« Je suis abasourdie par les problématiques rencontrées par les familles d’enfants autistes »
Elle est devenue la voix des familles d’enfants autistes. Spécialisée dans le domaine de la santé, l’avocate Sophie Janois ne mâche pas ses mots ni sa pensée. Tous les jours, elle constate le désarroi des familles devant la prise en charge insuffisante des enfants autistes et s’offusque des procès d’intention systématiques qui sont faits aux mères : aux yeux de la justice, elles sont forcément coupables. Nous l’avons rencontrée à l’occasion de la sortie de son livre : La cause des autistes, aux éditions Fayot.
Les Petites Affiches
Qu’est-ce qui vous a amenée à vous intéresser à l’autisme ?
Sophie Janois
J’ai un parcours en droit de la santé, en droit des entreprises de santé. Dans ce cadre, j’ai été amenée à faire un stage dans une association de défense des droits des enfants autistes. En lieu et place de mémoire de fin d’études, voyant toutes les injustices que vivaient les familles, j’ai demandé à rédiger un guide pour les familles, c’est-à-dire recenser tous les droits dont elles pouvaient se servir, dans tous les codes existants, pour qu’elles puissent faire respecter leurs droits. Est-ce que j’étais la première à faire cela ? Je n’en sais rien. Tout ce que je sais c’est qu’à l’époque je ne trouvais rien, c’est pourquoi j’ai voulu faire cela à la place d’un mémoire. Il y a peut-être des choses qui ont été faites sur le handicap, mais moi j’ai pris la voie très spécifique du handicap cognitif, c’est-à-dire l’autisme, TDAH (trouble de l’attention/hyperactivité), enfants précoces, tout ce que l’on appelle le handicap « invisible », sachant qu’il est beaucoup plus difficile de faire respecter des droits quand on a un handicap invisible. Parce que toute la loi de 2005 sur le handicap a avant tout été faite pour des handicaps moteurs, et elle est très peu adaptée au handicap psychique ou neurodéveloppemental. Quand je suis devenue avocate, j’ai été l’une des premières à m’exprimer en mon nom sur les réseaux sociaux, car les parents d’enfants autistes n’étant aidés nulle part, en termes d’informations, se renseignent par eux-mêmes via internet. Donc j’ai commencé à me faire connaître via Facebook en donnant des conseils aux gens. Cela fait 5 ou 6 ans que je donne des conseils gratuits aux gens qui m’appellent. Pour un avocat, ce n’est pas très commun, mais à chaque fois que je ne suis pas à l’audience, je prends des parents d’enfants autistes au téléphone et je leur donne des conseils. Je discute avec 8 familles par jour en moyenne ! Tous les jours, j’ai des mamans en larmes, dont certaines n’ont même pas les moyens de se payer un avocat. J’ai toujours voulu être avocate pour défendre les personnes souffrant de troubles psychiques ou neurodéveloppementaux, c’est pour cela que je voulais faire de la santé. Surtout, je voulais m’attaquer au secteur psychiatrique car je trouve que c’est une zone de non-droit total. En tant qu’avocat, je voulais défendre ces personnes fragiles et vulnérables et qu’on enfermait sans respecter leurs droits fondamentaux. En fait, quand je travaillais pour cette association, j’ai été complètement abasourdie par les problématiques rencontrées par ces familles qui appelaient le standard de façon continue pour dénoncer la non-scolarisation de leur enfant, qui ne comprenaient pas pourquoi elles ne pouvaient pas toucher d’allocations, qui ne savaient pas où se tourner ou vers qui. Aujourd’hui, je suis plus que jamais passionnée par le sujet, car je me sens vraiment utile.
LPA
La prise en charge de l’autisme en France est très problématique et souffre d’un grand retard par rapport à d’autres pays. Comment expliquer ces retards ?
S. J.
À mon avis, il y a plusieurs phénomènes qui l’expliquent. Le premier, c’est que la France est l’un des derniers pays, avec l’Argentine, à encore accorder un crédit aux théories psychanalytiques. Ces théories ont été développées en France entre autres par Bettelheim, qui prônait notamment la séparation de la mère et de l’enfant, en analysant l’autisme comme étant un trouble du lien entre une mère et son enfant. Aujourd’hui, on sait très bien que ce n’est pas du tout le cas, on a de l’imagerie cérébrale, on a tout le matériau pour montrer qu’il s’agit d’un trouble neurodéveloppemental, donc un problème de synapse entre les neurones, qui peut être également lié à l’environnement, la pollution, etc. Et certainement pas la faute de la mère ! Sauf qu’en France, la psychanalyse est encore enseignée en médecine et dans les facultés de psychologie. Il y a très peu de facultés qui remettent en cause ces théories. Donc on a très peu de médecins, psychiatres, pédopsychiatres ou psychologues qui arrivent à s’en défaire. Moi je vois la psychanalyse comme un modèle de pensée qui n’a jamais été évalué scientifiquement, qui n’a jamais prouvé la moindre efficacité, mais qui néanmoins, d’un point de vue intellectuel, continue d’intéresser les gens, au détriment de vertus thérapeutiques. Je suis très critique car je vois les erreurs judiciaires qui sont faites. Les experts judiciaires psychiatres font n’importe quoi, rédigent des rapports hallucinants de bêtise, et voient des mères fusionnelles partout, sans jamais rien prouver. Et moi je vois les drames que ça créé.
