Anne-Sophie Lepinard : « L’avocat doit être un soutien et la question financière ne doit pas être un obstacle » !
Avocate à Boulogne-Billancourt dans les Hauts-de-Seine (92), Anne-Sophie Lepinard intervient principalement devant les tribunaux judiciaires de Nanterre et de Paris, et devant les cours d’appel de Versailles et de Paris. Passionnée par son métier, elle s’est donné pour mission d’aider les plus démunis et s’investit dans l’accès au droit pour toutes et tous.
Actu-Juridique : Avez-vous toujours voulu être avocate ?
Anne-Sophie Lepinard : Très tôt, je savais ce que je voulais faire : trouver un métier où je pouvais réfléchir, et être en contact avec les gens. J’étais attirée vers le droit pénal qui allie la rigueur du droit et le fait d’être dans une matière au cœur de l’humain, où on a la possibilité d’aider les gens et d’avoir une réflexion sur le passage à l’acte. J’avais la volonté de lutter contre les injustices. Le droit est donc apparu comme une évidence. Mon stage de troisième au collège dans un cabinet d’avocats à Versailles a confirmé ce choix. Cette profession est une vraie vocation pour moi. Treize ans plus tard, je l’exerce avec autant de passion.
Actu-Juridique : Qu’avez-vous entrepris comme parcours d’études ?
Anne-Sophie Lepinard : J’ai d’abord fait un double cursus droit français et droit espagnol, puis j’ai basculé en Master de droit pénal, pour aller vers la matière que je souhaitais embrasser. J’ai obtenu mon CRFPA du premier coup. Après dix-huit mois de formation, j’ai obtenu un poste de collaboratrice dans le cabinet Arragon à Neuilly-sur-Seine où j’ai appris tout ce qu’on n’apprend pas à l’école ou à la fac, soit le métier au quotidien.
Actu-Juridique : Après deux ans et demi, vous avez décidé de vous installer à votre compte, en 2012. Pourquoi ce choix ?
Anne-Sophie Lepinard : Souvent en matière pénale, c’est le collaborant qui plaide. Les collaborateurs sont les petites mains qui préparent, décortiquent le dossier, reçoivent le client. Je voulais vraiment aller au bout des dossiers et pouvoir plaider, porter la parole du client en audience. J’ai pu plaider certains dossiers… Mais j’étais frustrée, je souhaitais pouvoir plaider tous les dossiers que je travaillais.
Actu-Juridique : Ce fut difficile pour vous de vous installer ?
Anne-Sophie Lepinard : Non, parce que j’ai pu être collaboratrice de l’Ordre pendant deux ans au barreau des Hauts-de-Seine, ce qui a facilité mon installation. Le collaborateur de l’Ordre coordonne les permanences, intervient en renfort des permanences les plus chargées (comme les comparutions immédiates) et assure certaines missions spécifiques comme les mandats d’arrêt, les convocations par procès-verbal assorti d’un contrôle judiciaire, etc. Ce poste très formateur, propre au barreau des Hauts-de-Seine, m’a apporté une sécurité financière alors que je développais mon cabinet en même temps.
Actu-Juridique : Vous étiez d’abord à Puteaux, puis vous avez déménagé à Boulogne-Billancourt. Pourquoi ?
Anne-Sophie Lepinard : Je me suis installée dans les Hauts-de-Seine. C’était un choix professionnel car, selon moi, il était logique de rester dans le même ressort que celui où j’avais fait mes études puis ma collaboration libérale. Rester en Île-de-France permet d’avoir accès aux services spécialisés de la police : il y a donc un potentiel de dossiers intéressants. J’ai exercé à Puteaux, puis j’ai déménagé à Boulogne-Billancourt en 2014. Si j’ai ouvert mon cabinet actuel, seule, à Boulogne-Billancourt en 2016, c’est aussi parce que je voulais exercer mon métier comme je l’entendais, c’est-à-dire en acceptant les gens les plus démunis et non pas en privilégiant forcément les cas les plus rémunérateurs. Si je dois intervenir au titre de l’aide juridictionnelle, ça ne me pose pas de problème, j’accepte d’assister les gens qui en relèvent sans difficulté.
Actu-Juridique : Vous exercez principalement en droit de la famille et droit pénal. Pourquoi ces matières ?
Anne-Sophie Lepinard : J’ai trois domaines de compétences que j’ai développés à des périodes différentes. Pour le droit pénal et le droit de la famille, il y a souvent des ponts entre les deux matières ; il est donc cohérent de pouvoir intervenir dans ces deux domaines. En 2011, année de création du contrôle systématique par le juge des libertés et de la détention des mesures de soins psychiatriques sans consentement, je me suis aussi formée à cette matière. On y retrouve l’humain, une technicité particulière et l’assistance aux plus démunis. Je pense que l’avocat doit être aussi un soutien et la question financière ne doit pas être un obstacle.
Actu-Juridique : Vous êtes également experte « Accès à la Justice » auprès du Conseil des barreaux européens (CCBE) depuis janvier 2021. Qu’est-ce que cela implique ?
Anne-Sophie Lepinard : Je suis élue au Conseil national des barreaux (CNB) depuis janvier 2021 pour un mandat de trois ans. Je suis membre de la commission Accès au Droit et à la Justice et de la commission Règles et Usages du CNB. La commission Accès au Droit du CNB m’a déléguée experte auprès du CCBE, le Conseil des Barreaux européens, l’organisme qui peut impulser des propositions et modifications de textes au niveau européen. Je participe aux réunions qui traitent notamment de l’aide juridictionnelle.
Actu-Juridique : À quand remonte votre engagement pour votre profession ?
