« Le médiateur de la consommation des avocats peut offrir une solution rapide aux litiges sur les honoraires »

Publié le 26/02/2020

Ancien membre du conseil de l’ordre, ancien membre du conseil national des barreaux, Carole Pascarel exerce principalement en droit de la famille. Elle vient d’être désignée comme médiateur national à la consommation des avocats. Pour les Petites Affiches, elle explique en quoi consiste cette fonction encore peu connue du grand public comme des avocats.

Les Petites Affiches : Vous venez d’être désignée médiateur national de la consommation des avocats. En quoi consiste cette fonction ?

Carole Pascarel : Depuis une ordonnance du 20 août 2015, le Code de la consommation reconnaît le droit pour tout consommateur de recourir gratuitement à un médiateur de la consommation en vue de la résolution amiable du litige qui l’oppose à un professionnel, qu’il s’agisse d’un litige national ou transfrontalier. Tout professionnel ayant une clientèle protégée par le droit de la consommation doit ainsi lui garantir le recours effectif à un dispositif de médiation de la consommation et désigner un médiateur. Tous les grands domaines d’activité en ont un, dont la profession d’avocat. La médiation de la consommation dans la profession d’avocat est un moyen extrajudiciaire, rapide et gratuit pour le client consommateur de résoudre les litiges exclusivement liés à la question des honoraires de l’avocat. Depuis trois ans un médiateur national de la profession d’avocat existe pour démêler ces litiges. Il est désigné par le conseil national des barreaux et exerce son mandat de manière totalement indépendante. Je viens de prendre ces fonctions, après avoir reçu l’agrément de la commission de contrôle et d’examen de la médiation de la consommation (CECMC), une commission nationale qui dépend du ministère de l’Économie et des Finances et qui agrée les médiateurs de tous les domaines d’activité.

LPA : Quel est le cadre légal de la médiation ?

C. P. : L’ordonnance de 2015 qui institue la médiation de la consommation dans le droit français est la transposition d’une directive européenne de 2013. Elle vise à fluidifier les rapports entre les consommateurs et les professionnels. La médiation est une étape possible mais non imposée. Elle n’est pas obligatoire en amont de la saisine d’une juridiction. Seul le consommateur, qui doit être un particulier et non un professionnel, peut saisir le médiateur. En cas d’échec d’une solution consensuelle, le médiateur propose une solution aux parties, qui sont libres de l’accepter ou non. Si elle est acceptée, elle sera exécutée spontanément. Si elle n’est pas acceptée, chacune des parties retrouvera sa liberté d’action et pourra saisir un tribunal. La proposition de solution du médiateur de la consommation est totalement confidentielle et ne sera d’ailleurs pas nécessairement celle qui sera décidée par la juridiction.

LPA : Dans quel cas le consommateur peut-il saisir le médiateur ?

C. P. : De manière générale, les consommateurs peuvent avoir recours à un médiateur national de la consommation dès qu’ils ont un litige, de tout ordre, avec un professionnel. En ce qui concerne les avocats, cette médiation a été limitée à la question des honoraires. En effet, parmi les litiges afférents à la relation avocat/client, ceux de la responsabilité civile professionnelle et de la déontologie ont été exclus du dispositif de la médiation de la consommation, car soit ils entraînent l’application du droit des assurances qui implique déjà une conciliation préalable, soit ils ne relèvent pas de la relation contractuelle avocat/client – je pense là au litige relevant de la déontologie, sujet sur lequel il est impossible de transiger et d’envisager une transaction. Finalement, il est apparu à l’assemblée générale du CNB que le seul champ dans lequel le médiateur de la consommation pouvait opportunément intervenir était celui des litiges sur les honoraires.

LPA : Quel sera votre champ d’intervention ?

C. P. : Le médiateur est saisi des réclamations portant sur les honoraires pouvant concerner tous les avocats de France. C’est une tâche importante. Cependant, cette fonction étant encore méconnue, les saisines du médiateur de la consommation sont encore rares. L’an dernier, le médiateur a ainsi traité 600 dossiers. Sur le nombre d’avocats en France – environ 67 000, ndlr –, cela paraît peu. Je crois néanmoins que c’est une fonction qui va prendre de l’ampleur car elle s’inscrit dans un courant plus général de promotion des modes alternatifs de règlements des conflits. La loi de modernisation sur la justice a fait encore un pas supplémentaire puisqu’elle permet au juge d’imposer une tentative de médiation pour les litiges inférieurs à 5 000 euros ou les litiges de voisinage. La médiation tend ainsi à se généraliser dans le règlement des conflits, même si elle n’est pas vouée à résoudre tous les litiges. Je voudrais d’ailleurs préciser que si le nombre de saisines du médiateur de la consommation des avocats est faible, il a doublé en trois ans, passant de 300 saisines en 2017 à 600 en 2019.

