Aide juridictionnelle : « Il y a des progrès, à commencer par la concertation » estime Me Antoine Diesbecq, président de l’UNCA

Publié le 11/02/2021

Une dotation portée à 500 millions d’euros pour 2021, une unité de valeur (UV) revalorisée à 34 euros au lieu de 32, la création de l’AJ garantie, telles sont quelques unes des avancées positives intervenues ces dernières semaines en matière d’aide juridictionnelle. Elles sont le fruit de l’action soutenue de la commission accès au droit du CNB. Les explications de Me Antoine Diesbecq, nouveau Président de l’Union nationale des CARPA (UNCA).

Aide juridictionnelle : "Il y a des progrès, à commencer par la concertation" estime Me Antoine Diesbecq, président de l'UNCA

Actu-Juridique : Comment décririez-vous le système CARPA aujourd’hui ?

 Antoine Diesbecq : A la suite des regroupements, on dénombre aujourd’hui 105 Carpa pour les 164 barreaux, mais ces évolutions n’ont pas modifié la structure de base du système Carpa.  La Carpa est étroitement associée à l’Ordre des avocats ; quel que soit son mode d’exercice, l’avocat a toujours fondamentalement un barreau unique d’inscription et ce même avec les possibilités offertes la pluriactivité. L’Ordre constitue donc l’alpha de l’organisation de la profession. Ce rattachement est capital, il faut que l’identification de l’avocat soit parfaite et mise à jour en permanence car de cela découle toute la fiabilité du système pour les maniements de fonds, et la gestion de l’aide juridictionnelle. Nous devons être réactifs pour que l’information de tout changement soit saisie sans délai. L’Unca y joue un rôle clé, et elle est à la croisée de la technique et de la politique de la profession. Elle est en outre une véritable Union fondée sur une communauté d’intérêts.

Actu-Juridique : Le décret du 28 décembre 2020 a modifié en profondeur le système d’indemnisation de l’aide juridictionnelle, notamment en augmentant l’UV. Toutefois, lors de l’assemblée générale de la Conférence des Bâtonniers, la présidente Hélène Fontaine a constaté qu’on restait en dessous des 40 euros recommandés par le rapport Perben…

AD. : En effet, d’une part la dotation augmente à plus de 500 millions d’euros et, d’autre part, le montant de l’unité de valeur passe de 32 à 34 euros. Par ailleurs, et c’est important en termes de gestion, la totalité de la dotation annuelle transite désormais par l’Unca dans un souci de simplicité. Elle augmente certes en valeur absolue, mais les avocats assument de plus en plus de missions, de sorte qu’en réalité cette augmentation doit être analysée mission par mission, mais aussi au regard de l’inflation, même si celle-ci est actuellement faible.  L’Unca alimente le débat entre l’Etat et la profession grâce aux statistiques qu’elle produit chaque année, car la loi lui donne cette mission, ce qui permet aux instances politiques et aux pouvoirs publics d’avoir une vision précise des missions payées, du nombre d’unités de valeur et des montants rétribués. Ces données sont d’ailleurs reprises pour les discussions budgétaires notamment pour l’élaboration de la loi de finances. Ce qui constitue en revanche une vraie augmentation c’est la revalorisation du montant de l’unité de valeur. Incontestablement c’est un progrès, mais qui reste très insuffisant pour les avocats. A l’assemblée générale que vous évoquez, le discours de la présidente a dénoncé des situations inacceptables comme lorsque l’indemnisation de l’avocat ne couvre même pas le coût en carburant de son déplacement.

Actu-Juridique : Pour autant, vous avez l’air de considérer que cette réforme constitue un progrès, pourquoi ?

AD. : Oui, il y a des progrès, à commencer par la concertation. En 2017, quand vous aviez interviewé mon prédécesseur Jean-Claude Barjon, il regrettait que la profession n’ait pas été associée à la rédaction du décret modifiant à l’époque l’aide juridictionnelle en amont. Or cette fois, dès l’origine, la commission accès au droit du CNB, à laquelle participent des membres de la conférence des bâtonniers, du barreau de Paris, des syndicats et de l’Unca, a travaillé en continu avec le chef du bureau de l’aide juridictionnelle à la Chancellerie, monsieur Jean-Regis Catta, pour élaborer des textes qui tiennent compte des impératifs de chacun et améliorent vraiment les choses.

Première évolution positive pour les Carpa, elles reçoivent une dotation unique qu’elles ventilent selon les besoins de rétributions entre toutes les aides qui composent l’aide juridique.

