Le barreau de Paris écarté des négociations de l’aide juridictionnelle

Publié le 05/10/2016

Sans en avoir été averti, le barreau de Paris a été écarté des négociations concernant l’aide juridictionnelle, actuellement menées par le ministère de la Justice. Frédéric Sicard, bâtonnier de Paris, a annoncé en conséquence ne pas cautionner un futur accord entre la Chancellerie et le seul Conseil national des barreaux.

Le sujet de l’aide juridictionnelle reste particulièrement délicat chez les avocats. Déjà en octobre 2015, son projet de réforme porté par le ministère de la Justice avait abouti à l’un des plus importants mouvements qu’ait connu la profession. Sur les 162 barreaux de France, 156 étaient entrés dans une grève partielle ou totale de l’aide juridictionnelle durant trois semaines. C’était notamment la question des Caisses des règlements pécuniaires des avocats (CARPA) – et le projet de les ponctionner pour financer l’aide juridictionnelle – qui avait fait brûler le torchon avec Christiane Taubira. Même si le projet de taxe des CARPA a rapidement été abandonné par l’ancienne garde des Sceaux, la profession avait maintenu le mouvement en demandant une revalorisation des unités de valeur (UV) et une refonte complète de l’aide juridictionnelle. La mobilisation avait abouti à trouver un accord le 28 octobre 2015, avec à la clé une convention tripartite signée par la Chancellerie, le Conseil national des barreaux (CNB), la Conférence des bâtonniers et le bâtonnier de Paris. Le document stipulait notamment l’abandon du prélèvement sur les fonds CARPA, la revalorisation des UV, mais aussi la prolongation des discussions entre la profession et le ministère pour rechercher « les conditions d’un meilleur accès au droit ». La surprise a donc été grande pour le barreau de Paris, en apprenant mi-septembre avoir été écartée des négociations pendant l’été.

Simple maladresse ou volonté de créer des divisions entre les barreaux de Paris et de province ? Pas de réponse du côté de la Chancellerie. En attendant, Frédéric Sicard, bâtonnier de Paris, ne décolère pas et annonce qu’il ne saurait cautionner les propositions actuelles du ministère de la Justice.

Les Petites Affiches – Comment avez-vous appris que le barreau de Paris n’était plus partie prenante des négociations sur l’aide juridictionnelle ?

Frédéric Sicard – Très simplement : je siège de droit au bureau du Conseil national des barreaux. Le point était à l’ordre du jour de l’assemblée générale et j’ai donc appris en même temps qu’il y avait eu des négociations où nous n’étions pas conviés et la teneur de cesdites négociations. Je dois dire avoir été particulièrement surpris, je pense que c’est une énorme sottise des services du ministère. Pour ma part, je n’ai jamais contesté la primauté du Conseil national des barreaux, mais je ne pense pas que ce dernier ait l’exclusivité pour mener les négociations. D’ailleurs le protocole d’accord signé en octobre 2015 concernait à la fois le CNB, la Conférence des bâtonniers et l’Ordre parisien. Et c’est logique : sur l’aide juridictionnelle, il y a 30 millions € de frais de gestion qui sont pris en charge par les bâtonniers. Nous nous étions substitués aux pouvoirs publics pour soulager le travail des magistrats qui ont bien d’autres tâches. Arriver à négocier des problèmes d’aide juridictionnelle sans les bâtonniers, c’est juste une absurdité totale. Le choix du ministère d’opérer dans ce sens condamne par avance la négociation en cours.

LPA – Est-ce que vous jugez que le Conseil national des barreaux n’est pas apte à mener seul les négociations ?

F. S. – Il ne peut y avoir d’engagement valable de la profession sous la seule signature du CNB. De toute façon, personne ne peut accepter les propositions qui sont faites. Le ministère de la Justice souhaite entériner la situation actuelle. En comparaison d’un Albanais, un Français consacre 35 % de moins d’impôt pour l’aide juridictionnelle. Ce projet ne règle pas le problème, mais force est de constater que Bercy est à nouveau aux commandes. Nous aurions probablement dû négocier avec un conseiller spécial du ministère de l’Économie puisque la place Vendôme, en plus de ne pas négocier avec les bonnes personnes, n’a manifestement pas son mot à dire ! Nous allons droit dans le mur et je ne peux que faire ce constat : le président François Hollande ne doit certainement pas compter se présenter aux élections de 2017 puisqu’il a manifestement l’intention de se fâcher avec ses électeurs.

LPA – Le montant de l’unité de valeur proposé par la Chancellerie est de l’ordre de 32 €, vous le jugez insuffisant ?

F. S. – Ce n’est que partiellement vrai. Si la Chancellerie a proposé de monter l’UV à 32 €, elle propose de descendre le cœfficient multiplicateur. En prenant l’exemple d’un divorce qui serait indemnisé aux alentours de 800 €, on perd 100 € avec le calcul du ministère. On sacrifie ainsi deux matières principales pour les Français, qui sont le divorce et les prud’hommes. Le Parlement et le Gouvernement ont alourdi les charges en matière d’aide juridictionnelle, mais ne veulent pas y mettre le budget correspondant.

Comme d’habitude Bercy rabote des budgets vitaux, une tradition acquise au cours de décennies de technocratie démocratique. J’appelle ça mépriser le droit à la justice des Français. C’est tout de même étonnant de se dire que la 5e puissance économique mondiale ne consacre que 0,22 % de son PIB à la justice (8,2 milliards € en 2016, soit 72 € par habitant), ce qui la relègue à la 23e place sur 28 en Europe ! ».

LPA – Comptez-vous relancer des actions pour protester contre la tournure des événements ?

F. S. – Ce ne sont pas nos actions qui vont changer quoi que ce soit. L’essentiel est maintenant d’interpeller les candidats à l’élection présidentielle pour leur signaler que nous sommes comme les médecins à Paris, nous voyons passer quasiment autant de clients qu’un médecin voit de patients. De toute façon le Gouvernement ne s’intéresse absolument pas à l’accès au droit. D’autres budgets sont prioritaires et les quelques kilomètres d’autoroute que représente la somme nécessaire pour faire les choses correctement sont impossibles à débloquer. Nous avons des ministres qui savent très bien faire de grands discours, mais derrière, ça ne suit pas. Je n’accepterais donc pas l’actuelle proposition de la Chancellerie qui consiste à faire travailler les avocats en-dessous du prix de leurs charges, et donc à perte ! C’est une véritable incohérence politique.

LPA – Êtes-vous déçu par Jean-Jacques Urvoas ?

F. S. – Le garde des Sceaux a fait de très belles déclarations, mais si l’on écoute bien ses discours il n’a jamais fait de promesses. Il a certes constaté l’état de péril de la justice et s’en est tenu là. Pour reprendre la métaphore médicale, la Chancellerie a posé le diagnostic infirmier, mais il n’y a pas l’ombre d’une aspirine pour résoudre le problème.

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