LPA : Quelle sera votre priorité ?

C. P. : Je souhaite mieux faire connaître cette fonction pour que davantage d’avocats proposent à leurs clients de tenter la médiation avant de saisir le bâtonnier et que les consommateurs aient le réflexe de se tourner vers le médiateur. Je souhaiterais également voir progresser le nombre d’accords à la suite des saisines. Mon prédécesseur, dans son bilan annuel, signalait que ceux-ci sont encore trop peu nombreux. On a une marge de progression importante.

LPA : Comment allez-vous procéder pour tenter d’aboutir à davantage d’accords ?

C. P. : En tant que médiateur national, il est difficile de réunir des parties qui sont souvent loin géographiquement. L’objectif premier de la médiation est néanmoins que les gens se reparlent. Le but de la loi est de fluidifier le rapport entre consommateur et professionnel. Pour cela, j’ai l’intention de proposer aux parties de mettre en place des visioconférences ou des conférences téléphoniques pour que les gens puissent se parler en ma présence. On peut faire cela avec un simple téléphone. Si cela s’avère trop compliqué pour certains, on peut toujours envisager des échanges de mail tripartites. Je ne souhaite pas communiquer avec l’un puis l’autre, mais à trois. Ce qui n’empêche pas d’avoir un échange à part, comme l’on fait des « apartés » dans la médiation classique, lorsqu’il s’avère nécessaire de s’entretenir seul avec l’une ou l’autre des parties.

LPA : En tant que médiateur, vous allez proposer des solutions…

C. P. : Cette médiation est en effet un peu particulière car le médiateur de la consommation propose une solution, alors qu’il ne peut le faire dans le cadre de la médiation conventionnelle ou judiciaire. Il n’en demeure pas moins que l’objectif premier de la médiation de la consommation est à mon sens de faire en sorte que la réclamation aboutisse à un accord, trouvé par les parties et n’aille pas devant les juridictions. Pour que la magie du rapprochement opère, il faut que les parties se reparlent.

LPA : Quel est l’intérêt de cette médiation pour les avocats ?

C. P. : Dans l’activité d’un avocat, les conflits liés aux honoraires sont chronophages, inintéressants et pénibles à gérer. L’intérêt de la médiation est de trouver une solution rapide et de manière apaisée, ce qui permet d’envisager éventuellement la poursuite des relations. L’alternative qui consiste à saisir la juridiction du bâtonnier est longue et susceptible d’appel, ce qui rallonge les délais. La médiation prend beaucoup moins de temps. Le médiateur peut résoudre une difficulté en quelques heures. C’est un poids en moins pour l’avocat de savoir que le litige ne sera pas porté devant les juridictions et que l’on peut trouver une solution plus rapide, moins anxiogène, plus apaisée.

LPA : Vous dites que cette médiation peut intervenir à titre préventif…

C. P. : Je crois en effet que cela peut éviter une rupture avec un client. Cela nous est tous arrivé de sentir que la relation dérape car il y a une ambiguïté sur le montant des honoraires ou que le client n’est pas au clair avec ce qu’il va devoir payer. L’avocat pourrait, dès lors qu’il sent qu’existe un sujet de discorde, proposer d’aller parler avec un médiateur pour purger le problème et repartir sur de bonnes bases. Je pense que cette médiation peut marcher en prévention et permettre d’éviter que la relation ne s’obère.

LPA : Comment pensez-vous vous faire connaître du consommateur ?

C. P. : Le médiateur de la consommation des avocats est mentionné dans les conventions d’honoraires des avocats, que les clients signent. C’est la première voie d’information. Les barreaux doivent communiquer sur l’existence de cette fonction. La vertu préventive appartient à chaque avocat. Quand le client vous écrit pour contester une facture, l’avocat doit avoir le réflexe de lui répondre en le renvoyant vers la convention d’honoraire et le dispositif consommation.

« Le médiateur de la consommation des avocats peut offrir une solution rapide aux litiges sur les honoraires »
Андрей Яланский / AdobeStock

LPA : Ce dispositif a-t-il un intérêt pour l’image de la profession ?

