« Des vrais salauds, je n’en ai jamais rencontré »

Publié le 12/04/2019

Il est pénaliste, et si son nom n’est pas aussi connu que celui d’Éric Dupont-Moretti et consorts, les combats qu’il eut à mener, ont, pour certains, été très médiatisés, comme ce fut le cas pour l’affaire Grégory ou celle de Tarnac. Jean-Christophe Tymoczko, cinquantenaire à la verve vive et saillante, aime son métier qui le lui rend bien. Sans fausse modestie, il a évoqué ses gloires comme les difficultés du pénaliste lors d’une intervention organisée par les étudiants de l’Elsa (European Law Students Association) à l’université de Nanterre, le 13 mars dernier.

Maître Jean-Christophe Tymoczko, c’est d’abord des lunettes graphiques qui structurent un visage régulier et avenant. Et c’est une voix. Celle d’un plaideur, qui aime prendre l’auditoire comme témoin de son aisance oratoire. Jean-Christophe Tymoczko, 50 ans, est pénaliste, tout simplement car « 100 % de mes dossiers sont des personnes prévenues devant le tribunal correctionnel, soit mises en examen, soit accusées devant la cour d’assises ». Ce soir, il intervient plutôt satisfait – il vient d’obtenir un acquittement, mais reconnaît volontiers ne toujours pas avoir digéré une autre décision de justice, estimant s’être fait « bananer avec une condamnation à vingt ans de réclusion criminelle ». Pas de langue de bois avec lui. « On ne m’appelle pas double pen’ dans le milieu », rassure-t-il, la blague facile. Devant le parterre d’étudiants de Nanterre venus l’écouter lors d’une rencontre organisée par l’Elsa (European Law Students Association), la plus grande association européenne d’étudiants en droit. Il précise bien que pénaliste, « ce n’est pas une spécialité comme pour les médecins ». À ces futurs avocats, il a expliqué que « les clients viendront vous voir par le biais du bouche-à-oreille, par quelques affaires plus médiatiques ou par le biais de « radio prison » », sans doute le moyen le plus sûr d’être démarché.

Des points communs des fiascos judiciaires

L’homme, qui au sein de son cabinet familial, traite, environ, le sort de 100 détenus, a fait ses armes lors de comparutions immédiates, tout comme lors de procès très médiatiques. Sortant du factuel et livrant un point de vue analytique, il est revenu sur le point commun entre plusieurs fiascos judiciaires, dont il a été plus ou moins proche. Tout d’abord, avec quelques mots sur l’affaire Grégory, pour laquelle il est intervenu « à la marge », en 2017. Il découvre, que plus de trente ans après la mort restée mystérieuse du petit Grégory, « les moindres faits et gestes des acteurs de l’affaire ou des enquêteurs étaient encore scrutés » à la loupe. Son client est alors un cousin de Muriel Bolle, la jeune fille qui a accusé son beau-frère, Bernard Laroche, d’avoir enlevé l’enfant, avant de se rétracter. Ce cousin s’est décidé à livrer ce qu’il savait. « Il connaissait bien Muriel Bolle, les époux Jacob. Il s’est dit qu’il allait tout dévoiler. Il est alors entendu par les enquêteurs et donne des éléments concernant la soirée où Muriel Bolle (après ses déclarations, NDLR) a été corrigée par sa famille et est donc revenue sur ses aveux ». Son client, fortement remis en question par les avocats de Muriel Bolle fait appel à ses services. « Même s’il n’était qu’un simple témoin, il était conscient qu’il pourrait être poursuivi pour dénonciation calomnieuse. C’est de cette façon que j’ai été balancé dans un dossier incroyable ».

Cette affaire, « comme toute affaire criminelle, touche chacun d’entre nous par le caractère horrifique du crime commis », mais l’effet en a été décuplé par le fait qu’elle concerne le destin funeste d’un enfant. Citant Me Jacques Vergès, il évoque la force médiatique des faits divers, amas de « sueur, de sperme et de sang ». Mais ce qui, à ses yeux, a fait entrer cette affaire dans les annales judiciaires, c’est « le caractère complètement incompréhensible de la mort de cet enfant ». À ce moment, jeune adolescent, Me Tymoczko se rappelle avoir entendu des informations, presque « en continu », et de façon irresponsable (absence de vérification des sources, révélations d’informations confidentielles…) sur les évolutions de l’affaire, avec le sentiment d’ores et déjà que « cette énigme serait très dure à élucider ». L’avenir lui a donné raison. Drame intrafamilial, corbeau, « deuxième affaire Grégory » avec l’assassinat de Bernard Laroche, soupçonné par le père de Grégogy, mise en examen de la mère de l’enfant, Christine Villemin… Tous les ingrédients étaient réunis pour faire de cette affaire un véritable fiasco, inévitable « quand une affaire est mal orientée dès le début… », allusion à peine voilée aux vicissitudes du très inexpérimenté juge Lambert.

