effectuer des ajustements en droit interne pour l’adapter au récent règlement régimes matrimoniaux et partenariats. Elle recommande la reformulation de l’article 1397-2 du Code civil pour qu’il puisse s’appliquer aux changements de lois applicables ainsi que l’organisation en France de la publicité desdits choix de loi dans les conventions partenariales.

La dernière proposition était chère aux organisateurs du Congrès puisqu’elle portait sur la ratification de la convention de La Haye concernant le trust. Me Frédéric Varin fait remarquer les problèmes que soulève au notaire la démarche d’inscrire un trustee à la publicité foncière « pour éviter tout souci il n’est pas rare de voir des praticiens indiquer le trustee comme légataire universel, ce qui est pourtant contraire à la notion de trust et une dénaturation de son sens ». La convention de La Haye du 1er juillet 1985 portant sur le sujet a pourtant été signée par la France, mais attend toujours sa ratification. Pour le Congrès, cette ratification permettrait aux juges d’accueillir cet outil juridique sur leur territoire et d’améliorer l’activité économique avec des investissements étrangers de la part de trust soumis à des lois étrangères. Si le sujet a provoqué plus de débats dans la salle, il reste largement voté par les congressistes avec 84 % de pour.

Contracter à l’international

Pour la quatrième et dernière commission, Me Antoine Desnuelle et Me Cécile Saint-Cluque-Godest se sont concentrés sur le contrat de vente immobilière, une thématique on ne peut plus familière pour le notaire, avec une nouvelle fois une réflexion qui a pris en compte l’aspect international. Il s’agissait évidemment de réfléchir au financement et aux garanties, mais aussi à la publicité foncière ou aux dispositions impératives en droit international privé.

Pour cela, était proposé d’adapter la rédaction des avant-contrats signés en France qui posent souvent des difficultés dans leur exécution à l’étranger. Les solutions consistent ici à prévoir la signature de promesses unilatérales de vente authentique ainsi que la désignation de la loi applicable dans les contrats que dressent les parties (promesses de vente, actes de vente, etc.). Cette recommandation avait déjà été faite lors du 110e Congrès en 2014, mais n’avait pas été suivie d’effet. Elle pourrait pourtant permettre de prévenir nombre de litiges lorsque la loi applicable n’est pas déterminée avec certitude. Autre proposition : une meilleure identification des dispositions impératives, communément appelées « loi de police », afin que le législateur indique si les dispositifs qu’il fait voter sont des règles impératives ou non. Enfin, la quatrième commission a appelé à ce que la conférence de La Haye organise une convention contenant un titre exécutoire international. Ce nouvel instrument basé sur le titre exécutoire européen (TEE) permettrait de faire exécuter les créances sans procédure judiciaire en dehors de l’Union européenne.

Un 116e congrès parisien

Cette édition bruxelloise s’est conclue par le passage de relais à l’équipe du prochain Congrès qui, de retour dans les contrées françaises, se tiendra à Paris du 4 au 6 juin 2020. Avec à sa présidence Me Jean-Pierre Prohasz, il aura pour thématique la protection. Quatre commissions ont été présentées : la protection des personnes vulnérables, celle des proches, la protection du logement et une dernière consacrée au rôle du notaire dans ces protections.

Compte rendu de ce Congrès avec Marc Cagniart, président du 115e Congrès des notaires de France.

Les Petites Affiches

Comment jugez-vous le déroulement de ce Congrès ?

Marc Cagniart

J’en suis satisfait à plus d’un titre : sur la participation qui a été remarquable, les échanges avec les confrères qui ont été très riches, la qualité des travaux évidemment, ou encore les propositions qui ont toutes été acceptées dont deux à l’unanimité. Ce fut une belle édition avec une organisation impeccable et je pense que tant les congressistes que les exposants sont heureux de la réussite de ce Congrès. Enfin, ce fut une grande joie de voir que les notaires et juristes étrangers ont répondu à l’appel. Suisses, Britanniques, Allemands, Marocains, Italiens… Des confrères de tous les horizons se sont déplacés à Bruxelles. C’était dans la thématique du Congrès et ce fut très enrichissant de les entendre prendre la parole pour témoigner de leur expérience.

LPA

Quelle est la prochaine étape concernant les propositions qui ont été adoptées ?

M. C.

Maintenant commence une autre phase pour nous qui consiste à aller faire vivre ces propositions et à aller les présenter aux décideurs qui ont le pouvoir de les transformer en une réalité juridique. Je pense à la direction des affaires civiles du Sceau, à la conférence de La Haye ou encore à la commission des lois du Sénat.

LPA

Y en a-t-il une ou plusieurs qui ont vocation à être rapidement adoptées ?

M. C.

La proposition de la troisième commission qui consiste à modifier le Code civil pour harmoniser les textes nationaux et européens en matière de régimes matrimoniaux me semble être à même de rapidement connaître des retombées concrètes. Je pense que la Chancellerie ne peut que partager notre conviction sur la nécessité de mettre en phase le Code civil avec les règlements européens sur ces questions. La deuxième proposition qui pourrait se concrétiser assez vite est celle sur le trust : la convention de La Haye avait été signée par la France, mais pas ratifiée. Nous allons nous employer à convaincre l’État français sur ce point, car il n’y a que des bénéfices à en tirer.

LPA

Un moment fort qui vous a marqué à titre personnel durant ces trois jours ?

M. C.

En choisir un seul serait bien compliqué pour moi. Cela peut être juste après le vote de chacune des propositions qui ont été acceptées. Ce sont des moments importants puisque cela représente une reconnaissance du travail accompli et de la qualité de notre présentation. J’en profite pour remercier à nouveau les intervenants extérieurs qui ont animé les débats, master class et tables rondes et ont tous été formidables. Preuve que la thématique internationale est devenue entre-temps incontournable et a attiré au-delà des cénacles notariaux.

LPA

Avez-vous des recommandations pour l’équipe du 116e Congrès à qui vous avez désormais passé le relais ?                                                         

M. C.

J’ai de nombreux amis au sein de cette nouvelle équipe et j’ai une totale confiance en leur talent. Ils auront, j’en suis certain, un très beau succès pour ce futur congrès parisien et je n’ai aucun doute sur la qualité des travaux et des propositions qu’ils présenteront.

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