C. P. : Cela peut en effet contribuer à améliorer l’image de l’avocat. L’institution du Conseil national des barreaux s’est – pour cette raison – emparé du sujet dès que la directive a été transposée dans le droit français. Les justiciables ont souvent une image de l’avocat très contentieuse. Là, au contraire, l’avocat démontre qu’il sait être acteur de solutions amiables, dans ce qu’il a de plus précieux, à savoir la relation avec son client, en faisant la promotion d’une solution constructive avec l’aide du médiateur de la consommation.

LPA : Pourquoi avez-vous voulu occuper ces fonctions ?

C. P. : Cela va m’occuper la moitié du temps. Je vais embaucher une étudiante en thèse pour travailler avec moi sur la médiation de la consommation. C’est un investissement important, mais je pense que cela sera très enrichissant humainement et dans mon métier. L’objectif premier est de mettre plus de médiation dans mes activités professionnelles car la médiation me passionne.

LPA : Quelle est votre expérience de la médiation ?

C. P. : En 2011, je me suis formée au processus collaboratif, une méthode de négociation contractualisée et réservée aux avocats. Je me suis ensuite formée à la médiation en 2017 et je mène depuis lors des médiations conventionnelles et judiciaires – je suis désignée pour cela par les tribunaux. Avant de me former, j’accompagnais déjà mes clients en médiation depuis de nombreuses années. Je les encourage à aller vers ce mode de règlement des conflits depuis mes débuts d’activité comme avocat.

Je suis désignée en tant que médiateur dans tous les domaines d’activité, mais plus spécifiquement en matière de droit de la famille, qui est aujourd’hui mon premier domaine de compétence. Peu importe le contenu et la nature du litige, les mécanismes de la médiation sont toujours les mêmes. Il est parfois utile d’avoir des connaissances dans la matière concernée mais ce n’est pas indispensable.

LPA : Qu’est-ce qui vous intéresse tant dans la médiation ?

C. P. : Mon intérêt pour la médiation est sans doute lié à mon caractère. Il est passionnant de trouver des accords en recherchant les moteurs cachés de chacun plutôt que de négocier sur position des parties, et la médiation le permet. C’est une approche très différente de celle du contentieux. Cela oblige à s’interroger sur les intérêts cachés derrière un positionnement, à comprendre ce qu’il y a derrière une demande judiciaire. Cela m’intéresse de rechercher et comprendre ce qui se cache derrière les postures. Lorsqu’on est avocat on voit les parties arriver avec leurs rancœurs et leurs souffrances, parfois leurs haines, pas uniquement en matière familiale. Les ressorts sont identiques en matière sociale quand un salarié est licencié, en droit des sociétés quand deux associés se séparent, ou dans les litiges entre voisins. Accepter d’entrer dans un processus qui va permettre d’arriver à un accord, réfléchir à une solution consensuelle possible, c’est très difficile, mais lorsque l’on y parvient, c’est un vecteur d’apaisement social. L’accès au juge doit rester intact, c’est essentiel. Mais dans les cas où c’est possible, un accord pérenne peut permettre de vivre en paix avec son voisin, son ex-conjoint, son ancien employeur qu’on va recroiser dans la vie professionnelle. In fine, cela aide à mieux vivre sa vie personnelle ou professionnelle.

LPA : Faut-il une formation pour pratiquer la médiation ?

C. P. : Pour être médiateur, il est impératif d’être formé. Il n’y a pas de critère légal obligatoire, mais à titre indicatif, l’inscription sur une liste de cour d’appel en tant que médiateur nécessite 200 heures de formation. De même, pour accompagner ses clients en médiation, la formation n’est pas obligatoire mais fortement conseillée parce que c’est un changement de posture total pour l’avocat. Tous les avocats sont susceptibles de se retrouver dans cette situation d’accompagner à la médiation. Lorsqu’ils acceptent la médiation, les clients veulent souvent être accompagnés de leurs avocats respectifs. Il existe d’ailleurs une école internationale des modes alternatifs des règlements des litiges (EIMA), liée au barreau de Paris et à l’école de formation du barreau, qui forme à l’accompagnement à la médiation. Être médiateur c’est une posture différente.

LPA : Est-ce que la culture de la médiation prend en France ?

C. P. : La première loi en France qui a institué la médiation date de 1995. Aujourd’hui, les mentalités changent. Toutefois, les freins sont encore multiples. Le plus important me semble être la méconnaissance du processus contre laquelle il faut agir : un avocat qui connaît bien la médiation pourra en présenter clairement l’intérêt à son client, qui se trouvera rassuré. C’est la clé. Les avocats connaissent encore mal ce mode de règlement des conflits. Fort heureusement, les modes amiables sont enseignés dans toutes les écoles d’avocats en formation initiales et les avocats continuent de se former en formation continue. Les mentalités évoluent donc.

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