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Alexandra Grévin : « Je suis dans l’empathie »

Publié le 21/04/2021

Avocate au barreau de Paris, Alexandra Grévin s’est imposée dans un domaine de compétence encore peu reconnu : le droit du handicap. Depuis 2005, date de sa prestation de serment, elle a publié deux guides juridiques de référence : Droit du handicap et procédures et Face à l’autisme aux éditions du Puits Fleuri. Depuis son cabinet parisien, situé dans le XVe arrondissement, cette spécialiste n’hésite pas à parcourir la France pour « défendre les enfants et les adultes en situation de handicap et transmettre le droit, autant que possible, auprès des familles, des professionnels du handicap et des juristes ».

« J’ai toujours eu le sens de la justice chevillé au corps », raconte Alexandra Grevin au magazine Nous Deux en 2017. « Toute petite, j’étais déléguée de classe et on venait me voir pour gérer les bagarres et crêpages de chignons dans la cour de récré ! J’ai été élevée ainsi, dans le souci de l’autre. Avant ma naissance, mon père accompagnait des handicapés à Lourdes. L’atavisme, sans doute… ».

« Plus je travaillais, plus j’évoluais en technicité »

Après une première expérience professionnelle au barreau de Montpellier, entre instances de divorce et commission d’office, la jeune Picarde souhaite donner davantage de sens à son activité. Suite à plusieurs voyages humanitaires entre 2006 et 2008, en Thaïlande, en Ukraine et au Laos, elle prend conscience de sa vocation : le droit du handicap. Mais la France n’enseigne pas cette matière. L’avocate, diplômée de l’Université Paris 2 Panthéon-Assas, complète alors sa formation avec un diplôme universitaire (DU) en environnement juridique et social de la personne en situation de handicap à la faculté de droit de Montpellier. Pour le reste, ce sera sur le terrain. « Plus je travaillais, plus j’évoluais en technicité », nous dit-elle aujourd’hui.

C’est à Paris qu’elle développe son activité. En novembre 2020, elle repart s’installer dans le XVe arrondissement après quelques mois passés à côté de la place de la Bastille. « Le XIe arrondissement était intéressant, parce que je pouvais travailler avec des confrères qui faisaient du droit médico-social, mais j’ai maintenant un cabinet au rez-de-chaussée avec une place de parking pour les personnes en situation de handicap à proximité ».

En 2018, Alexandra Grévin continue d’innover avec la création d’une structure inédite en France, Fragilis, premier « family office » dédié au droit du handicap. « Fragilis est un groupement d’intérêt économique composé de plusieurs associés : Me Philippe Bourdel, notaire à Paris et Frédéric Hild, conseiller en gestion de patrimoine », explique Alexandra Grévin. Cette entité juridique appelée « family office », a pour but d’aider les familles en faisant appel à plusieurs experts du droit du handicap avec des compétences pluridisciplinaires et complémentaires. Situé à Paris, au sein de l’étude de Me Bourdel, Fragilis a été inauguré le 20 septembre 2018.

« Nombre d’administrations, d’organisations sont dans la pure illégalité »

Les dossiers de Me Alexandra Grévin concernent notamment des procédures liées à la prestation de compensation du handicap. « C’est tout nouveau depuis la loi du 11 février 2005, entrée en vigueur au 1er janvier 2006. C’est une loi qui est intéressante mais pas aboutie ». À l’image de ce procès, perdu. « Le tribunal m’a donné tort. La prestation du handicap permet, par exemple, pour ceux qui en bénéficient d’avoir 20 heures par jour qui peuvent être utilisées en employant une personne. Or aucun budget n’a été prévu en cas de licenciement, d’heures supplémentaires ou de conseil des prud’hommes. Ce n’est pas prévu dans les textes. Pour permettre de faire face à ces charges non prévues, il est nécessaire d’utiliser moins d’heures que celles fixées par la Maison départementale des personnes handicapées (MDPH) et cela ne plaît pas aux départements. C’est là-dessus que nous avons perdu. La loi était mal faite parce que tout le monde avait raison ».