« Il avait pour volonté de trouver un coupable, mais il a commis un nombre d’erreurs suffisant pour en faire un cas d’école si un jour on doit apprendre le métier de magistrat instructeur au sein de l’ENM », estime Me Tymoczko. Son erreur fatale consiste sans conteste à « s’être laissé influencer par les enquêteurs. Il ne faut pas oublier que dans ce dossier, les liens police-gendarmerie étaient conflictuels, avec la guerre des polices. Chacun avait envie de pouvoir enquêter sur un dossier si médiatique. La gendarmerie a été pendant de longs mois compétente, mais le service régional de police judiciaire a exprimé son mécontentement de ne pas être chargé de cette enquête. Étrangement, les gendarmes avaient une vision de l’enquête (pour eux, Bernard Laroche était coupable), et comme par hasard les policiers avaient une autre vision du dossier (C. Villemin était dans leur viseur, ndla) », explique encore l’avocat, afin de montrer le panel des subtilités qui ont contribué à troubler le « petit juge », comme il était surnommé.

Et de citer trois scandales judiciaires, que le pénaliste met sur le même plan : « Grégory, Outreau, Tarnac ». « Si l’on regarde ces trois affaires, on constate des points communs du point de vue des juges. Ces derniers évoluent dans une grande pression liée aux médias », de surcroît quand « l’opinion publique contamine leur enquête, car elle veut un coupable », qu’il s’agisse de la mort d’un enfant, d’un réseau pédophile ou d’une mouvance autonomiste d’extrême gauche considérée comme terroriste. « Les juges sont comme vous et moi. Ils sont parfois puissants, car ils ont la force de la détention provisoire, des investigations, des commissions rogatoires et la capacité à fouiller le moindre détail de la vie d’un suspect. Mais parfois pourtant, ils ne savent pas quoi faire de cette force », a-t-il reconnu, noyés dans une pression médiatique et judiciaire qui les dépasse. Ainsi le juge Lambert, « au lieu d’interroger directement Muriel Bolle à l’issue de sa garde à vue, la laisse retourner dans sa famille pathologique. Or elle a été rossée, et est revenue sur l’ensemble de ses déclarations, mettant hors de cause Bernard Laroche, mais de façon si maladroite que personne n’y a jamais cru ». Les conséquences en cascade seront tragiques. Libéré, Bernard Laroche sera tué par Jean-Marie Villemin d’un coup de chevrotine en pleine poitrine, devant chez lui.

« Ce fiasco judiciaire a continué de bout en bout, avec l’arrivée du juge Simon, qui était un bon juge, mais qui a peu à peu été pris d’une forme de folie, en témoigne un carnet intime retrouvé après sa mort où il écrivait qu’il était comme irradié par le petit Grégory et qu’il se sentait chargé de retrouver le coupable », détaille encore Me Tymoczko, qui, pour se préparer au mieux à l’affaire, a étudié toutes les sources de documentations possibles. « Ce juge se retrouve si fragilisé dans ce dossier, qu’il en a fait un infarctus et finit par lâcher le dossier exsangue ». Mais l’affaire connaît encore de multiples rebondissements, comme avec l’annulation récente de la garde à vue de Muriel Bolle pour des raisons de non-conformité (elle était mineure et sans avocat !), ainsi que celle des époux Jacob. Ainsi, cette affaire a démontré à elle toute seule « la fragilité de cet être seul », expression délicate qui évoque la solitude consubstantielle de la fonction du juge. « On a beau dire, ce n’est pas la cosaisine qui changera la donne du juge d’instruction. Le fait est que, face à la justice, votre sort dépend de la capacité d’un juge à garder la tête froide ou non ».

