« À New York j’ai rencontré des avocats et j’ai vu qu’il était possible d’être grand, noir, d’avoir des locks et de porter la robe »
À 31 ans, la verve de l’avocat Mbeko Tabula fait la fierté du barreau de Seine-Saint-Denis (93). Lauréat de la conférence nationale du grand serment en 2019, il en est depuis devenu le premier secrétaire et a vu son mandat prolongé suite à la crise du Covid-19.
Qu’est-ce qui fait d’une personne un bon avocat ? Le sens de la loi, la connaissance des codes, l’esprit de sérieux, l’altruisme et la rigueur. Mais également la culture littéraire, le sens du verbe et du théâtre, soutient Mbeko Tabula, avocat à Montreuil, ville où il est arrivé à l’âge de 7 mois. Animé d’un véritable amour du challenge, le jeune homme de 31 ans, qui a prêté serment en mars 2019, a très vite décidé de se frotter à ses confrères et consœurs dans le cadre de la conférence nationale. Une expérience importante dans sa jeune carrière, et au-delà de sa seule personne, une victoire capitale pour la visibilité des avocats noirs.
Les Petites Affiches : Qu’est ce qui vous a donné le virus de l’avocature ?
Mbeko Tabula : Personne dans ma famille n’est avocat ou vient du monde judiciaire. Cette envie me vient du besoin de se sentir utile, un besoin d’être décisif pour soi et pour les autres. De plus, j’avais une certaine facilité à manier la langue. J’ai choisi le droit pénal car je pense que c’est le contentieux où la plaidoirie a le plus d’importance, surtout dans les dossiers aux assises, dans les dossiers sensibles. C’est à mon sens là où le rôle de l’avocat est le plus nécessaire.
Lorsque j’avais 17 ans, j’ai voyagé aux États-Unis, et à New York, j’ai rencontré des avocats et j’ai vu qu’il était possible d’être grand, noir, d’avoir des locks et de porter la robe. Alors je me suis dit : « Pourquoi ne pas tenter en France ? », car dans l’imaginaire collectif, l’homme noir est soit artiste, soit agent de sécurité, soit sportif. Pour moi, c’était l’occasion de prouver que tout est possible : quand on est noir en France, on n’a pas le droit d’être médiocre.
LPA : D’où vous vient cette passion pour l’art oratoire ?
M.T. : Cela vient d’un déficit de moyens financiers quand j’étais petit. Faute de pouvoir aller en vacances sur des îles paradisiaques, d’acheter des objets derniers cris, on fait avec ce qu’on a : la langue et la littérature. Ce sont elles qui donnent les bons outils pour s’élever dans la société. On ne devient pas un orateur de qualité parce qu’on l’a décrété, mais parce qu’on a travaillé des heures durant dans la solitude, pour développer une culture générale, un sens de la formule, un sens critique, une réalité des enjeux pour prendre la parole et être écouté. Tout cela m’est arrivé assez tôt, à l’école primaire je voulais déjà être délégué, être mis en avant. Je voulais prendre la parole pour un individu, un sujet, une réalité qui méritait d’être défendu. Très tôt, j’ai été attiré par les causes altermondialistes, la décroissance, la remise en cause du système capitaliste. J’ai acheté pas mal d’ouvrages, participé à des manifestations culturelles, j’avais la volonté de comprendre la réalité du système dans lequel nous évoluons pour me faire mon propre avis.
LPA : Pourquoi avez-vous eu envie de vous présenter à la conférence ? L’improvisation ne vous faisait pas peur ?
M.T. : C’est justement pour ça que j’ai participé ; je pense sincèrement que s’il s’était agi d’une lecture de plaidoirie, je ne me serais pas présenté. L’improvisation, c’est maîtriser son stress et montrer qu’on a du coffre, de la culture pour pondre une plaidoirie qui emporte le public. C’est un instant de vérité, de brutalité aussi pour certains candidats peu rompus à l’exercice et habitués à avoir leur boulot prémâché : c’est un moment de vérité, soit tu es à la hauteur et tout le monde le voit, soit tu ne l’es pas et tout le monde le voit aussi. C’était important pour moi de me confronter à mes pairs venus de toute la France, de me comparer et de voir si j’étais à la hauteur ou non.
LPA : Comment vous êtes vous préparé ?
M.T. : J’ai beaucoup lu, d’abord, de beaux textes. Et pour le reste, j’ai eu la chance d’être accompagné par Clothilde Pradere qui vient du monde du spectacle. C’est ma compagne d’oralité : elle m’aide sur la mobilité, la diction, l’interprétation. Je la sollicite depuis deux ou trois ans et elle m’est d’une aide précieuse. La théâtralité fait partie intégrante de notre activité et il faut l’assumer complètement et la valoriser. Sans elle, on ne peut pas susciter de l’empathie, donner envie à autrui de nous croire. C’est important, la voix, l’intonation, l’énergie dans les cordes vocales, le pouvoir des silences, c’est crucial de savoir les utiliser. En écoutant certains confrères, je sais dès les premiers mots si ce sera passionnant ou ennuyeux.
Le premier sujet imposé, envoyé 7 jours avant l’épreuve portait sur la question « Doit-on laisser la nature reprendre ses droits ? ». Nous avions 10 minutes pour présenter notre plaidoirie. Quant à l’épreuve d’impro, mon sujet portait sur l’histoire de France, il fallait défendre une résistante, condamnée à mort par les révolutionnaires. Il fallait également utiliser des mots imposés.
LPA : Vos confrères et consœurs ont-ils été emportés ?
M.T. : C’était jouissif. Quand on va en boîte de nuit ce n’est pas que pour danser, c’est aussi pour se mettre sur son 31, être vu, être désiré, passer un bon moment. La plaidoirie est aussi animé par la volonté de se mettre en scène et de faire passer un bon moment à ceux qui nous écoutent. Pour les clients, les familles, c’est important, pour les confrères et consœurs également. Ils viennent parfois nous remercier, par bienveillance. Certains magistrats aussi, au détour d’un couloir, disent se souvenir d’une formule, d’une expression. L’humain est câblé pour aimer le beau, le bien dit, le bien formulé, on est sensibles à la symétrie… J’essaie de faire en sorte de travailler cela.
LPA : Cette victoire a-t-elle changé votre vie professionnelle ? Quelle fut la réaction de vos pairs au barreau de Seine-Saint-Denis ?
M.T. : J’ai été félicité par le bâtonnier, beaucoup ont aussi manifesté une fierté que ce soit un confrère du département qui ait remporté le concours national. Pour les clients, c’est une jolie carte de visite, ils savent que celui qu’ils vont ou ont sollicité est à l’aise. Et puis, il faut le dire, c’est aussi un petit plaisir personnel et narcissique de se dire qu’on n’est pas mauvais. Cette habileté me pousse à travailler d’arrache-pied pour ne jamais basculer dans une zone de confort. J’essaie d’être dans une logique de progression, il y a toujours une meilleure formule.