Avocats : une profession plus que jamais unie
La profession d’avocat a présenté ses vœux à la presse au CNB le 11 janvier dernier. Elle continue à montrer un front uni alors que la mobilisation contre la réforme de la justice ne faiblit pas.
« Vous êtes invités aux vœux à la presse de la profession d’avocat qui se tiendront le vendredi 11 janvier 2019 à 12h au 180 boulevard Haussmann ». Tel est le message qu’ont reçu début janvier les journalistes spécialisés. Fini donc le temps où chaque institution présentait ses vœux à la presse. Désormais, cela se déroule au Conseil national des barreaux (CNB) où sont réunis les trois représentants de la profession ! Cette unité, recherchée depuis des années, a réalisé d’incontestables progrès avec la nouvelle équipe dirigeante arrivée début 2018, Christiane Féral-Schuhl à la tête du CNB, Marie-Aimée Peyron, bâtonnier de Paris, et Jérôme Gavaudan à la présidence de la Conférence des bâtonniers. Il est vrai que l’unité ne se fabrique jamais mieux que lorsqu’on a un ennemi commun. Or, depuis près d’un an, les avocats luttent contre un projet de réforme de la justice qui les inquiète à plus d’un titre.
Gilets jaunes : 5 600 gardes à vue en deux mois !
C’est Christiane Féral-Schuhl qui a livré ce 11 janvier l’essentiel des messages que la profession entendait faire passer aux journalistes présents. Elle a commencé par énoncer ses inquiétudes à l’égard du climat qui entoure la crise des « gilets jaunes ». « Comme tous les corps intermédiaires, nous avons le sentiment que les valeurs et les principes volent en éclats, comme tous les républicains nous voyons des manifestants affronter les forces de l’ordre sans solution politique », a noté la présidente. Elle a dénoncé une « alerte forte sur les libertés publiques et individuelles », ajoutant « nous ne voulons plus de ces expérimentations hasardeuses de politique pénale, le pénal n’est pas une variable d’ajustement ». Ce qui inquiète les avocats à l’heure actuelle ? En deux mois ils ont dénombré 5 600 gardes à vue dans le cadre du mouvement des « gilets jaunes ». Un chiffre qualifié par la présidente du CNB d’« astronomique ». « La garde à vue ne doit pas devenir une simple mesure de maintien de l’ordre, il faut une réponse politique elle ne peut être uniquement policière », a-t-elle souligné.
Concernant le projet de réforme de la justice, contre lequel avocats, magistrats, greffiers, associations et ONG ont prévu de manifester encore une fois en janvier, la présidente du CNB a rappelé les trois amendements surprises qui avaient mis le feu aux poudres : celui sur les territoires, le texte sur la réforme du droit des mineurs par ordonnance et enfin l’amendement relatif aux nouvelles règles de notification de la garde à vue. Elle a rappelé également les mesures qui continuaient de faire l’unanimité contre elles. À commencer par la force exécutoire accordée au directeur de la CAF qui pourra modifier les pensions alimentaires. Outre le fait que les avocats ne comprennent pas pourquoi on leur refuse une force exécutoire que l’on accorde en revanche au salarié d’une entreprise privée, ils redoutent que ce modèle ne s’étende. « Cela veut dire que demain une administration pourra modifier la décision d’un juge », a prévenu Marie-Aimée Peyron qui a par ailleurs qualifié le volet pénal de la réforme d’« inacceptable » en raison de « la réduction très claire des droits des justiciables ». La deuxième mesure citée par Christiane Féral-Schuhl comme unanimement dénoncée est l’expérimentation du tribunal criminel départemental censé délester les cours d’assises de la charge de juger les crimes les moins graves.
La justice dans le grand débat national ?
Dans ce contexte, les avocats demandent que l’on interrompe l’examen de la réforme de la justice pour l’inclure dans le grand débat national. La pétition lancée à ce sujet a déjà recueilli 25 000 signatures. « Puisque le débat porte sur la justice fiscale et la justice sociale, il n’y a pas de raison qu’il ne porte pas aussi sur la justice tout court », a surenchéri Marie-Aimée Peyron. Il ne s’agit évidemment pas de consulter les citoyens sur l’ensemble des mesures dont la plupart sont trop techniques, mais les avocats estiment qu’ils ont par exemple leur mot à dire sur un certain nombre de grands sujets de principe comme la fusion des tribunaux d’instance et de grande instance. En tout état de cause, la présidente du CNB a annoncé que la profession allait travailler à sa propre réforme de la justice dans le cadre des états généraux sur l’avenir de la profession d’avocat qui vont s’ouvrir cette année. Elle a indiqué que le CNB avait déjà commencé à contacter des syndicats de policiers et de magistrats pour monter des chantiers de réflexion communs et reçu des réponses positives. « Nous n’avons pas peur des discussions qui s’annoncent, nous poursuivons un intérêt commun et nous allons bâtir des propositions qui feront consensus », a conclu Christian Féral-Schuhl. Au fond ce que montre la colère du monde judiciaire, et ce en quoi elle rejoint peut-être celle des « gilets jaunes », c’est que la politique consistant à produire des réformes au sein de l’administration centrale pour les imposer ensuite au terrain ne convient peut-être plus à une époque où l’horizontalité remplace peu à peu dans tous les domaines les anciens modèles verticaux. Les professionnels de la justice veulent produire leur propre réforme, fondée sur leur expérience au quotidien de ce qui doit évoluer et comment. Ici, le gouvernement a pêché sur la méthode par manque de concertation et de prise en compte des remontées d’expérience des professionnels et ensuite aggravé la colère en raison de la précipitation qui a entouré l’élaboration puis l’examen du texte.