Eric Dupond-Moretti entend poursuivre les travaux sur l’avocat en entreprise

Publié le 01/02/2021

Le ministre de la justice s’est exprimé à l’assemblée générale de la Conférence des bâtonniers vendredi 29 janvier. Malgré l’opposition sans ambiguïté de son ancienne profession au projet d’avocat en entreprise, Eric Dupond-Moretti refuse d’enterrer la discussion.

« L’impossibilité de l’avocat d’exercer en entreprise entrave le développement économique de la France » assène Eric Dupond-Moretti devant un parterre de bâtonniers hostiles à la mesure vendredi 29 janvier. Personne ne proteste, mais l’ambiance est tendue. Présent dans la salle, Marc Mossé, le président de l’AFJE,  doit sourire d’aise sous son masque. Bien que le sujet de l’avocat en entreprise soit sur le tapis depuis plus de 30 ans, les avocats continuent de s’y opposer au nom de l’indépendance, peut-être pas dans d’aussi fortes proportions qu’à certaines époques,  mais de manière sans doute plus radicale. Mais Marc Mossé veut quand même y croire parce que, pense-t-il, personne ne peut s’opposer longtemps à l’intérêt des entreprises, surtout en temps de crise. Or, le garde des sceaux vient de publiquement confirmer son intention de continuer d’y travailler en invoquant précisément l’argument de la compétitivité des entreprises françaises.

Hélène Fontaine : « Nous ne voulons pas d’un sous-avocat »

Eric Dupond-Moretti entend poursuivre les travaux sur l’avocat en entreprise
Hélène Fontaine s’adresse aux bâtonniers juste avant l’intervention du garde des sceaux (Photo : ©P. Cluzeau)

Ce n’est pourtant pas faute pour Hélène Fontaine, la présidente de la conférence des Bâtonniers, d’avoir rappelé avec fermeté quelques minutes auparavant les nombreux arguments contre : «  nous ne voulons pas d’un sous avocat, d’un avocat diminué, d’un barreau à 2 vitesses, d’un secret professionnel bafoué, d’une déontologie au rabais ». C’est un non ancien, profond, presque minéral à force.  « Pourquoi, Monsieur le garde des Sceaux, nous imposer un sujet que vous savez clivant pour la profession dans un laps de temps aussi court et dans le cadre d’une expérimentation pour tenter de le rendre acceptable ? interroge la présidente.  Nous n’avons rien demandé. Le rapport Perben l’a écarté. Une expérimentation qui dure cinq ans n’est plus une expérimentation ».

Ce n’est pas la seule contrariété que le ministre a décidé ce jour-là d’infliger à ses anciens confrères.  Il n’y aura pas d’acte d’avocat exécutoire, a-t-il annoncé. « L’avocat ne pourra pas apposer lui-même la formule exécutoire, non seulement ce n’est pas son office mais le Conseil constitutionnel ne le permettrait pas car c’est une prérogative de personne publique, explique Eric Dupond-Moretti.  Les avocats bien sûr participent au service public de la justice, mais ils ne sont pas chargés d’une mission de service public ». En revanche le ministre s’est dit prêt à rechercher des voies plus rapides et plus simples que l’homologation judiciaire, qui, a-t-il convenu, n’était pas toujours nécessaire. 

Pas de réforme des décrets Magendie, c’est trop tôt

Il n’engagera pas non plus la réforme des décrets Magendie réclamée par la présidente Hélène Fontaine. Le ministre rappelle en effet que les textes datent de 2017 et qu’il faut attendre d’en dresser le bilan avant d’engager une nouvelle réforme. Les avocats seront les derniers à lui reprocher de vouloir réfléchir avant de réformer, cependant sur ce sujet, ils ont amplement eu le temps de dresser un bilan,  comme l’a rappelé Hélène Fontaine avec force :

« Sous prétexte d’accélérer la procédure d’appel, ces décrets ont imposé aux parties des délais très stricts et strictement sanctionnés par les cours d’appel. Les avocats, qui n’auraient pas accompli les actes de la procédure dans les délais impartis, engagent de plus en plus leur responsabilité alors que les cours d’appel ne sont pas dans la capacité de juger les affaires qui sont prêtes à l’être. Caducité, irrecevabilité, hantent les nuits de nos confrères qui ne déméritent en rien quant à leur sérieux. Il est absolument nécessaire de revoir cette question ».

En revanche le ministre convient qu’il faut actualiser l’évaluation réalisée en 2019, a fortiori en raison des changements intervenus depuis, qu’il s’agisse de la crise sanitaire ou de la réforme de procédure civile.

Intégrer le secret professionnel dans l’article préliminaire du CPP sur les droits fondamentaux

Pour le reste, Eric Dupond-Moretti a annoncé trois chantiers, en vue de rendre la justice « plus proche, plus efficace, plus accessible, plus transparente ».

Ils porteront sur :

*« l’enquête préliminaire qui devient trop souvent éternelle »,

*le secret professionnel de l’avocat sur lequel il entend « apporter de véritables améliorations »,

*les Cour d’assises. 