« Il y a aussi souvent des recours pour des indus sollicités par les départements. Je vois néanmoins des départements qui ont une capacité à se remettre en cause. En Île-de-France, globalement la situation est plutôt bonne même si c’est assez hétérogène. Mais le pire c’est quand le droit n’est pas connu ».

Dans une interview accordée au magazine Maxi en 2016, elle faisait déjà le même constat : « C’est sidérant de constater que nombre d’administrations, d’organisations sont dans la pure illégalité. C’est un peu un pavé dans la mare quand j’interviens et j’ai toujours l’impression de dépoussiérer les institutions ».

L’expertise de Me Alexandra Grévin n’est plus à démontrer. Elle a été désignée au sein de la commission égalité du Conseil national des barreaux (CNB), depuis le début de l’année 2018, pour toutes les questions juridiques liées au handicap. Récemment renouvelée, elle transmet son savoir en fonction des besoins. Comme lors du Grenelle sur le droit et le handicap, en juin 2019, où elle a animé un atelier sur le droit du handicap. Surtout, elle participe à un projet initié par l’association Droits Pluriel d’Anne Sarah Kertudo : la relecture d’un kit pour les professionnels du droit, en collaboration avec le Défenseur des droits.

Membre du comité scientifique du site gouvernemental sur l’autisme (autisme.gouv.fr), elle donne également régulièrement des conférences et des formations auprès des familles, des associations et des professionnels du handicap. Elle enseigne à son tour au sein du DIU déficience intellectuelle de l’université Claude Bernard à Lyon.

« Je suis du côté des familles »

« Je le dis toujours : je suis du côté des familles », insiste Me Alexandra Grévin. Parmi les affaires qui l’ont le plus marquée, l’avocate retient l’affaire de ce garçon de 4 ans dont le papa souhaitait le maintenir dans le milieu scolaire classique. « On devait aller ensemble en commission, au sein d’une MDPH. Il a été extrêmement sage et est resté sous ma chaise alors qu’il était généralement en mouvement. Pendant toute la séance on parlait de lui et il n’a pas bougé. Je parle souvent de cette affaire parce qu’il a compris que c’était pour lui. Nous avons gagné. Il a été scolarisé. Il est décédé de sa maladie deux ans après » !

Plus récemment, alors qu’elle plaide à Bordeaux pour une petite fille en vue d’obtenir une auxiliaire de vie scolaire, la juge lui donne la parole. « Avant que je plaide, elle lui ai demandé ce dont elle avait besoin. Elle a répondu : « m’aider ». Je n’avais presque plus besoin de plaider. Ce sont des moments où je suis dans l’empathie avec les larmes aux yeux. C’est magique quand les juges sont bienveillants. Surtout avec les enfants ».

Si Alexandra Grévin s’investit corps et âme dans tous ses dossiers, sa vie est déjà bien remplie et son côté introverti ne la pousse pas vers davantage d’actes militants. Cela ne l’empêche pas de soutenir les appels aux changements, notamment la pétition transmise à la conférence des présidents du Sénat en février dernier, demandant la « désolidarisation des revenus du conjoint pour le paiement de l’Allocation aux adultes handicapés (AAH) ». « Il faut que la loi change parce qu’elle est injuste », précise-t-elle. « Il n’est pas normal de prôner l’autonomie mais qu’en même temps, dès lors qu’on se met en couple, l’allocation soit réduite ou supprimée parce que sont pris en compte les revenus des conjoints ».

Parfois, des étudiants en pleine réflexion viennent la questionner. « C’est une matière tellement à part », répond-elle. « Je rencontre très peu de confrères. Je suis aussi quelqu’un de très discrète. J’explique que c’est un métier où il faut beaucoup travailler, on ne s’invente pas dans ce domaine de compétence. Ce n’est pas toujours évident non plus d’être en lien avec la maladie ou le handicap. Mais on se sent utile ».

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