L’autre problème résulte des lourdeurs administratives, qu’on appelle le secteur médico-social. On a voulu absolument faire de la discrimination positive avec la loi de 2005, et ça a pu avoir des effets positifs. Toutefois, avec toutes ces séances d’aménagement, les lois spécifiques empêchent finalement l’application de droits fondamentaux, comme le droit à la scolarisation, par exemple. Ces droits fondamentaux, au lieu de primer, passent en second lieu. À titre d’exemple, quand un enfant handicapé est exclu d’une école, on n’a pas obligation de le rescolariser ailleurs, alors qu’un enfant exclu pour raison disciplinaire, doit être obligatoirement rescolarisé. Toutes les personnes ressources — MDPH (Maisons départementales du handicap), les centres de diagnostic — sont tellement engorgés et les parents sont tellement isolés qu’ils n’ont plus accès à l’information. Et comme cette information ne passe plus, ils se forment au regard de leurs problèmes, et donc perdent totalement confiance en l’administration et notamment en l’État qui devrait les soutenir comme personnes vulnérables. Aujourd’hui, une personne malade, en dépit des problèmes de prise en charge, a quand même accès aux soins. En matière de handicap, ce n’est pas le cas. Les enfants autistes ont besoin, non pas de soins, mais d’interventions.
Il y a un troisième problème : c’est la manne financière générée par l’autisme. La Cour des comptes l’a l’évaluée à 7 milliards d’euros dépensés annuellement. Sauf que ces dépenses sont dirigées vers des établissements médico-sociaux, vers le système institutionnel, qui n’est pas efficace. Quand dans d’autres pays, aux États-Unis, au Canada, en Suède, on propose des interventions éducatives, voire du coaching, nous en France, on enferme. Culturellement parlant, on a cette culture de l’enfermement. À partir du moment où l’on rentre dans un institut médico-social, on en sort les pieds devant. Et rien n’est prévu pour l’autonomie de la personne. Le but de l’établissement est de gérer le bien-être des patients peut-être, mais certainement pas dans une visée thérapeutique, où l’on pourrait imaginer que la personne passe, car elle connaît un moment difficile, et qu’on va lui donner ce dont elle a besoin : un appartement, peut-être partagé, c’est-à-dire favoriser une inclusion.
LPA
Comment expliquer des décisions du juge des enfants, qui, comme vous le montrez dans votre livre, ne semblent pas participer à améliorer leur état ?
S. J.
Le juge pour enfants n’est informé que par l’Aide sociale à l’enfance (ASE). Ce sont des assistantes sociales, des psychologues et des éducateurs qui sont formés à la psychanalyse, comme chemin de pensée de la relation mère-enfant. Le juge qui prend le risque d’aller contre les rapports de l’ASE prend le risque d’un accident, et donc de devenir responsable. Je pense aussi que tout le monde a été traumatisé par l’affaire d’Outreau. Le juge va suivre le rapport pour ne prendre aucun risque. Et il y a des tas de termes qui montrent qu’on a affaire à des gens qui systématiquement, voient en la mère une mère toxique. Des termes comme « contenant », « fusion », « mère froide », prouvent que les problèmes viennent soi-disant toujours de rapports affectifs. Dans le cas d’un enfant qui ne voudrait pas voir son père, c’est forcément la faute de la mère.
LPA
En effet, la figure de la mère en prend plein la figure, constamment…
S. J.
Oui, je confirme. Et je continue de défendre des mères face aux juges des enfants. Quand il y a besoin d’une expertise en trouble cognitif, je dois expliquer qu’un enfant souffrant de TDAH souffre d’un trouble neurodéveloppemental, mais pour l’ASE, c’est qu’il manque de cadre et que la mère ne sait pas l’éduquer. Sauf que l’éducateur, qui peut rencontrer les mêmes difficultés, ne peut pas avouer son échec ! Ils sont incapables de se remettre en cause et considèrent automatiquement qu’un placement est une bonne chose, même si les rapports montrent que c’est néfaste. Oui, il faut un temps d’adaptation. D’ailleurs, les enfants de Rachel (l’une des mères évoquées dans le livre, dont les enfants ont été placés, NDLR) sont aujourd’hui adaptés. Ils vont mieux. Mais ils ont perdu l’espoir que les choses s’arrangent. L’aînée a 12 ans, au bout de trois ans, elle se dit qu’elle ne rentrera jamais. Et quand elle pose des questions à l’éducateur, le message, c’est « Ta maman ne sait pas s’occuper de toi ». Le lien entre la mère et sa fille n’a jamais été travaillé, au contraire, ils mettent de l’huile sur le feu : résultat, la petite ne veut plus rentrer chez sa mère. Mais lors des audiences, on ne revient jamais sur les causes du placement. Aujourd’hui, il faut qu’ils restent placés, car ça serait dangereux pour eux ! Voilà où on en est. C’est horrible ce que Rachel vit, elle va se suicider. Et ce qu’elle lit dans les rapports est incompréhensible. L’assistante maternelle a dit, dans l’un de ses rapports, que les enfants puaient la pisse : en réalité, les enfants revenaient de la ferme, où ils avaient joué toute la journée dans le purain. Ils n’allaient pas sentir la rose ! Tout est à charge, tout le temps. Quoi qu’elle fasse, c’est mal.