« L’avocat n’a pas à avoir un rapport à la vérité »

Interrogé classiquement sur son rapport à la vérité, – du moins celle de ses clients – Me Tymoczko a été très clair. « J’estime que l’avocat n’a pas à avoir un rapport à la vérité. Il n’a qu’à défendre la thèse de son client. Rien de plus ! D’abord, je ne suis pas le juge. Eux ont une vérité judiciaire à émettre, qui doit être la vérité, sinon ils prennent le risque de commettre une erreur ». La question de la vérité pose celle, sous-jacente, du rapport qui s’établit entre accusé et avocat. Contrairement à une idée reçue, « nos clients n’ont pas toujours confiance, nous ne sommes pas leurs confesseurs. Il est rare qu’un client me dise « C’est moi ! » avec un gros clin d’œil appuyé ! », a-il lâché, ironique. En revanche, tout est question de cohérence. « Si l’on me demande de défendre une thèse qui n’est pas crédible, c’est la première chose que je dis à mon client. Et éventuellement je peux choisir de ne pas le défendre, car c’est prendre le risque d’aller au casse-pipe, c’est-à-dire de n’obtenir ni acquittement ni relaxe ».

Par ailleurs, même si les éléments sont parfois contre ses clients et contre les apparences, la vérité peut être extrêmement complexe et digne des meilleurs scénarios. Ainsi, le pénaliste met-il en garde contre le poids des rumeurs, parfois délétère, et de citer l’affaire MHD sur laquelle il a travaillé : une rixe entre bandes rivales parisiennes qui se solde par un mort. « On est sur une vision clanique. Le camp d’en face, c’est forcément celui des méchants, même si vous fréquentez la même école, et soutenez le même club de foot ». L’avocat du rappeur MHD affirme le danger des rumeurs. Après cette mort, « on a entendu « C’est lui, c’est le chef. Lui avait une arme ce jour-là, lui avait un couteau » ; souvent l’identification se fait grâce à la famille des victimes qui parlera plus facilement. Parfois, les policiers essaient de faire coïncider les rumeurs et les éléments matériels. Dans cette affaire, j’ai réussi à susciter suffisamment de doutes pour que mon client soit finalement mis en liberté à l’issue de sa mise en examen et placé en détention provisoire sur appel du parquet. Notre système sera bon si on a dix coupables dehors plutôt qu’un innocent en prison », a-t-il réaffirmé. Dans son affaire, « l’identification vidéo n’était pas concluante, le rappeur avait offert des vêtements de la même marque que les siens à tout le quartier… », assure-t-il. Plus que jamais, l’habit ne fait pas le moine pour Jean-Christophe Tymoczko. Notamment quand l’habit prend la forme d’un passé chargé qui pèse dans la balance de la décision. « En général, j’ai des clients qui ont de belles gueules de coupables. J’ai obtenu de belles relaxes et de beaux acquittements de pures crapules… mais dans d’autres dossiers ! Sur des braquages, sur des gens qui avaient braqué des banques, des bijouteries, des relaxes de trafiquants de stup… Mais pas pour ce dossier ! » Tout l’art de l’avocat sera de donner humanité à son client, de le dissocier de faits anciens pour lesquels il a peut-être déjà été condamné, mais qui ne concernent pas nécessairement l’affaire présente. « Votre intuition prend forme au moment où vous arrivez dans une juridiction. On ne peut pas être avocat sans essayer de comprendre l’autre, à savoir, le juge ».

Avant toute chose, la pression du client

« La pression du client est exceptionnelle. Je suis un pénaliste et je fréquente des voyous malgré tout. Ou des petites frappes qui veulent la ramener et m’expliquer la vie. Mais l’ultralibéralisme est passé par là. Aujourd’hui, un jeune délinquant ne paie plus un avocat pour une obligation de moyens, c’est-à-dire faire le maximum pour son client, mais pour une obligation de résultat, ce qui n’est pas du tout la même chose ! Le message c’est : « Vous êtes là pour ma relaxe, mon acquittement ou pour que je sorte de taule ». Si je vous lis les textos que je reçois, ça impressionne. Vous avez intérêt à bien connaître vos clients, car parfois, vous recevez des menaces, dont des menaces de mort. La seule vraie pression, c’est celle du client », lâche Me Tymoczko. Pour lui, il n’existe pas de pression médiatique. « Je connais beaucoup d’avocats très médiatisés. Aucun ne s’est vraiment plaint de cela. Du moins du point de vue des avocats, mais nous l’avons vu, c’est très différent pour les juges. En termes de pression politique pour Tarnac (il était l’avocat de Yildune Levy, la compagne de Julien Coupat, NDLR) lorsque le procès a eu lieu, ce n’était plus le même gouvernement en place. Quant à la pression financière, parfois le client ne veut pas payer », et il n’y a pas grand-chose à faire contre cela, reconnaît-il.