Anne-Sophie Lepinard : Je me suis d’abord engagée dans un syndicat, l’Union des jeunes avocats de Nanterre au niveau local, et la Fédération nationale des unions des jeunes avocats au niveau national. Je me suis familiarisée avec les enjeux de la profession et ça m’a donné envie de m’engager au niveau local pour pouvoir aider mes confrères et faire bouger les lignes sur certains sujets. Logiquement, je me suis intéressée aux sujets qui m’avaient poussée à accéder à ce métier. J’ai été élue de janvier 2017 à décembre 2020 membre du conseil de l’ordre du barreau des Hauts-de-Seine. J’ai été notamment présidente de la commission aide juridictionnelle et accès au droit. C’est pourquoi, j’ai privilégié cette commission lorsque j’ai été élue au CNB. Plus récemment, je viens d’être nommée par arrêté du garde des Sceaux, ministre de la Justice, du 20 février 2023, membre du CNAJ (Conseil national de l’aide juridique) pour un mandat de trois ans.
Actu-Juridique : Récemment, la bâtonnière et le vice-bâtonnier du barreau des Hauts-de-Seine témoignaient de la souffrance de la juridiction de Nanterre. C’est quelque chose que vous constatez aussi ?
Anne-Sophie Lepinard : Je le ressens au quotidien. J’ai fait ce métier pour aider les gens, mais plus le temps passe, plus on est confronté à des obstacles. Les délais sont colossaux, tant devant les juges aux affaires familiales qu’en matière pénale. Il devient impossible d’expliquer aux clients pourquoi la justice prend autant de temps. Ils sont dans des situations d’urgence et on ne peut pas apporter de réponse dans un temps adéquat par rapport aux besoins. La machine judiciaire est dans un tel état et manque tellement de moyens… En interne, quand on discute avec les professionnels, plus personne n’a la capacité d’exercer pleinement son métier. Chacun est acculé, avec un rythme effréné de travail. Plus rien ne fonctionne correctement. Déjà, à travers la crise du Covid, tout un chacun a pu prendre la mesure du fait que la justice était à bout de souffle. J’étais membre du conseil de l’ordre à ce moment-là. À Nanterre, c’est d’autant plus prégnant. Une magistrate est décédée pendant une audience. Je garde la conviction personnelle que les conditions de travail ne sont pas anodines dans cet événement tragique. Les différents professionnels du droit crient haut et fort ce manque de moyens, et ce n’est pas entendu, même malgré ce drame.
Actu-Juridique : Depuis vos débuts, quels sont les changements que vous avez pu observer ?
Anne-Sophie Lepinard : Le rythme est plus difficile. À titre d’exemple, nous recevons des convocations à délais plus rapprochés et les délais d’audiencement sont devenus imprévisibles. Je constate une nette dégradation des conditions de travail des avocats et un impact sur les justiciables qui ont un accès à la justice dégradé. Les interactions avec les autres professionnels ont également changé. Quand j’ai commencé à exercer, nous avions facilement accès aux magistrats et aux greffiers. Mais j’ai vu des murs se construire, des couloirs se fermer. On peut comprendre à l’égard du public le besoin de sécurisation, mais on ne peut pas comprendre que les portes des palais de justice se ferment à l’égard des avocats. C’est révélateur d’une mauvaise pente que le système judiciaire prend, où les différents corps professionnels restent enfermés dans leurs logiques. Or on œuvre tous pour la justice, et le dialogue est nécessaire.
Actu-Juridique : Quelle affaire vous a particulièrement marquée depuis plus de dix ans d’exercice ?
Anne-Sophie Lepinard : Les dossiers qu’on plaide à la cour d’assises ne laissent pas indemne. Un dossier me reste en mémoire plus particulièrement, celui d’un viol conjugal où j’assistais la partie civile. Ma cliente se trouvait dans un danger particulier mais elle n’était pas en mesure de livrer tous les détails dès le début de ma saisine. Je l’ai suivie en matière pénale, mais aussi auprès du juge aux affaires familiales. J’ai dû à plusieurs reprises solliciter des ordonnances de protection pour qu’elle soit protégée. J’ai pu réfléchir aux limites du système et aux limites de la protection des victimes de violence. J’ai pu constater qu’une des nouvelles mesures qui a été mise en place, le bracelet antirapprochement, n’est pas véritablement investie par les juridictions. Il est difficile de l’obtenir. Il est possible que ce soit lié notamment à un changement de culture, qui ne s’est pas fait : cette mesure a pu être considérée comme un dispositif répressif, antinomique avec la logique de la matière familiale. Pourtant, cet outil pourrait être précieux. Les questions relatives aux violences intrafamiliales font partie des sujets sur lesquels je me suis investie pendant mon mandat au conseil de l’ordre, notamment dans le cadre des comités de pilotage TGD (Téléphone Grave Danger) ou les réunions intervenues dans le cadre du Grenelle des violences faites aux femmes. Les violences intrafamiliales correspondent à un contentieux que je privilégie beaucoup depuis près de sept ans.
Actu-Juridique : Pourquoi privilégier ce contentieux ?
Anne-Sophie Lepinard : Je me concentre sur les dossiers de viols et de violences en matière conjugale et familiale parce que je pense que cela correspond le plus aux raisons de mon choix pour ce métier. La question de la preuve y est délicate, c’est un enjeu plus que dans d’autres dossiers du fait du huis clos familial. Il faut être à l’écoute et empathique, mais aussi apprendre à se protéger. Dans ces dossiers-là, notre travail ne se cantonne pas à un simple travail d’avocat, l’investissement est plus important du fait de la détresse des personnes assistées. Si la personne est en danger, on doit pouvoir l’aider à n’importe quel moment.
Référence : AJU008c1