Deuxième évolution significative : la totalité de la dotation transite par un compte spécial ouvert par l’Unca qui la reverse aux Carpa sur la base de l’arrêté ministériel unique qui ventile la dotation par barreau. Cette confiance des pouvoirs publics en notre capacité de gestion a eu un précédent avec les timbres de 35 euros, puis les recettes extrabudgétaires dont nous assurions la gestion avec le conseil national des barreaux. Pour être concret, nous estimons chaque mois en amont avec le Sadjav les besoins des Carpa afin d’éviter toute rupture de dotation et permettre la rétribution sans à coup des avocats ayant effectué des missions. Et pour illustrer l’efficacité du processus résultant de l’application de la loi de finances de 2021, deux heures après la constatation sur le compte bancaire spécial, de l’encaissement de la provision initiale de 154 millions d’euros versée par le ministère de la justice, l’Unca a validé tous les virements au profit des Carpa, puis transmis à ces dernières les avis de versements des sommes allouées ; les premières Carpa nous accusaient réception dès la fin de journée. Toutes ces opérations étant réalisées dans le respect d’une procédure très sécurisée s’agissant de fonds d’Etat. Nous avons également prévu avec le ministère de la Justice un versement tous les 3 à 4 mois, mais si nécessaire nous pouvons allouer une somme intermédiaire en cas de besoin, par exemple un procès hors norme générateur d’un nombre exceptionnel de missions. Grâce aux données sur l’utilisation des fonds que nous adressent chaque jour les Carpa, nous connaissons quasiment en temps réel les consommations.

Actu-Juridique : La loi de finances 2021 a créé l’aide juridictionnelle garantie. De quoi s’agit-il ?

AD : C’est l’une des nombreuses améliorations de l’aide juridictionnelle contenues dans la loi de finances. Elle répond à une demande de la commission accès au droit du CNB. Il arrivait souvent qu’au titre d’une commission d’office, l’avocat exécute sa mission puis que le bureau d’aide juridictionnelle rejette finalement le dossier car le justiciable n’était pas éligible à l’AJ sans que l’avocat puisse percevoir d’honoraires de la personne assistée. L’avocat n’était donc pas payé, ce qui est bien entendu inadmissible.  L’article 234 de la loi de finances crée un article 19-1 dans la loi de 1991 prévoyant que pour certaines missions listées, l’avocat commis d’office qui n’aura pas pu obtenir de son client un honoraire pourra solliciter l’AJ garantie et donc être rémunéré.   Sa Carpa sera autorisée à payer l’avocat dans le respect des conditions qui seront prévues par un décret à venir, ce qui constitue à nouveau une importante marque de confiance de la part des pouvoirs publics quant à la capacité de la profession à gérer l’aide juridictionnelle. Dès que le dispositif sera connu, et il est attendu pour le printemps, nous pourrons mettre le système en œuvre.

Il faut signaler aussi que, outre la revalorisation de l’unité de valeur, la commission du CNB a réalisé un travail de fond pour qu’un grand nombre de missions, en particulier pénales, soient revalorisées en ce qui concerne le nombre d’UV (voir tableau) à effet du 1erjanvier 2021.   J’ai conscience que certains de nos confrères ont pu trouver trop long le temps de la mise à jour du logiciel pour le paiement des missions d’aide juridictionnelle dont la date de décision ou de l’attestation de mission était sur 2021, étant rappelé cependant que toutes les missions 2020 pouvaient être traitées sans attendre. Il faut savoir que nous anticipons les développements informatiques, que l’Unca dispose en interne de ces propres équipes informatiques, mais qu’il ne s’agit pas seulement de modifier des valeurs.

Tableau AJ 2021 (1)

 

Tableau AJ 2021 (2)

Tableau AJ 2021 (3)
Missions revalorisées en 2021

Les évolutions législatives et réglementaires ont conduit l’Unca à suivre processus suivant :

*2020 – novembre – Projet de loi de finances et projet de décret

    • Rédaction des spécifications fonctionnelles et mesure d’impacts sur les logiciels
    • Discussion avec le Sadjav (ministère de la Justice)
    • Ajustement des spécifications puis transmission à l’équipe de développement
    • Développements sous réserve de la publication des textes

28 et 29 décembre – Publication de la loi de finances et du décret

* 2021 – janvier Vérification avec les spécifications et ajustements

    • Adaptation des développements
    • Fin des développements
    • Recette du bon fonctionnement et de l’absence de régression par rapport à l’existant
    • Intégration dans le système d’information des Carpa pour la mise en production
    • Vérification de la bonne propagation des informations pour le suivi de la consommation des crédits
    • Rédaction de la documentation
    • Déploiement en Carpa

 

Nous devons en effet nous assurer qu’il n’y aura aucune régression et que tout le système y compris la reddition des fonds au ministère de la justice est bien conforme aux textes. Nous avons aussi grâce à une convergence des textes et en relation avec le Sadjav, fait bénéficier la Carpa du barreau de la Nouvelle Calédonie de nos logiciels pour tout ce qui relève du régalien à l’exclusion notable de ce qui est régi par des règles particulières propres au Territoire.

