À la Cité des arts, la CPI sur le banc des accusés
Au mois de décembre dernier, la Cité des arts, à Paris, proposait, à l’occasion des 70 ans du traité de Rome, une réflexion sur la justice pénale internationale. La dernière conférence portait sur les défis de la CPI. Un panel d’intervenants des plus prestigieux avait été réuni pour l’événement. Étaient ainsi présents Patrick Baudouin, avocat en droit international, James Stewart, procureur adjoint de la CPI, Bruno Cotte, ancien président de chambre de la CPI, François Molins, procureur de Paris, François Roux, avocat et ancien chef du bureau de la défense du tribunal spécial pour le Liban. Le débat, modéré par Olivier Leurent, directeur national de l’École de la magistrature, prit quelque peu la forme d’un procès de la Cour pénale internationale. Loin de s’arrêter à une critique du système, la conférence fut aussi l’occasion de proposer des pistes d’amélioration de cette Cour.
La CPI sert-elle vraiment à quelque chose ? La question, certes provocatrice, résumerait assez bien le sentiment qui parcourut l’auditoire de la conférence de clôture du cycle de réflexion sur la justice internationale organisé, par la Cité des arts. Lenteur des procédures, coût, et orientation politique étant, de l’avis de tous les participants, les obstacles majeurs à son efficacité. Autre grief : seuls 123 États ont adhéré au traité de Rome, signé en 1998 pour mettre en place la Cour, et de nombreux pays, comme aujourd’hui la Syrie et le Yémen, échappent à sa compétence.
Premier à prendre la parole, l’avocat Patrick Baudouin, intervenait en tant que voix des victimes. Président d’honneur de la Fédération internationale des Ligues des droits de l’Homme, il est aujourd’hui le coprésident de la coalition française pour la CPI, groupement de 43 associations, ordres et syndicats investis dans la justice pénale internationale. « La Fédération internationale de la LDH, créée en 1922, a très vite milité pour une juridiction internationale, qu’elle a réclamée dès les années 30. C’est dire avec quelle satisfaction nous avons vu naître la CPI », rappela-t-il en préambule. Conscient d’ouvrir un débat qui allait malmener la Cour, il redit ensuite son attachement à l’institution. « Le droit international existe. S’il n’y avait pas de justice internationale pour le mettre en oeuvre, quelque chose manquerait. Il est choquant de penser que le voleur de bicyclette pourrait être poursuivi, mais pas le bourreau ! On est toujours déçu quand on défend les droits humains. Il faut néanmoins voir les avancées, comme le fait que les victimes puissent prendre part au procès de la CPI. Le statut de Rome n’a que vingt ans, c’est très peu. « Supprimerait-on le TGI de Paris parce qu’il n’est pas parfait ? », interrogea-t-il pour désamorcer les critiques faites à l’encontre de l’institution de La Haye. Ces éléments de défense posés, Il souligna néanmoins les limites de la Cour pénale internationale. « La CPI n’aura jamais la possibilité de tout juger, il faut réfléchir à cela. La Cour est complémentaire des juridictions pénales nationales », rappela-t-il. « Sur la torture, on a des possibilités d’actions si un responsable se trouve sur le territoire français. En revanche, sur les crimes contre l’humanité, il y a des verrous qui doivent sauter. Il faut aujourd’hui que le responsable ait sa résidence principale en France pour pouvoir être interpellé par la justice française. C’est une limite insupportable ».
Vint ensuite le tour du Canadien, James Stewart, procureur adjoint de la CPI. Seul participant actuellement en poste à la CPI, il incarnait ce jour-là l’institution mise en cause, et fut son plus fervent défenseur. Il livra son analyse dans un français impeccable. « La compétence des États est le défi le plus important, car pour passer de l’enquête au procès, le suspect doit être arrêté », souligna-t-il, avant de rappeler que si la France fait montre d’une « collaboration exemplaire », tel n’est pas le cas de tous les États signataires. Reconnaissant que la Cour devait augmenter son rendement, il tenta de justifier les raisons de la lenteur de l’institution. « Il y a des questions de coopération, de sécurité, de protection des témoins qui ralentissent les enquêtes », rappela-t-il. Il pointa également une autre difficulté : les pays visés par des enquêtes ont tendance à se retirer du traité comme le fit le Burundi, en 2016, après que la Cour eut annoncé que ce pays allait faire l’objet d’une enquête préliminaire. D’autres États, et non des moindres – les États-Unis, Israël, la Chine ou l’Inde – n’ont jamais adhéré à la CPI. « Il y a une hostilité palpable de certaines grandes puissances ; il nous faut être solidaires et rester fidèles aux principes du traité de Rome », exhorta-t-il.