Un avocat engagé

Si Jean-Christophe Tymoczko pratique des tarifs accessibles, c’est un choix assumé. Sans doute les vieux restes d’une famille catholique de gauche. Quand il rentre au barreau en 1992, c’est avant tout pour défendre la veuve et l’orphelin – avant de comprendre qu’il serait amené à « défendre celui qui a tué le mari de la veuve et le père de l’orphelin », dit-il en plaisantant, mais qu’à moitié. Pour autant, il n’a pas renoncé à ses combats, comme celui de lutter judiciairement contre les violences policières. Il a par exemple œuvré dans l’affaire de Villiers-le-Bel de 2007, extrêmement médiatisée en son temps pour avoir été la première révolte urbaine « où des armes létales furent utilisées contre des policiers », signe que le pacte républicain avait été définitivement brisé. À Villiers-le-Bel, le sentiment insupportable que les policiers étaient au-dessus des lois a explosé en une expression de violence incroyable. « En appel, j’ai obtenu l’acquittement de mon client à Nanterre », raconte-t-il, une pointe de fierté dans la voix. Pour mettre fin aux affaires de violences policières (à Villiers, tout est parti de la mort de deux jeunes à scooter, qui auraient été poursuivis par la police en voiture), « l’action citoyenne et la technologie sont essentielles ». Grâce aux téléphones, des images de violences illégitimes peuvent désormais être filmées et servir à démontrer la fausseté des accusations de rébellion.

Quand il est persuadé de l’innocence de ses clients, Me Tymozcko, de son propre aveu, mouille la chemise. « Il m’arrive de me battre des mois ou des années, contre des juges, en étant convaincu qu’ils font fausse route, et finalement d’obtenir gain de cause, pas devant le magistrat instructeur mais devant le tribunal correctionnel ou aux assises. En attendant, quand mon client a fait deux ou trois ans de détention provisoire, il peut être indemnisé grâce à la Commission nationale des réparations des détenus. Ainsi, chaque année, je passe environ, de trois à six fois devant cette Commission. C’est énorme ! J’ai un nombre impressionnant de crapules, qui sont innocents dans notre dossier, donc on les met plus facilement en détention, au vu de leur casier judiciaire », reconnaît-il. Car si l’opinion publique condamne souvent en un éclair, lui garde une forme d’optimisme, ou en tout cas n’a pas été totalement contaminé par la noirceur de ses affaires. « Des vrais salauds, je n’en ai jamais rencontré ou sinon, c’est sur les doigts d’une main que je les compte. Des êtres odieux, violents, cruels, bêtes, ça n’existe pratiquement pas. C’est juste bien pour la télé et les films » ! En parlant de fiction, sa femme, Hannelore Cayre, avocate de formation, est devenue romancière à succès, notamment avec son livre La Daronne (NDLR : v. Slobodansky C., La veuve noire, n° 134d9, LPA 15 fév. 2018). Tant mieux, elle peut ainsi comprendre les affres dans lesquels il est parfois jeté, notamment lors des procès d’assises, qui peuvent durer plusieurs semaines et qu’il définit comme propices au développement du « syndrome de Stockholm ». Dans ces moments-là, il pense, respire, mange « Assises », et n’arrive plus à mener une vie familiale « normale ». D’ailleurs, « les gens qui font du pénal ne sont pas des gens normaux !, lâche-t-il à la dérobée. Il y a forcément un vice dessous, celui du jeu, du cul, de la renommée. Comme disait Robert Badinter, le bon avocat, c’est celui qui porte en lui l’angoisse d’être accusé. Quand ce dernier avait vu Jacques Vergès plaider dans les procès de décolonisation, il a dû voir « le petit métèque qui se défendait lui-même », suppose Jean-Christophe Tymoczko. « Chez moi, il y a sans doute aussi cette angoisse-là »…