LPA
Comment continuer le combat quand on a le sentiment qu’il est perdu d’avance ?
S. J.
Avec Rachel (et le placement de ses enfants), c’est le seul combat que j’ai perdu. Cela fait trois ans que je me bats. Je connais parfaitement le fonctionnement de la justice grenobloise, et je sais que je vais perdre. Mais pour tous les autres cas, je crois toujours que je vais gagner. Et je gagne. Aujourd’hui, des dossiers « perdus » sont des dossiers dans lesquels les enfants sont déjà placés. On sait que les enfants placés sont très durs à récupérer. Mais quand on connaît leur avenir, sans plus aucun soin, plus aucune thérapie… Ces enfants compensent jusqu’au jour où ils décompensent. Donc en gros la société française est en train de fabriquer de futurs délinquants, des personnes qui vont finir en hôpital psychiatrique. On détruit des gens. Heureusement, je trouve que de plus en plus les juges sont au courant de ce qui se passe au niveau du handicap invisible.
LPA
Pourtant, la France ne fait pas figure d’exemple…
S. J.
On un acte des Nations unies qui demande à la France de stopper les placements abusifs d’enfants autistes, ça donne à réfléchir ! Aujourd’hui, le gouvernement est parfaitement informé, et les associations de parents font savoir leur colère. Seulement, les établissements sanitaires, médico-sociaux, et l’Éducation nationale, ont tendance à menacer les parents d’une information préoccupante (IP) en disant en gros, « Vous n’êtes pas d’accord avec nous, on n’a plus de solution, plus personne ne veut de votre enfant, et on pense que c’est vous qui ne faites pas ce qu’il faut, que vous êtes un frein », donc on va lancer une IP. Et pour les adultes, on retire la tutelle aux mères. Je pense précisément à une mère que je représente, dont les trois enfants handicapés sont chez elle, à domicile, sans solutions. Elle s’est opposée à quoi ? À un exil en Belgique — alors que l’État français a été condamné pour l’exil des enfants handicapés en Belgique ? Il était impensable pour elle de se séparer de ses enfants, elle s’en occupe à domicile. Elle s’oppose à une psychiatrisation. Les acteurs du secteur médico-social ont écrit en disant qu’elle s’opposait à la justice, alors qu’en réalité, elle était le seul garant du bien-être de ses enfants et unique barrage à une psychiatrisation à vie. On lui a retiré la tutelle. C’est dingue ! Évidemment, je fais appel et on va essayer de discuter avec les juges. Aujourd’hui, elle n’a plus aucun droit sur ses enfants, plus aucun ! Les droits fondamentaux sont bafoués ! Comme celui de choisir librement son praticien. Certains pédopsychiatres ne veulent plus lâcher les enfants suivis : je pense à une mère dont l’enfant a bel et bien été diagnostiqué autiste, mais ce médecin veut la suivre elle, et prétend que son enfant va parfaitement bien ! Sans attestation médicale, elle a dû renoncer à une aide vie-scolaire. Le petit n’allait pas à l’école, l’école le rejette, la mère décide donc de le garder à domicile. « Si votre enfant est déscolarisé, c’est que vous êtes trop fusionnelle, je vais faire une IP », a-t-elle entendu. Je dois donc faire un courrier à ce pédopsychiatre pour expliquer à ce médecin que cette mère a mis en place tout ce qu’elle devait en libéral pour la prise en charge de son fils et j’attaque pour erreur de diagnostic et prise en charge non adaptée. Bien sûr, il faut relativiser, il y a aussi des enfants pour qui ça se passe bien. Mais je dirais que pour ceux-là, c’est quand les parents travaillent, ont des situations financières assez confortables, qui leur permettent de ne rien demander à personne, et de pouvoir offrir à leur enfant une prise en charge en libéral. Mais dès qu’on dépend de la solidarité nationale, les familles doivent faire face à un imbroglio administratif et des menaces sur les aides, qui sont intolérables !