Ancien président de la deuxième chambre de la CPI, Bruno Cotte prit ensuite la parole. « Nous sommes tous, et moi le premier, terriblement exigeants. Nous attendons tellement de cette Cour que nous ne lui pardonnons pas », prévint-il. Aussitôt cette précaution oratoire prise, il se livra en effet à une vive critique de la juridiction internationale. Sur la « fragilité politique » de la Cour, il alla encore plus loin que ses prédécesseurs à la tribune. « La Cour devrait être saisie de certaines affaires et ne l’est pas ». S’il se dit « très content de voir que la Cour avait annoncé qu’elle allait ouvrir une enquête en Géorgie et en Afghanistan », c’était, sembla-t-il, pour mieux exprimer son scepticisme à ce sujet. « Il faut s’attendre à des chausse-trappes à venir de la part de la Russie et des États-Unis. Le droit de veto du Conseil de sécurité de l’ONU est délirant », dénonça-t-il, précisant que « n’étant plus en fonction, il pouvait se permettre d’être plus cash» que les autres intervenants. Il s’en prit ensuite à la lenteur de la Cour, son défaut majeur selon lui. S’appuyant sur son expérience de six ans comme juge de la CPI, il en détailla les causes, largement procédurales selon lui. « La coexistence de la common law et de la civil law en vigueur à la CPI fait que les juges ont besoin de temps pour intégrer de nouvelles procédures. Nous accueillons des personnes qui viennent de loin, que nous devons mettre à l’aise et à qui nous devons donner le temps de témoigner utilement. Il faut ensuite traduire leurs témoignages en plusieurs langues. Quand un témoin dépose en swahili, il faut par exemple traduire en français pour le juge belge et ensuite en anglais pour l’équipe de défense », témoigna-t-il. Parmi les pistes d’amélioration, il a mentionné l’attitude des juges eux-mêmes. D’après lui, être un bon professionnel ne suffirait pas. « Les juges doivent très vite oublier le pays d’où ils viennent, cesser de se référer à leurs anciennes pratiques et à leurs anciens codes. C’est une remise en cause complète » !
Intervenant à la fin de cette conférence, l’avocat montpelliérain, François Roux, fut sans doute celui qui livra la charge la plus violente contre la CPI. Il alla dans le même sens que Bruno Cotte, pointant lui aussi des questions de procédure. « Pourquoi est-ce que ça ne marche pas ? À cause des procédures accusatoires, qui ont pris trop de place et terrassé l’inquisitoire », trancha-t-il frontalement. « Qui a décidé que la justice internationale devait rouler à gauche », interrogea-t-il provocateur, pour dénoncer la suprématie de la common law anglosaxonne à la CPI, quand les statuts du traité de Rome prévoyaient un mélange des deux traditions. « Le système de common law peut être efficace pour juger des crimes à domicile, mais pas en droit pénal international. Nous sommes confrontés à un problème philosophique », estima-t-il. En plus d’être chronophage, la procédure de common law, qui repose essentiellement sur des témoignages oraux, gênerait selon lui la prise en considération des victimes. « Sans procureur, l’audience devient un combat entre l’avocat de la défense et celui de l’accusation. Comment donner une place aux victimes, au milieu de ces deux titans qui s’affrontent ? ».
Le mot de la fin revint à François Molins, procureur de la République de Paris, qui dans son style sobre et efficace revint sur l’engagement de la France pour la justice pénale internationale. « La France s’est beaucoup investie dans les travaux qui ont abouti au statut de Rome », rappela-t-il avant de préciser que le TGI de Paris collabore efficacement avec la CPI depuis qu’un pôle, créé il y a sept ans, permet d’instruire et de juger des crimes de guerre quand le ressortissant est Français ou pensait trouver refuge sur le sol français. « Paris est la juridiction la plus saisie par la CPI en dehors des pays de commission de crimes », se félicita-t-il, rappelant que quatre procès d’assises et 120 dossiers d’information judiciaire et d’enquête préliminaire ont déjà été réalisées par ce pôle. Il évoqua enfin la possibilité de nouvelles pistes de collaboration. Par exemple, la création du Parquet national antiterroriste, qui pourrait également se pencher sur des crimes contre l’humanité, les deux notions ayant tendance à se confondre avec la montée en puissance de l’organisation État islamique.
Pendant deux heures, l’institution de La Haye fut à la fois malmenée et l’objet de belles déclarations. Ces mots prononcés par François Roux pourraient à eux seuls résumer la teneur de cette conférence : « Nous critiquons cette Cour parce que nous l’aimons et que nous voudrions qu’elle s’améliore vite »…