Eric Dupond-Moretti entend poursuivre les travaux sur l’avocat en entreprise
Le discours de la présidente est très applaudi, y compris par le ministre. (Photo : ©P. Cluzeau)

Concernant le secret précisément, Hélène Fontaine y a consacré une importante partie de son discours :

« Il n’est pas normal qu’un avocat, soit convoqué devant un juge ou un officier de police judiciaire pour s’expliquer sur des actes métiers sans être accompagné de son bâtonnier et sans pouvoir opposer le secret professionnel. Il n’est pas normal que la violation du secret professionnel soit sur-pénalisée par un texte qui, dans certaines situations, peut aller jusqu’à cinq ans d’emprisonnement avec risque de détention provisoire pour l’avocat. Il n’est pas normal, qu’un avocat intervenant dans le domaine fiscal soit dans l’obligation de dénoncer son client ou de révéler ses conseils, et risque d’être jugé pour des faits de fraude fiscale au même titre que son client.  Il n’est pas normal, non plus, que des avocats soient écoutés, géolocalisés, tracés, avec des techniques d’enquête beaucoup plus proches de techniques de renseignements que d’enquêtes proportionnées aux faits que l’on veut poursuivre ou instruire ».

Pas d’audition d’un avocat chez un juge d’instruction sans bâtonnier

La Conférence des bâtonniers a des propositions concrètes à transmettre au ministère sur ce sujet. 

Elle demande que soit intégré dans l’article préliminaire du Code de procédure pénale sur les droits fondamentaux, le principe selon lequel :

« Aucune personne ne peut être poursuivie ou condamnée pour des propos qu’elle aura échangés avec son avocat dans le cadre de la défense de ses droits ».

La Conférence réclame aussi que l’on modifie le Code de procédure pénale (CPP) pour prévoir que : 

*Lorsqu’un avocat est convoqué pour être entendu par un juge d’instruction, son bâtonnier doit être immédiatement prévenu. Son bâtonnier doit aussi pouvoir l’assister dans cette audition dès lors qu’elle se rattache à l’exercice de son métier.

*La décision du juge des libertés sur l’opposition à saisie de pièces du bâtonnier doit être susceptible d’un recours immédiat, devant une juridiction d’appel, sous contrôle de la Cour de cassation.

*Lorsqu’un bâtonnier est prévenu d’une écoute téléphonique sur un cabinet d’avocat, il doit être en capacité de former un recours contre cette décision de mise sur écoute, devant un juge. La décision de ce juge doit aussi être susceptible d’appel.

« Il faut en finir avec cette sur-pénalisation des violations du secret professionnel de l’avocat et redonner aux bâtonniers et aux conseils de discipline la compétence qu’ils n’auraient jamais dû perdre sur ces questions au profit des juridictions pénales. Car il n’y a pas de défense sans défense de la défense ».

Erci Dupond-Moretti à AG 2021 de la conférence des bâtonniers
Eric Dupond-Moretti s’exprime pour la première fois devant l’assemblée générale de la Conférence des bâtonniers. Un examen de passage souvent difficile pour un garde des sceaux dont il s’est acquitté sans heurts mais sans susciter non plus un enthousiasme débordant dans la salle (Photo : ©P. Cluzeau)

Le ministre a annoncé une réforme  des règles du remboursement de frais des parties devant le juge : «  les justiciables sont souvent déçus des sommes prononcées par les juges au titre des frais d’avocat, un texte est en cours d’élaboration, les juridictions pourront allouer la somme couvrant l’intégralité des frais d’avocat ». 

Concernant le montant de l’aide juridictionnelle, l’unité de valeur servant de base à l’indemnisation est passée de de 32 à 34 euros mais, a rappelé Hélène Fontaine,  le rapport Perben demandait 40 euros. « Nous serons attentifs à la prochaine loi de finances » a précisé la présidente, avant de rappeler que le rapport de KPMG (réalisé en 2016 à la demande de la Conférence) sur le sujet avait démontré qu’« à l’heure actuelle et depuis des décennies les avocats travaillent à perte ». Une référence sur laquelle il convient de s’appuyer, estime-t-elle. Le ministre quant à lui s’est borné à souligner l’effort déjà accompli pour passer à 34 euros.  

Eric Dupond-Moretti, ancien avocat

Reste la crise sanitaire, Hélène Fontaine a exprimé l’espoir des bâtonniers que la justice continue de fonctionner  en cas de nouveau confinement ; le ministre a dit qu’il s’y emploierait, mais on a compris qu’il n’était pas décisionnaire. Quant à autoriser les avocats à recevoir leurs clients passé 18 heures, il a balayé la demande, estimant la mesure inutile. 

Le plus troublant dans cette rentrée n’est pas qu’elle se se soit déroulée ailleurs que rue de Castiglione, lieu historique de l’assemblée depuis plusieurs décennies. Ni que le fameux déjeuner sous les ors de l’hôtel Westin (ancien Intercontinental) ait été annulé. Ce n’est même pas que l’on ait dérogé à la tradition immémoriale du discours du ministre en fin de matinée sous l’oeil de centaines de bâtonniers. Non, le plus déstabilisant a été de voir Eric Dupond-Moretti, qui a incarné sans doute plus que tout autre pendant des années l’essence de la profession de pénaliste, parler soudain de ce métier de loin, en le surplombant, presque comme un étranger.

En parler comme un politique, en somme….

Eric Dupond-Moretti entend poursuivre les travaux sur l’avocat en entreprise
Lors de son allocution, la présidente a évoqué la situation de Nasrin Sotoudeh « Grâce à l’appui sans faille d’une profession unie, Nasrin Sotoudeh a pu être libérée pour raison de santé avant d’être de nouveau incarcérée. Nous avons pesé dans cette décision et nous pouvons en être fiers. Nous poursuivrons cette mobilisation à son soutien (…) (photo : ©P. Cluzeau)
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