Actu-Juridique : S’agissant de la revalorisation des missions justement, la Chancellerie semble vouloir encourager la médiation…

AD : En effet. En matière de médiation, l’indemnisation passe de 4 à 12 UV dans l’objectif affiché de favoriser les modes alternatifs de règlements des contentieux. C’est un signal fort adressé aux avocats pour leur dire : l’accord entre les parties vaut plus qu’un jugement. On voit ici que le niveau d’indemnisation constitue un levier d’orientation de la politique judiciaire. C’est la reconnaissance d’une révolution sociétale du rôle de l’avocat : il n’est plus seulement celui qui plaide, mais aussi celui qui accompagne le justiciable dans une démarche de pacification de son dossier.

Une autre évolution va dans le même sens. Jusqu’à présent lorsque les pourparlers transactionnels échouaient, l’avocat devait solliciter l’arbitrage du président du bureau d’aide juridictionnelle qui accordait une rétribution comprise entre 50 et 75% de la rémunération qui aurait été due en cas de succès. Si l’avocat continuait ensuite à suivre le dossier en phase contentieuse, il ne percevait que la différence entre le montant dû au titre du contentieux et ce qu’il avait déjà touché. Pour l’avenir, et dès la publication du dispositif réglementaire, en cas d’échec, l’avocat percevra toujours une fraction de la mission comprise entre de 50 à 75%, mais ensuite il aura droit à 100% de l’indemnité pour le travail contentieux, là encore les Carpa assureront la régularité des paiements.

Actu-Juridique : La loi de finances 2020 a modifié les critères d’attribution de l’aide juridictionnelle qui ne reposent plus sur le salaire mais sur le revenu fiscal de référence. Quel impact pensez-vous que la mesure, entrée en vigueur cette année, aura sur le nombre de bénéficiaires ?

AD : Il est difficile d’évaluer les conséquences de cette modification qui va dans le sens d’une rationalisation. Ce que l’on peut dire c’est que la réforme est liée à la création du SIAJ (système d’information de l’aide juridique) qui va permettre la dématérialisation des demandes d’admission et améliorer les outils dont disposent les bureaux d’aide juridictionnelle. L’objectif est d’accélérer et de simplifier les demandes d’aide juridictionnelle. Cela permettra au justiciable de faire sa demande d’aide juridictionnelle en ligne en allant directement récupérer le revenu fiscal de référence é Il sera toujours possible de faire cette demande selon les voies habituelles. Nous sommes parties prenantes puisque le SIAJ sera interconnecté avec les Carpa et l’Unca.

Actu-Juridique : D’une manière générale, on a le sentiment que l’Etat est dans une logique de coopération avec les CARPA. Est-ce réellement le cas  ?

 AD : L’Unca dans son rôle, et nous tenons à rester dans cette sphère, accomplit un travail de proximité depuis près de trente ans avec le ministère de la Justice pour mettre en œuvre les décisions politiques issues des concertations avec nos instances représentatives. Cette coopération repose également sur le statut des Carpa dont la loi du 17 juin 2020 dans son article 58 reconnait leur mission de service public. C’est une reconnaissance implicite du fait que nous sommes des partenaires dans la gestion de l’aide juridictionnelle et non des quémandeurs d’indemnités.  C’est un progrès significatif, cela ne nuit pas à la nécessaire conflictualité qu’il faut maintenir entre l’avocat et l’Etat qui en sa qualité de défenseur dans le procès pénal, est nécessairement en conflit avec l’Etat. Mais ce rôle ne doit pas nous empêcher, sur le terrain économique, et en tant que profession, d’être des partenaires responsables, y compris des partenaires en droit de demander à être plus justement rémunérés pour leur travail.

On voit apparaitre la même évolution concernant le rôle des Carpa dans le contrôle des maniements de fonds. Depuis le 12 février 2020 elles sont assujetties à l’obligation de vigilance et de déclaration de soupçon et donc parties, certes obligées, mais parties prenantes de la lutte contre le blanchiment des capitaux et le financement du terrorisme. On peut voir cet assujettissement comme une contrainte, mais aussi comme une invitation à entrer dans un combat de société dans lequel les avocats peuvent se reconnaitre. La contradiction avec le fait que l’avocat peut être amené à défendre une personne poursuivie pour le délit blanchiment n’est qu’apparente. En réalité, nous sommes dans deux registres différents, d’un côté celui du rôle de l’avocat assistant le justiciable, de l’autre celui d’une profession partenaire de l’Etat dans son combat pour société plus juste et plus transparente. Nous pouvons et nous devons assumer ces deux rôles.